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Intervention de Didier Quentin

Réunion du 15 décembre 2009 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur :

Le transport maritime est essentiel pour les échanges internationaux de l'Union européenne Or aujourd'hui, la construction navale traverse la crise la plus grave depuis trente ans. Après la disparition de la construction navale dans de nombreux pays européens, nous pouvons nous demander si la conjoncture économique actuelle ne va pas voir la disparition des chantiers navals rescapés de cette « saignée ».

Le recul de 90 % des commandes sur les derniers mois a conduit à des mesures de chômage technique, des licenciements voire des disparitions d'entreprises, s'agissant des chantiers Odense au Danemark et Wadan en Allemagne. Cette situation peut encore s'aggraver s'il n'y a pas un redressement rapide de la conjoncture économique. Si nous prenons, par exemple, la flotte de porte conteneurs, les navires commandés représentent 42 % de la flotte en service aujourd'hui, qui est actuellement en surcapacité ; la situation est pire pour les vraquiers, où les navires en commande représentent 66 % de la flotte mondiale.

Le handicap structurel des chantiers européens par rapport aux asiatiques ne concerne pas exclusivement le coût de la main d'oeuvre, puisque un chantier européen enregistre pour un navire moyen un différentiel de prix de l'acier de 18 millions d'euros par rapport à un chantier chinois. L'Europe possède environ 150 chantiers navals, dont environ quarante fabriquent de grands navires de mer commerciaux à destination du marché mondial. Près de 120 000 personnes sont directement employées dans l'Union européenne sur ces chantiers, civils et militaires, nouvelles constructions et réparations. Forte d'une part de marché de quelque 15 %, l'Europe est encore en concurrence avec la Corée du Sud pour la première place mondiale en termes de valeur des navires civils construits, 15 milliards d'euros en 2007.

Au total, environ 15 000 emplois sont menacés en Europe dans le secteur de la construction navale. Mais les armateurs européens sont également dans une situation délicate et risquent de rencontrer des difficultés pour honorer leurs commandes, en particulier vis-à-vis des chantiers asiatiques. Le prix du fret a été divisé par cinq à la fin de 2008 sur les lignes entre l'Asie et l'Europe, 548 navires, soit environ 10 % de la flotte mondiale, sont aujourd'hui à l'ancre. Le groupe CMA CGM, 3earmateur mondial, est en train de restructurer sa dette et de négocier un rééchelonnement des livraisons de navires commandés. A défaut d'une reprise économique vigoureuse, toute la filière liée au commerce maritime international va beaucoup souffrir dans les années à venir, particulièrement en Europe.

Les résultats de la politique suivie ces cinq dernières années ont été encourageants : les chantiers européens ont vu la valeur de leurs nouvelles commandes plus que tripler entre 2002 et 2005, avec, en 2004 et 2005, un taux de croissance plus rapide que dans toute autre partie du monde car, s'ils ont perdu 36 % de leurs emplois, ils ont gagné 43 % en productivité. Or, la gravité de la crise actuelle peut remettre en cause ce début de redressement et compromettre les objectifs exposés le 15 octobre 2009 par la Commission européenne : « trouver les voies et moyens pour stimuler davantage l'emploi et les investissements maritimes dans le transport, tout en soutenant le concept de « navires propres » ». A ce propos, la Commission insiste sur sa volonté de soutenir l'innovation dans le secteur de la construction navale pour la conception de navires à très faible taux d'émission, voire à zéro émission. En effet, cette politique ne pourra être conduite que si l'outil industriel européen est préservé. Le secteur européen de la construction navale est régi par l'article TFUE 173, qui définit la politique industrielle. Dans ce cadre, l'Union européenne a essayé de développer une politique permettant d'abandonner la voie des subventions : c'est la stratégie « LeaderShip 2015 », élaborée en 2003 à un moment où les perspectives de la construction navale européenne semblaient assez peu encourageantes, du fait d'importantes augmentations de capacités en Asie. L'initiative « LeaderShip 2015 » a aidé la construction navale européenne à se positionner dans les secteurs de haute technologie, malgré le mouvement de délocalisation vers l'Asie. Les constructeurs navals européens et leurs fournisseurs dominent des segments du marché tels que les navires de croisière et les navires de passagers, les petits navires de commerce, les bâtiments des forces navales et le tonnage spécialisé. Cette donnée explique que les chantiers européens réalisent un chiffre d'affaires nettement supérieur à celui réalisé par leurs homologues d'Extrême-Orient en dépit d'un volume de tonnage inférieur. Le soutien communautaire s'est surtout manifesté ces dernières années dans le domaine de la recherche. La construction navale est un secteur technologique de pointe, puisque les chantiers investissent en moyenne plus de 10 % de leur chiffre d'affaires dans la recherche, le développement et l'innovation.

L'effort considérable entrepris par les chantiers, soutenus par les Etats et l'Union européenne, ne pourra bien évidemment pas porter ses fruits si le marché disparaît. Il est donc vital de prendre des dispositions réglementaires et fiscales incitant au renouvellement des flottes et, dans le cadre d'un plan de relance européen concerté, d'encourager les Etats à hâter le renouvellement des navires militaires pour soutenir l'activité des chantiers navals, le retour aux subventions devant être le plus limité possible.

Deux problèmes structurels ne sont toujours pas réglés de manière satisfaisante : l'élaboration de règles mondiales visant à lutter contre les distorsions de concurrence et la mise en oeuvre d'une politique de financement des navires. L'industrie de la construction navale est véritablement mondiale, les règles commerciales mondiales qui régissent le secteur sont souvent inégales, incomplètes ou inapplicables. L'un des objectifs affirmés par « LeaderShip 2015 » était de parvenir à harmoniser ce secteur au niveau mondial afin d'obtenir le respect de règles concurrentielles plus honnêtes. Il n'y a malheureusement pas encore de résultats tangibles dans ce domaine.

Dans le Livre vert publié en 2008 la Commission européenne souligne que les « chantiers navals doivent gérer des projets de grande envergure, coûteux et complexes ». Les chantiers ne développent pas seulement des projets novateurs, mais doivent aussi prévoir le fonds de roulement nécessaire et les garanties de remboursement généralement exigées par les propriétaires de navires. Ces contraintes en terme de temps et de ressources nuisent à la compétitivité des chantiers européens vis-à-vis de leurs concurrents qui, dans la plupart des cas, bénéficient de dispositifs publics de financement des navires.

La Commission européenne s'est donc penchée de manière intensive sur cette question mais il est extrêmement dommageable pour l'Union européenne que ce dossier n'ait pas encore abouti.

L'Union européenne a adopté un troisième paquet « sécurité maritime » afin de renforcer la législation existante, notamment en ce qui concerne les sociétés de classification, le contrôle des ports par l'Etat, le suivi du trafic maritime, la responsabilité des Etats du pavillon, les enquêtes après les accidents maritimes et la responsabilité des propriétaires de navires. Cette politique qui va dans la bonne direction, devrait être confortée à l'avenir dans la mesure où la Commission européenne considère dans sa communication du 15 octobre 2009 sa volonté de développer une politique maritime intégrée en soutenant le concept de « navires propres ».

Une des pistes d'amélioration du plan de charge des chantiers navals passe une reconversion vers des produits nouveaux tels que les centrales électriques fonctionnant à partir de la houle ou des courants marins.

Les activités de défense n'étant pas soumises aux règles de l'OMC, ce levier d'action est par ailleurs un des rares moyens disponibles pour donner à l'industrie navale la capacité de surmonter la crise actuelle.

Il est certain que l'Union européenne devra dégager très rapidement des solutions si nous voulons éviter une nouvelle « saignée » dans la construction navale.

La communication du 15 octobre 2009 sur la politique maritime de la Commission européenne définit six orientations stratégiques dont les modalités de mise en oeuvre seront précisées en 2010. Une proposition relative à l'intégration de la surveillance maritime, partage des outils et des données, et une communication sur la dimension internationale, qui souligne la nécessité pour l'Union européenne de s'exprimer d'une seule voix ou au moins de manière cohérente sur la scène internationale dans le domaine des affaires maritimes, complètent ce « paquet ».

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