Souvenez-vous : les Français avaient refusé la ratification de ce traité constitutionnel, car ils étaient déjà conscients du sort réservé au service public par la politique communautaire. Cette constitution, en libéralisant les services, scellait le sort des services publics à grande échelle en les qualifiant d'universels. Les services publics disparaissaient purement et simplement de la Constitution européenne à une exception près, à l'article III-238 qui dispose que « sont compatibles avec la Constitution les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes au service public ». Seul l'accès à des services économiques d'intérêt général était reconnu. Et pour cause !
Les SIEG, selon les termes du Livre vert et blanc de la Commission, ne doivent pas être confondus avec l'expression « service public » qui est moins précise. La notion de SIEG est plus précise que celle de service public, tout comme la notion de service universel. Le SIEG est défini comme se référant aux « services de nature économique que les États membres ou la communauté soumettent à des obligations spécifiques de service public en vertu d'un critère d'intérêt général ».
Ainsi, le service public doit être économiquement rentable et l'intérêt général n'est qu'un critère. Différence fondamentale avec notre conception du service public que partagent nos concitoyens, foncièrement différente de la définition qu'a pu nous en donner le Conseil d'État dans sa jurisprudence.
Pour cette juridiction, la notion de service public se définit matériellement comme une activité d'intérêt général gérée par une personne publique ou sous son contrôle étroit. Or placer La Poste sous le contrôle étroit d'une société anonyme n'est pas la meilleure façon d'assurer la pérennité de ses missions de service public. Les services publics nationaux sont la propriété de la collectivité.
Le Conseil d'État s'est d'ailleurs fait l'écho des réticences que provoque cette notion de service universel, en se demandant, dans son rapport public de 1994, si l'on ne risquait pas, avec ce concept, « d'immoler sur l'autel de la concurrence ceux des intérêts de la collectivité et des usagers ou consommateurs qui ne peuvent être assimilés à des intérêts vitaux et de réduire les stratégies de service public à des stratégies de type assistanciel ». Il redoutait alors « l'abandon du rôle prééminent de l'État face aux mécanismes du marché et sa relégation à une mission d'accompagnement de ceux-ci ». Le service universel est ainsi présenté comme un service de base, un service minimal, pour ne pas dire minimaliste, pour tous dont on peut craindre qu'il ne conduise à un nivellement par le bas.
Ce rapport, dit rapport Belorgey, réaffirmait que le service public devait procéder de la force gouvernante, car il renvoyait à la notion de souveraineté nationale et qu'il était un élément fondateur du pacte républicain, au même titre que la démocratie représentative, car il renvoie à la notion de citoyenneté.
Votre projet de loi est donc inconstitutionnel, car il ne garantit pas la continuité de l'exercice des missions de service public, colonne vertébrale de La Poste. Les références au service universel ont beau être martelées tout au long du texte – puisque la répétition est la plus forte des figures de rhétorique, comme le disait Bonaparte il y a un peu plus de deux siècles –, elles sont loin de ce que nos concitoyens attendent d'un service public. Vous avez beau invoquer sans cesse les capitaux 100 % publics comme étant une garantie du maintien du service public postal, vous peinez à convaincre de vos bonnes intentions. Et pour cause !
Si l'association des termes « capital » et « public » sonne d'emblée dangereusement faux, cet argument l'est aussi. Même si le droit de la commande publique est riche en délégations, concessions de service public et autres partenariats public-privé, la meilleure garantie pour assurer un service public de qualité est d'en confier l'exercice à un organisme de droit public, totalement contrôlé par la puissance publique et géré par ses soins. L'intérêt de l'État, c'est l'intérêt général. Du moins, c'est ce dont il est censé se porter garant.
Il est vrai que le profit s'accommode facilement du service universel car, contrairement au service public, il n'a pas à être nécessairement confié à une autorité publique. Les différents traités européens l'ont abondamment utilisé et le traité de Lisbonne en a fait son outil privilégié de la politique communautaire de libéralisation des services publics.
C'est une excuse, un label, une étiquette, qui permet de rendre certains secteurs plus perméables aux lois du marché. La mobilisation rhétorique autour de ce concept, dans ce texte de loi, n'est ni anodine ni neutre pour la collectivité. Elle est purement idéologique.
La Commission européenne a décidé de sonner le glas des services publics dans l'ensemble de l'Union européenne. À présent, il faudrait d'ailleurs ajouter à la liste des critères de Copenhague qu'il faudra être prêt à brader et à libéraliser tous les secteurs publics et les services y afférents.
En 2007, onze pays s'étaient opposés à la libéralisation de ce secteur pour 2011, en exigeant au moins un sursis jusqu'en 2013. Afin que ne soit pas méprisé l'avis des représentants des citoyens, il serait d'ailleurs nécessaire, comme nous le demandons, que ces directives soient renégociées. Vous me donnerez acte, monsieur le président de la commission, que nous demandons régulièrement la renégociation de toutes ces directives.