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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 18 mai 2009 à 21h30
Organe central des caisses d'épargne et des banques populaires — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Oui, madame la ministre, dans la République sarkozyenne, ceux qui subissent un « préjudice » sont les voleurs, et les « bénéficiaires » sont les honnêtes salariés, qui pourtant ne parviennent plus à joindre les deux bouts. C'est cela, le renversement des valeurs dans votre régime ! Il est vrai que ce terme n'a pas le même sens pour vous, qui ne connaissez que les valeurs cotées en bourse, alors que les nôtres sont celles portées par le peuple français depuis la Révolution de 1789.

Les 110 000 salariés des diverses structures du groupe qui nous est proposé ne sont pas logés à la même enseigne ; ils ne bénéficieront pas des mêmes largesses que celles octroyées à M. Orsatelli et aux 3 000 salariés de Natixis qui ont encaissé 70 millions d'euros de bonus en 2008. La tentation sera même extrêmement forte d'utiliser la masse salariale comme variable d'ajustement pour tenter de redresser la situation financière des entités du groupe, après la suppression de plus de huit cents emploi ces derniers mois. Cette inquiétude est renforcée par le fait que, lors de son audition par la commission des finances de notre assemblée, M. Pérol a refusé de s'engager sur le maintien des effectifs, déclarant que « des adaptations aur[aient] lieu, mais [qu']elles se fer[aient] [...] par gestion des flux naturels », ce qui annonce clairement des coupes dans les effectifs. Nous considérons qu'aucune suppression de poste ne doit intervenir, au moins durant tout le temps où le groupe bénéficiera d'une aide publique.

La création de l'organe central des Caisses d'épargne et des Banques populaires par le présent projet de loi s'inscrit en effet dans un contexte de lourdes pertes financières de ces structures – respectivement 2 milliards et 468 millions d'euros –, comme de leur filiale commune Natixis – 2,799 milliards –, dont la gestion spéculative a entraîné une spoliation des petits actionnaires, lesquels, après avoir été harcelés pour souscrire des titres Natixis, ont, comme je l'ai dit, perdu depuis près de 18 euros par action. Dans ce contexte, il nous semble que les dirigeants du groupe doivent faire preuve d'une grande sobriété en matière de rémunérations, comme tous les responsables de sociétés bénéficiant de deniers publics.

La nomination de M. Pérol à la tête du nouveau groupe par oukase présidentiel est, en elle-même, l'un des problèmes que pose indirectement ce projet de loi, d'autant plus qu'une enquête préliminaire est en cours suite à des plaintes déposées pour prise illégale d'intérêts. De plus, le défaut de consultation de la Commission de déontologie de la fonction publique entache fortement la régularité de la nomination de M. Pérol, donc l'autorité de ce dernier. En effet, la Commission aurait du s'intéresser de très près au rôle de M. Pérol dans l'orchestration du rapprochement des Caisses d'épargne et des Banques populaires. Elle devrait en outre être intéressée par les responsabilités exercées par M. Pérol lors de son précédent départ de la fonction publique pour la banque d'affaires Rothschild & Cie en 2005. Voilà bien du pantouflage, madame la ministre, ou je ne m'y connais pas ! Il est vrai que, d'habitude, les intéressés se contentent d'une seule paire de pantoufles, alors que, dans le cas présent, elles sont renouvelées un peu trop fréquemment.

Le projet de loi a d'abord pour objet la création de l'organe commun chargé notamment de définir la politique et les principes de gestion des risques. Cela nous paraît insuffisant, et il nous semblerait logique qu'un groupe coopératif qui bénéficie en outre d'une aide de 5 milliards d'euros de l'État soit exemplaire en matière de transparence, d'éthique, et particulièrement pour ce qui concerne le refus d'utiliser les paradis fiscaux. Cela s'inscrirait d'ailleurs dans les engagements que les banques ont pris devant le Président de la République.

En effet, la presse a relaté, à la suite du G20 de Londres, qu'un nouveau chantier venait de s'ouvrir pour les banques françaises après les déclarations de Georges Pauget, président de la Fédération bancaire française. Ce dernier avait en effet promis à sa sortie de l'Élysée, après que Nicolas Sarkozy eut demandé aux banques de se montrer « exemplaires » dans l'application des décisions du G20, que ces mêmes banques prendraient des « initiatives pour ce qui relève des paradis fiscaux ». Devant des déclarations aussi prometteuses, les syndicats ont réagi positivement et l'intersyndicale des banques a appelé ses « militants à demander des comptes aux directions bancaires », notamment sur la liste exhaustive de leurs implantations dans les paradis fiscaux.

Le passage par les paradis fiscaux est fréquemment utilisé par les banques de financement et d'investissement dans différents types de montages, et ce pour des raisons diverses : optimisations fiscale, comptable ou réglementaire. Si l'aspect fiscal est paradoxalement le moins important, l'aspect comptable, lui, a permis aux banques de consolider leurs véhicules de titrisation en les domiciliant dans les paradis fiscaux, échappant ainsi aux contraintes prudentielles du régulateur. De plus, la souplesse réglementaire de certains paradis fiscaux permet aux banques, comme aux fonds alternatifs ou aux réassureurs, de faire très facilement des opérations entrant dans une catégorie pourtant très réglementée.

Nous considérons donc que l'interdiction du recours et des relations avec les paradis fiscaux inscrits sur les listes de l'OCDE et du Parlement européen doit être introduit dans le présent texte, afin de donner un signal fort et exemplaire : nous verrons, madame la ministre, ce qu'il en est des paroles fortes du Président de la République, lesquelles ont d'ailleurs en commun avec celles du discours de Toulon de septembre dernier de n'avoir pas été suivies d'effets, non seulement dans les délais promis, mais encore jusqu'à aujourd'hui.

L'État va fournir 5 milliards d'euros à ces banques, mais ne veut pas jouer un rôle d'actionnaire actif, représentant de l'intérêt général, ni, bien sûr, stabiliser sa participation pour asseoir son rôle dans la durée. Le groupe coopératif que vise à créer votre projet prendrait véritablement du sens s'il s'inscrivait dans le cadre de la création d'un pôle financier public et coopératif. La teneur de l'article L. 512-85 du code monétaire et financier, qui définit les missions d'intérêt général du réseau des Caisses d'épargne, en est une ébauche qu'il faut améliorer ; aussi proposons-nous que ces missions soient explicitement étendues par le texte de loi au réseau des Banques populaires, ce qui permettrait à l'ensemble créé de devenir un outil pour travailler à la sortie de crise par des investissements d'intérêt général.

Mais le pôle financier dans lequel nous souhaitons inscrire le nouveau groupe a une ambition beaucoup plus large. Cette idée, qui avait commencé à se cristalliser lorsque Lionel Jospin était Premier ministre, vous l'avez totalement abandonnée dès 2002 en faisant prévaloir les dogmes libéraux, les privatisations et la déréglementation.

L'essentiel est aujourd'hui de réorienter le crédit pour le mettre au service d'une nouvelle croissance créatrice d'emplois et respectueuse de l'environnement. Le pôle financier public doit favoriser, par des taux sélectifs, les investissements utiles des entreprises et des collectivités locales et pénaliser ceux qui vont à la spéculation.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que ce projet de loi est inadapté tant à la situation actuelle qu'à la nature et à la vocation des banques coopératives concernées. Il est dangereux. Il continue dans une logique qui a directement conduit à la crise bancaire et financière, et nous vous proposons donc d'adopter cette question préalable, pour ne pas aller vers de nouvelles catastrophes que votre conditionnement idéologique – le vôtre, madame la ministre, ou celui de nos collègues de l'UMP – risque, sinon, de rendre inéluctable.

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