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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 9 décembre 2009 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui une proposition de règlement européen, que la Commission européenne a présentée le 14 octobre dernier, et qui vise à simplifier les successions internationales. Cette proposition de règlement a fait l'objet d'un projet d'avis de la commission des Affaires européennes, adoptée à la suite d'une communication de notre collègue Guy Geoffroy en date du 17 novembre dernier. Cet avis a été rendu avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c'est pourquoi la procédure qui amène notre commission à examiner la présente proposition de règlement est une « procédure anticipée » de la procédure qui peut désormais être mise en oeuvre pour des avis formulés après le 1er décembre.

Je détaille, dans mon rapport écrit, les étapes de la procédure que nous appliquons ainsi que la procédure applicable pour les avis émis depuis le 1er décembre 2009.

De même, je vous signale que la commission des Lois du Sénat a adopté une proposition de résolution européenne, le 2 décembre, sur le même thème.

Notre commission des Lois a, elle, choisi à la fois de se prononcer sur l'avis de la commission des affaires européennes et de procéder à la publication d'un rapport d'information sur cette proposition de règlement.

L'importance des successions transfrontalières au sein de l'Union européenne a été mise en lumière dans un rapport d'étude d'impact réalisé par l'Institut notarial allemand, à la demande de la direction générale de la Justice et des Affaires intérieures de la Commission européenne.

Cette proposition de règlement s'inscrit dans la démarche initiée par la Commission européenne le 1er mars 2005, dans un Livre vert intitulé : « successions et testaments ». Elle a ainsi ouvert une vaste consultation sur les questions soulevées par les successions internationales.

La proposition de règlement est une réforme ambitieuse, qui se fonde sur le constat que la diversité tant des règles de droit matériel, que des règles de compétence internationale ou de loi applicable, la multiplicité des autorités pouvant être saisies d'une succession internationale ainsi que le morcellement des successions qui peut résulter de ces règles divergentes, entravent la libre circulation des personnes dans l'Union européenne. Les personnes concernées sont donc aujourd'hui confrontées à des difficultés importantes pour faire valoir leurs droits dans le cadre d'une succession internationale. La présente proposition vise à permettre aux personnes résidant dans l'Union européenne d'organiser à l'avance leur succession et de garantir d'une manière efficace les droits des héritiers ou légataires, et des autres personnes liées au défunt ainsi que des créanciers de la succession.

Selon les données de la Commission européenne, chaque année environ 450 000 successions à l'échelle de l'Union européenne auraient un caractère international.

Le règlement proposé comprend trois mesures majeures.

La juridiction compétente et la loi applicable aux successions dans toute l'Union seraient, par défaut, celle de l'État de la résidence habituelle du défunt (article 4 de la proposition de règlement). L'ensemble des aspects de la succession relèverait d'une seule et unique loi.

Cependant, le testateur pourrait lui préférer expressément sa loi nationale pour organiser sa future succession (article 17 de la proposition de règlement).

Les décisions rendues par les juridictions compétentes seraient reconnues dans toute l'Union (c'est l'article 29 de la proposition de règlement) et un certificat successoral européen commun permettant d'alléguer de la qualité d'héritier dans l'ensemble du territoire européen serait créé (article 36 de la proposition de règlement).

L'appréciation que notre commission des Lois doit porter à ce texte se limite à en apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Comme notre collègue Guy Geoffroy l'a indiqué devant la commission des Affaires européennes le 17 novembre dernier, il convient de se concentrer sur ce seul contrôle, en réservant notre position sur le fond du texte à un moment plus favorable, lorsque les premières négociations auront permis d'apprécier les possibilités de compromis susceptibles de dégager une majorité commune.

Le contrôle du respect du principe de subsidiarité consiste à se demander si les objectifs poursuivis ne pourraient pas être atteints de manière suffisante par les États-membres. J'estime que le respect du principe de subsidiarité suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives : les objectifs poursuivis doivent être légitimes et répondre à un réel besoin qui ne peut être satisfait par l'intervention des seuls États-membres ; l'action européenne doit être autorisée par les traités ; le champ global des actions projetées – et non leur détail, qui relève du principe de proportionnalité – ne doit pas conduire à traiter au niveau européen des problèmes qui pourraient être plus efficacement résolus au niveau national.

Si ces conditions sont réunies, non seulement l'action européenne est conforme au principe de subsidiarité, mais elle doit aussi mobiliser tous les instruments propres à encourager une action efficace.

Dans le domaine des successions transfrontalières, la légitimité d'une intervention de l'Union européenne ne semble pas contestable.

Par nature, le règlement des successions transfrontalières fait intervenir plusieurs États. Il se heurte aujourd'hui à de très lourds obstacles qui s'expliquent non seulement par la grande diversité des dispositions nationales mais aussi par l'absence d'instrument international sur les conflits de juridiction et de loi puisque la convention de La Haye du 1er août 1989, qui harmonise les règles de conflits de droit entre ses signataires, n'a été ratifiée que par les Pays-Bas.

Si la majorité des États européens retiennent la compétence du tribunal et l'application de la loi de résidence du défunt (notamment le Danemark ou les Pays-Bas), d'autres lui préfèrent la loi de sa nationalité (c'est le cas de l'Allemagne, de l'Italie, de la Grèce ou de la Suède). Par ailleurs, les États disposant du code civil dit « Napoléon » (France, Belgique et Luxembourg) soumettent tous les immeubles situés sur leur territoire, quels que soient la nationalité et le domicile de leur propriétaire, à leur loi successorale nationale, que les tribunaux de common law peuvent étendre à l'ensemble de la succession dès lors qu'un seul bien est situé sur le territoire du pays concerné.

Par ailleurs, cette intervention européenne est prévue par les traités, puisque l'article 65 du traité instituant les Communautés européennes prévoit explicitement que l'Union peut adopter des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles afin, d'une part, « d'améliorer et de simplifier la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires et extrajudiciaire » et, d'autre part, de « favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétence ».

L'intervention européenne est soumise à deux conditions, satisfaites dans la proposition qui nous est soumise : les matières traitées doivent avoir « une incidence transfrontière » et les mesures doivent être prises « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».

La Commission européenne rappelle, dans l'exposé des motifs de la proposition de règlement, qu'elle estime que le droit successoral, en raison de ses aspects patrimoniaux prépondérants, est distinct du droit de la famille. Cependant, pour que la proposition de règlement puisse être considérée comme autonome à l'égard du droit de la famille, elle ne doit pas conduire à altérer la protection des liens familiaux. En droit français, il convient de s'assurer que les mécanismes de réserve héréditaire sont suffisamment protégés.

Enfin, le champ d'intervention de la proposition de règlement respecte les limites fixées par le principe de subsidiarité. En effet, la proposition de règlement ne propose pas d'harmonisation du droit matériel des successions. Elle ne modifie en rien les règles relatives à la validité des donations, au régime des trusts successoraux, au régime fiscal ou au régime de propriété des successions. L'ensemble de ces règles demeure de la compétence exclusive des États-membres.

Les conditions de respect du principe de subsidiarité semblant réunies, il convient d'examiner si la proposition de règlement met en oeuvre les instruments propres à encourager une action efficace de l'Union européenne en la matière.

J'observe que la proposition de règlement prévoit que la loi successorale retenue régira l'ensemble des opérations successorales, de son ouverture à sa liquidation – y compris donc les opérations de partage et de prise en compte des libéralités dans le calcul des parts héréditaires – afin d'en simplifier autant que possible le règlement. Elle s'imposera à toutes les « juridictions » des États-membres. Je rappelle que la notion de « juridiction » inclut notamment les officiers ministériels français que sont les notaires.

La proposition de règlement prévoit la reconnaissance mutuelle des actes authentiques qui jouent un rôle décisif dans le règlement des successions. Je tiens à souligner que cette reconnaissance des actes authentiques ne concernera que le seul règlement des successions à l'exclusion de toute autre matière.

La proposition de règlement prévoit la création d'un certificat successoral européen unique. Il sera émis par le tribunal ou l'officier ministériel compétant pour régler la succession. Ce certificat constituera, pour son bénéficiaire, la preuve de la qualité d'héritier.

Le contrôle du respect du principe de proportionnalité consiste à se demander si l'action européenne excède ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. La proposition de règlement tend à soumettre l'ensemble des biens de la succession à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt. De ce fait, elle n'est pas sans conséquence sur notre droit national.

En effet, l'unité successorale est inconnue du droit français. En effet, notre système, dit « scissionniste », opère une distinction entre les biens meubles, soumis à la loi du domicile au jour de son décès, et les immeubles, soumis à leur loi de situation, conformément à l'article 3 du code civil. Notre droit présente l'intérêt de faire coïncider la loi successorale et la loi réelle du bien.

Même si la logique de notre système de droit n'est pas contestable, il peut apparaître comme particulièrement complexe. En effet, il implique que, s'agissant de successions transfrontalières, plusieurs masses successorales soient soumises à des règles et des juridictions différentes.

Les avantages induits par l'application d'une seule et même loi à l'ensemble de la succession semblent dans ce contexte dépasser les inconvénients que nous impose le renoncement au régime « scissionniste », dès lors que deux conditions sont réunies : que le régime réel des biens relève exclusivement de leur loi de situation et que l'unité successorale ne conduise pas à priver d'effets les dispositifs de réserve héréditaire que notre régime « scissionniste » avait notamment pour effet de protéger.

La première condition est satisfaite par la proposition de règlement. Je relève que l'article 9 de la proposition de règlement précise notamment que les juridictions de l'État-membre de situation des biens demeurent compétentes pour prendre toutes mesures relevant du droit réel relatives à la transmission du bien, son enregistrement ou son transfert dans le registre de publicité.

La seconde condition n'est pas pleinement remplie par la proposition de règlement.

Le rattachement à la loi de la dernière résidence habituelle semble cohérent. En effet, la principale plus-value de la proposition de règlement consiste à définir un critère simple et objectif pour rattacher l'ensemble de la succession à une loi prévisible, celle de la résidence habituelle. C'est d'ailleurs cette même loi qui est aujourd'hui appliquée en France pour l'ensemble des biens meubles d'une succession transfrontalière.

Ensuite, l'introduction d'un choix alternatif limité à la seule loi de la nationalité apparaît justifiée. La proposition de règlement permet au testateur de choisir une autre loi applicable à sa succession afin de planifier plus aisément sa succession et de préserver les liens particuliers qui l'attachent à un autre État que celui dans lequel il réside.

Pour autant, il convient de se prémunir contre la tentation de certains testateurs d'optimiser l'utilisation des différents systèmes juridiques européens ; la proposition de règlement limite donc le choix du testateur à la seule loi de sa nationalité. C'est ce que fait l'article 5 de la proposition de règlement.

On peut déplorer que la protection des mécanismes de réserve héréditaire demeure insuffisante. Si la Commission européenne retient la possibilité pour le testateur de choisir que la loi de sa nationalité sera applicable à sa succession, il convient cependant que la proposition de règlement européen ne conduise pas la France – et l'essentiel des États-membres continentaux – à renoncer à l'application des mécanismes de réserve héréditaire qui constituent un élément fondamental de notre droit civil.

La proposition de règlement mettrait en échec deux dispositions du droit français. En premier lieu, le deuxième alinéa de l'article 3 du code civil dispose que « [l]es immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». En second lieu, l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l'abolition du droit d'aubaine et de détraction permet, en cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, que « ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ». Ce droit de prélèvement ne semble, de toute évidence, pas compatible avec le régime proposé par la Commission européenne.

Si elle devait entrer en vigueur dans sa rédaction actuelle, la proposition de règlement aurait des conséquences difficilement acceptables. On pourrait en effet imaginer qu'un tribunal français soit contraint d'appliquer des mécanismes de réserve héréditaire moins favorables ou de ne pas appliquer du tout de tels mécanismes, pour régler la succession de défunts résidant dans un autre État mais dont la majorité du patrimoine, ainsi que la résidence ou la nationalité des héritiers seraient françaises.

De même, ce texte permettrait à des Français de contourner les obligations de la réserve héréditaire en fixant par exemple leur résidence habituelle en fin de vie dans un pays qui ne connaît pas de mécanisme protecteur équivalent.

Je juge donc nécessaire, comme d'ailleurs la commission des Affaires européennes de notre assemblée, que la Commission européenne examine des solutions alternatives.

J'estime essentiel que les modalités de la réserve héréditaire en vigueur dans le pays de résidence du défunt soient intégrées, lorsqu'elles sont plus favorables aux conjoints et aux enfants, à l'ordre public du for afin d'écarter l'application des dispositions moins favorables de la loi désignée par le testateur.

Une telle solution est écartée par l'article 27 de la proposition de règlement qui précise que « l'application d'une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne peut être considérée comme contraire à l'ordre public du for au seul motif que ses modalités concernant la réserve héréditaire sont différentes de celles en vigueur dans le for ».

J'observe également que la proposition de règlement pourrait utilement s'inspirer de l'article 23 de la convention de La Haye du 1er août 1989 qui permet aux États de préciser qu'ils ne reconnaîtront pas une désignation de professio juris lorsque la loi désignée prive « totalement ou dans une proportion très importante le conjoint ou l'enfant du défunt d'attributions de nature successorale ou familiale auxquelles ils auraient eu droit selon les règles de la loi de la résidence habituelle du défunt » et que ce conjoint ou cet enfant possède la nationalité ou réside habituellement dans l'État émettant cette réserve.

Afin d'empêcher les ressortissants d'un État-membre d'établir en fin de vie, dans le but de contourner les dispositions relatives à la réserve héréditaire, leur résidence habituelle dans un autre État-membre, il pourrait être également envisageable de permettre aux proches parents de saisir le tribunal de l'État de nationalité aux fins d'appliquer les modalités de réserve plus favorables de la loi de nationalité.

Afin de demeurer compatible avec l'objectif de prévisibilité des successions, cette solution audacieuse devrait cependant être étroitement encadrée. Le recours pourrait ainsi être réservé aux seuls héritiers jouissant de la nationalité du tribunal saisi et y résidant habituellement, ne porter que sur la succession d'un défunt ayant établi sa résidence habituelle dans un autre État depuis moins de cinq ans et n'être recevable que lorsque la loi successorale appliquée prive totalement ou dans une proportion très importante les héritiers de leur droit réservataire.

En tout état de cause, j'estime nécessaire que cette préoccupation soit intégrée à la proposition de règlement qui nous est soumise. C'est pourquoi je vous propose d'adopter le projet d'avis de la commission des Affaires européennes contestant la conformité de la proposition de règlement au principe de proportionnalité. Cet avis invite la Commission européenne à définir un mécanisme efficace de préservation des mécanismes de réserves successorales les plus favorables aux héritiers proches.

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