…mais aussi aux yeux du monde. Une union d'États souverains qui prétend mettre en commun suffisamment de souveraineté pour se doter d'un service d'action extérieure et parler d'une seule voix aux grands de la planète, doit savoir qui elle est. Je suis persuadé qu'une Union européenne qui ne parviendrait pas à définir ses frontières serait condamnée à perdre son identité, soit par congestion, soit par dilution.
Par congestion, en faisant adhérer des États en dépit du critère de la « capacité d'absorption » de l'Union. Cette notion est, à tort, souvent l'oubliée des célèbres critères de Copenhague. Parmi ces derniers, en effet, chacun connaît le critère politique de l'existence d'un État de droit, le critère de l'économie de marché et le critère juridique de la reprise de l'acquis communautaire. Mais la capacité d'absorption ou d'intégration d'un nouvel État membre figure bien dans les conclusions du Conseil européen de Copenhague de 1993, et la France a d'ailleurs beaucoup oeuvré à l'obtention d'un rappel et d'une clarification de ce quatrième critère.
L'affaiblissement de l'Europe par dilution serait à craindre si l'adhésion d'États trop lointains venait à rendre illusoire l'idée même d'approfondissement.
Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de remettre en cause les élargissements récents, ni ceux qui sont programmés à brève échéance, pour la Croatie et l'Islande. Ce que l'on appelle le « grand élargissement » de 2004-2007, même s'il fut un peu précipité, est l'aboutissement de l'un des idéaux fondateurs de l'Union européenne, avec la réunification du continent. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'élargissement dans sa forme actuelle n'est pas terminé : de façon comparable à la Croatie, les États des Balkans ont vocation à adhérer. Il en va de même, à plus long terme, bien sûr, du fait de leurs liens historiques, géographiques, spirituels et même culturels avec les pays de l'Union, de l'Ukraine, de la Biélorussie et probablement de la Moldavie. Quant au cas islandais, il fait immédiatement penser aux États membres « naturels » que sont la Norvège et la Suisse, s'ils le souhaitent.
Mais après ? Après, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n'y aura plus de raison d'élargir l'Union car tous les États européens auront adhéré. L'Union européenne devra alors, plus que jamais, mener une ambitieuse politique de voisinage avec la Turquie, les États de Transcaucasie, d'Afrique du Nord et du Proche-Orient. Le Partenariat oriental ou l'Union pour la Méditerranée en sont de vivants exemples, qui doivent prospérer.
Mais j'y insiste : l'élargissement, en tant que tel, aura vécu. Il nous faut maintenant nous consacrer pleinement à l'approfondissement et à l'intégration.
À cet égard, je veux vous faire ici une proposition qui m'apparaît d'une grande portée symbolique et pratique : la France ne pourrait-elle pas suggérer à l'ensemble de ses partenaires de transformer l'actuelle direction générale de la Commission européenne chargée de l'élargissement en direction générale chargée de l'intégration ?
Au-delà d'un simple changement de dénomination, il s'agirait d'envoyer un message fort, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'Union. À l'intérieur, pour donner enfin à tous les Européens les repères dont ils ont besoin, c'est-à-dire des frontières identifiables, une identité européenne à cultiver et à renforcer.
Le message adressé à l'extérieur serait lui aussi éloquent : nous dirions au monde que nous avons atteint notre masse critique, et que l'idée d'une Europe condamnée à se diluer dans un grand marché déstructuré aura vécu. En revanche, ceux qui attendent l'avènement d'une Europe mieux et plus intégrée sauront que cette Europe-là est en marche, et pour de bon. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)