…de creusement des inégalités, toutes les statistiques de l'INSEE le confirment, mais elle est en outre inefficace, car on attend toujours que les riches que vous avez invités à revenir rapatrient leur fortune en France, madame la ministre.
Quand nous insistons pour l'abrogation du bouclier fiscal ou, à tout le moins, pour sa suspension pendant le temps de la crise, c'est aussi pour en finir concrètement avec cette inefficacité. C'est aussi pour cela qu'a contrario, nous sommes un certain nombre à proposer que tous les ménages bénéficient d'un doublement exceptionnel de la prime pour l'emploi. Cela procurerait des revenus supplémentaires à ceux qui en ont le plus besoin, et qui ne se réduisent pas aux bénéficiaires des minima sociaux comme vous le dites ces derniers temps. Arrêtons de creuser un fossé entre les bénéficiaires des minima sociaux et la classe moyenne ! Cherchons, au contraire, à réunifier la classe moyenne !
À cet égard, je m'attarderai un instant sur l'exonération de cotisations sociales pour les heures supplémentaires, une des mesures qui, selon vous, contribuerait à augmenter le pouvoir d'achat – je néglige l'exonération d'impôt : on a en effet constaté, à la lecture des chiffres que vous avez fournis, que cela ne représentait quasiment rien, ce dont on se doutait car les personnes concernées ne paient que peu d'impôt. Nous avons non seulement contesté la logique politique sous-tendant cette disposition, mais nous avons surtout alerté sur son danger économique et sur son peu d'efficacité. En période d'expansion, il peut y avoir là, peut-être, un élément de souplesse pour des entreprises rencontrant des difficultés à embaucher pour faire face à de brusques augmentations de commandes, mais nous nous trouvons aujourd'hui, tout le monde en convient, dans une situation exactement inverse. Il est donc logique de s'interroger sur l'efficacité d'une exonération de cotisations sociales qui a coûté, selon vos chiffres, plus de 4 milliards d'euros l'an dernier.
Sur ce point aussi, je voudrais vous inviter, comme d'autres, à sortir d'une sorte de dogmatisme, de ce discours sur le « travailler plus pour gagner plus » qui apparaît complètement décalé quand la grande question est de ne pas gagner encore moins ou, tout simplement, de continuer à travailler. Nous proposons au contraire que soient étudiées concrètement, entreprise par entreprise, des mesures d'aménagement et de réduction du temps de travail pour éviter les licenciements. Vous nous ressortirez sans doute votre discours apocalyptique sur les 35 heures, mais vous aurez bien tort. Souvenez-vous que c'est également en période de crise – en 1993, si j'ai bonne mémoire – qu'a été votée la loi de M. de Robien, qui n'est pas de notre bord, sur la réduction du temps de travail. Vous répondrez peut-être que c'était purement défensif. Toutefois, n'est-ce pas un des objectifs de la période actuelle que de défendre les emplois avant de songer à en créer de nouveaux, ce qui sera possible lorsque l'activité repartira ? Ne menez-vous d'ailleurs pas une politique défensive lorsque vous proposez des mesures d'urgence pour l'automobile ou la construction, ce que personne ne vous reprochera ?
Épargnez-nous donc votre rengaine totalement décalée sur le « travailler plus pour gagner plus » et regardez comment agissent les pays qui subissent la même crise. J'imagine, par exemple, que Carlos Ghosn, le PDG du groupe Renault-Nissan, aurait un peu de mal à nous dire que ce qui va être fait pour les usines Nissan au Japon est inenvisageable pour les usines Renault en France. Nissan, groupe tout ce qu'il y a de plus capitaliste, de plus privé et de plus mondialisé, a en effet décidé de proposer des accords de réduction du temps de travail pour préserver l'emploi dans ses usines. Si je prends cet exemple, c'est parce que je crois vraiment nécessaire de réfléchir à des actions totalement nouvelles, en rupture avec ce qui se pratique depuis quelques mois et, a fortiori, depuis deux ans.
Je pense aussi que vous ne pouvez pas affirmer, comme l'a fait le Premier ministre, qu'aucune nouvelle mesure ne sera prise après la mobilisation de ce jeudi 19 mars. Si c'est une manoeuvre pour tenter de dissuader les Français de manifester, la ficelle est un peu grosse et je ne doute d'ailleurs pas qu'ils seront nombreux à démentir votre espoir. Mais si c'est une position de fond, c'est encore plus grave, car cela signifierait qu'après le vote du nouveau plan que vous nous proposez aujourd'hui, vous resterez passifs, que vous attendrez, sans rien faire, que l'activité reparte. L'attitude est peu concevable, même venant de vous. Il conviendra de nouveau d'agir, car l'activité économique comme les problèmes bien réels de revenu et de pouvoir d'achat que rencontrent nos concitoyens l'exigent. Nous ne pouvons que souhaiter vous voir encore réagir dans les prochaines semaines et nous présenter un nouveau projet de loi de finances rectificative.
On pourrait parler de bien des sujets qui ne sont pas traités dans ce projet. Vous avez, par exemple, proposé le versement de la prime de solidarité active de 200 euros dès le 1er avril : pourquoi n'est-elle pas attribuée aux bénéficiaires de l'allocation adultes handicapés ou aux bénéficiaires de l'allocation supplémentaire d'invalidité ? Nous pourrions aussi évoquer les emplois aidés. Ils ne doivent évidemment pas devenir le coeur d'une politique durable de l'emploi, mais ils peuvent jouer un rôle important dans une période, comme celle que nous connaissons aujourd'hui, de forte montée du chômage. Ils ont aussi, par les besoins qu'ils satisfont, leur importance pour le revenu, pour le maintien dans le travail, mais aussi pour la cohésion sociale. Or vous n'apportez toujours pas de réponse aux problèmes concrets d'un certain nombre de secteurs comme les emplois de vie scolaire, par exemple. Nous pourrions également citer la politique d'insertion qui devrait être renforcée, politique dans laquelle les entreprises d'insertion ne voient malheureusement toujours pas clair après le Grenelle de l'insertion. Et cette énumération est loin d'être exhaustive !
Je dirai un mot de l'industrie. Nous sommes, je le crois, nombreux à être déçus et inquiets de constater que le Gouvernement ne prend pas davantage à bras-le-corps deux questions essentielles : celle de la régulation du commerce mondial sans laquelle notre industrie va peu à peu se désintégrer au profit des pays à bas coût de main-d'oeuvre, et celle, que j'évoque fréquemment, de la conversion écologique de notre industrie. Sur ce dernier point, je me contenterai d'un exemple pour démontrer qu'il ne s'agit pas d'une utopie et qu'il y a au contraire matière à actions concrètes : l'usine Ford de Blanquefort, en Gironde, vendue par le groupe Ford et menacée de disparition, a été reprise par un industriel allemand qui a d'emblée annoncé qu'il investirait dans la production d'éléments pour l'énergie éolienne. Cela prouve qu'il faut dès maintenant investir de l'argent public pour soutenir les activités d'avenir.
Je regrette que vous ne soyez pas plus précise, s'agissant du secteur automobile et des contreparties auxquelles se seraient engagés les constructeurs installés en France, qui ont, ces dernières années, beaucoup délocalisé…