Madame la ministre, monsieur le ministre, au point où nous en sommes de notre débat, je ne vous ferai pas reproche de l'excessive prudence de ce second plan de relance. Nul doute qu'il pèche par l'insuffisance des moyens mobilisés, en particulier en faveur du soutien à la demande et au pouvoir d'achat. Mais là, me semble-t-il, n'est peut-être pas l'essentiel.
Ce dont je vous ferai reproche en revanche, c'est de ne pas assumer les raisons de cette prudence, et de ne pas permettre, par voie de conséquence, que s'engage un véritable débat sur les fondements de votre politique. Ces raisons, quelles sont-elles ? Et pourquoi éprouvez-vous tant de gêne à les assumer ?
Il est clair tout d'abord – je le dis pour le regretter – que le Gouvernement hésite sur la conduite à tenir. Il hésite parce qu'il redoute que la relance – qu'il prépare, qu'il annonce, qu'il prétend mettre en oeuvre – ne se fasse pour les autres, c'est-à-dire au bénéfice de nos partenaires – et aussi concurrents – européens. Cette crainte n'est certes pas dénuée de tout fondement. Mais on peut la trouver curieuse dans le contexte actuel. Elle revient en effet à admettre que l'Union et la zone euro abordent cette nouvelle phase de la crise en ordre dispersé, avec des politiques non coordonnées.
Mais n'était-ce pas la France qui exerçait la présidence de l'Union au cours du dernier semestre ? Le Président Sarkozy n'avait-il pas mis en scène un « plan de relance européen » ? Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? La vérité, c'est que l'opinion semble avoir été victime d'une illusion économique et politique, et j'oserai dire d'une habile mais inacceptable manipulation médiatique.
Ce dont nous souffrons aujourd'hui, et qui explique votre prudence, explique du même coup que vous mobilisiez au service de la relance moitié moins que ne fait le gouvernement américain. Ce qui explique votre prudence et votre difficulté à l'admettre, ce n'est pas la réussite mise en scène, mais bien l'échec de la présidence française de l'Union européenne sur la question cruciale de la manière de coordonner l'action et les politiques des gouvernements européens.
De l'agitation déployée par le Président de la République, il ne reste, à l'heure des comptes, qu'une triste réalité : le chacun pour soi l'a emporté. Ce n'est pas moi qui le dis, mais tous ceux qui sont amenés à s'exprimer sur ces sujets – observateurs extérieurs du FMI, comme certains membres des différents gouvernements de l'Union européenne.
Dès lors, pourquoi ne pas redéfinir notre ambition européenne en la matière ? Pourquoi nous montrer, là aussi, si frileux sur les propositions que nous pourrions faire ? Je sais, madame la ministre, que vous avez été active lors des dernières rencontres sur les paradis fiscaux, que vous avez insisté pour que de nouvelles règles soient fixées, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais voit-on, qu'il s'agisse de la fiscalité ou du soutien à des secteurs comme l'automobile, le début du commencement de l'esquisse d'une véritable coordination de ces politiques ? Et c'est cette absence de coordination qui nous pénalise aujourd'hui.
La seconde raison de votre frilosité est que vous considérez – à juste titre, d'ailleurs, me semble-t-il – que la crise n'a pas encore livré tous ses secrets. La situation de nos banques est peut-être à ce point dégradée, l'opacité de leurs comptes est en tout cas à ce point suspectée que perdure un déficit de confiance qui gèle le crédit et empêche toute reprise.
Comment expliquer autrement, alors que des milliards d'euros ont déjà été injectés, que le rythme de croissance du crédit ait diminué de moitié en janvier et en février par rapport au dernier trimestre de l'année passée ? Disons-le tout net : tant que la confiance ne sera pas rétablie dans la capacité de nos institutions de crédit à assumer pleinement leur rôle – et aussi leur passif –, il ne pourra pas y avoir de véritable redémarrage !
Pourquoi, dès lors, ne pas relever franchement le défi et donner l'exemple, ou plutôt suivre celui des Suédois et des Finlandais ? Pourquoi ne pas enclencher une nationalisation partielle, provisoire de nos institutions bancaires qui constituerait un formidable choc politique et financier de nature à recréer la confiance de la nation, mais aussi à faire école à l'échelle de l'Union européenne ?
Madame la ministre, monsieur le ministre, si je comprends votre prudence, je ne comprends pas votre attentisme, votre hésitation à agir, votre refus de vous situer à la hauteur des défis. Si vous ne tentez pas de relever celui d'une vraie coopération européenne, vous resterez empêtrés, et nous avec, dans les demi-mesures, les demi-plans de semi-relance. Et si vous ne vous décidez pas à prendre à bras-le-corps le problème de notre système de crédit, vous ne parviendrez pas à ressusciter la confiance sans laquelle ni la consommation ni l'investissement ne repartiront.
Ce que nous condamnons dans votre politique, c'est que vous abordez cette crise de biais, et non de front. Ce que notre économie et nos emplois paient comptant !
C'est d'ailleurs cette même prudence qui vous fait hésiter au seuil des changements que vous devriez apporter, par simple bon sens, à votre politique ; ces changements sont nécessaires simplement parce que cette politique ne correspond plus aux exigences du moment.
Comment, dans ces conditions, s'étonner de la colère qui gronde ? Le désenchantement social est alimenté non seulement par la crise économique, mais également par l'incapacité qui est la vôtre de faire comprendre ses enjeux et d'adapter vos dispositifs économiques et fiscaux à ses conséquences. Ainsi en va-t-il des heures supplémentaires : comment peut-on justifier qu'il soit plus facile de payer des heures supplémentaires que de financer une heure de travail normale ? Comment peut-on encourager les heures supplémentaires tout en prétendant vouloir défendre l'emploi ?
Et pour les mêmes raisons, pourquoi ne pas revenir sur le bouclier fiscal, comme vous y pousse une partie de votre majorité ? Comment ne pas voir que l'injustice ressentie de ce fait par nos concitoyens menacés dans leur emploi attise les tensions plus qu'elle ne les apaise ?
Pourquoi vous montrez-vous si timides face aux licenciements ? Au-delà de la réforme du chômage partiel, pourquoi ne pas tout entreprendre pour les prévenir et offrir aux entreprises et aux salariés de véritables alternatives ? Pourquoi l'imagination s'arrête-t-elle au seuil de la question sociale dans cette crise que nous devons affronter ? Pourquoi ne pas renforcer les compétences des comités d'entreprise et encourager la réduction du temps de travail, sur le mode défensif comme cela a été fait par le passé ?
Et pourquoi n'intervenez-vous pas de manière plus active sur le marché du travail, en particulier pour favoriser la formation et la reconversion des salariés ? Pourquoi ne pas élargir les conventions de reclassement personnalisé aux fins de CDD ou d'intérim ? L'on pourrait ainsi multiplier les exemples de ce qui donnerait à votre action un vrai contenu, un véritable équilibre, un indiscutable élan qui font défaut pour mobiliser ce pays et son opinion !
Loin de contribuer à apaiser les tensions sociales, votre politique contribue à les exacerber. Dès lors, il est légitime de se demander pourquoi, avec votre gouvernement, vous faites prendre tous ces risques au pays. Ne voyez-vous pas, à la veille de la journée du 19 mars, que par votre entêtement, vous risquez de faire basculer la France de la crise économique dans la crise sociale ? Nul ne peut le souhaiter et nul ne pourrait s'en réjouir. Mais il est un moment où trop d'approximations, trop de mépris aussi, trop d'indifférence, provoque des réactions qu'il devient difficile de maîtriser. Nous avons avec vous l'addition de la prudence économique et budgétaire, dont j'ai rappelé les contestables motivations, de l'attentisme social, que j'ai dénoncé, et de l'injustice fiscale, que Jean-François Copé vient encore de justifier par cette formule extraordinaire : « Ce pays a besoin des riches. » Et les autres ? Que peuvent-ils espérer des pouvoirs publics…