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Intervention de Alfred Marie-Jeanne

Réunion du 7 décembre 2009 à 17h00
Déclaration du gouvernement sur la consultation des électeurs de guyane et de la martinique et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Marie-Jeanne :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je sais gré au Gouvernement et, à travers lui, au Président de la République, d'avoir compris tout l'intérêt qu'il y avait à faire évoluer significativement le cadre statutaire de la Martinique.

Ce cadre n'est plus adapté aux exigences actuelles. Il agit à la manière d'un carcan, tant il scelle et bride l'initiative.

Devant cette situation de plus en plus ingérable, les élus martiniquais, réunis en congrès, ont proposé cette évolution en vue d'une gestion plus autonome d'un pan des affaires du pays.

Nous ne sommes pas des hors-la-loi. Notre rôle d'élus, c'est d'exercer aussi nos droits légitimes d'anticiper. D'ailleurs, nous n'avons pas attendu la crise de février-mars 2009, ni les états généraux qui s'ensuivirent, pour élaborer un document-programme, fruit de la réflexion commune.

De plus, je rappellerai pour mémoire qu'en décembre 2003, une consultation populaire a eu lieu, la première du genre, pour une contraction des deux assemblées en une. Il a manqué au oui 1 030 voix, soit moins de 1 % des suffrages exprimés.

À nouveau, l'électeur sera consulté le 10 janvier 2010 et au besoin dans la quinzaine qui suit. Quoi de plus démocratique ?

Et la question posée est sans équivoque. Elle est la reprise stricto sensu de la phrase qui fonde l'article 74 de la Constitution.

Elle dit sans ambages que « les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République ».

Cet énoncé n'est pas du tout abscons. Il relève du bon sens. À moins d'être un procédurier impénitent, ou un conservateur rétrograde, il n'y a pas là matière à susciter et à entretenir une quelconque querelle byzantine.

Que je sache, tous les partis politiques, excepté l'extrême droite, ont fait du principe de l'émancipation de l'homme, donc des peuples, le soubassement fondamental de leur doctrine.

Or, à mon grand étonnement, on assiste aujourd'hui, tant en Martinique qu'en France, à des coalitions hétéroclites, à des attelages insolites, qui tentent par tous moyens de galvauder ce principe.

C'est inattendu. C'est même contradictoire, lorsque l'on sait que le débat sur le changement en France bat son plein. La Martinique mérite mieux qu'un statut de chasse gardée.

Et puisqu'il doit en être autrement, des propositions concrètes ont été déclinées dans deux documents de travail : l'un émanant du conseil régional, l'autre du conseil général. J'ai cité le Schéma martiniquais du développement économique et l'Agenda 21.

Ces documents ont été officiellement remis au Gouvernement il y aura bientôt deux ans. Ils ont même servi de base aux différents ateliers des états généraux.

Cela dit, madame la ministre, souffrez que je vous interpelle dans l'unique but d'éclairer la lanterne des uns et des autres.

Il me semble que l'article 74 permet sans dommage l'évolution sollicitée. Il ouvre toute une panoplie de perspectives et offre ainsi des possibilités qui n'existaient pas auparavant. Il n'est pas figé. C'est l'ajustement permanent sur demande et sur mesure, et toujours après concertation et négociation.

Nos documents de travail formulent-ils une demande de référendum d'autodétermination ? Je réponds non. Car la question n'est pas relative à l'indépendance, mais bien à l'autonomie. Vous pouvez confirmer ou démentir, madame la ministre.

Hélas, nous faisons partie des bons derniers, sur Terre, à ne pas avoir encore obtenu cette autonomie. Notre incompétence serait-elle à ce point congénitale, nous qui regorgeons par ailleurs de tant de gens qualifiés !

Nos documents de travail portent-ils atteinte aux acquis sociaux, à la sécurité sociale et aux retraites ? Je réponds non. Car ce sont des droits absolus. Vous pouvez confirmer ou démentir, madame la ministre !

Nos documents suppriment-ils notre partenariat avec l'Union européenne ? Je réponds, là encore, non. Vous pouvez confirmer ou démentir, madame la ministre !

Nos documents menacent-ils le principe d'égalité, qui, si je ne m'abuse, est expressément repris dans le Préambule de la Constitution ? Évidemment non.

Est-il plausible d'attendre une nouvelle réforme de la Constitution pour une autonomie réputée plus conforme aux intérêts de la Martinique ? Surtout, n'esquivez pas cette question, madame la ministre !

Enfin, la loi organique peut-elle être façonnée et votée avant toute consultation populaire ? De grâce, n'esquivez pas cette question, madame la ministre !

Pour arriver à ce stade du débat, nul n'ignore qu'au vu et au su de tout le monde, des contacts ont eu lieu avec le Président de la République en personne, car rien ne peut se déclencher sans son consentement.

Cette démarche est tout à fait normale. Ceux qui la critiquent ont-ils une autre méthode d'approche ? Qu'ils le disent !

Et pour ceux qui prétendent encore ne pas être suffisamment informés, voici la synthèse des principaux sujets retenus dans les résolutions du congrès :

Que la collectivité territoriale de Martinique soit dotée d'une compétence d'adaptation des lois et des règlements. Qu'elle soit aussi dotée de compétences supplémentaires : dans le domaine économique ; dans celui de l'éducation, de la formation et de l'emploi ; dans celui des transports et de l'équipement ; dans celui du régime de la propriété publique. Il s'agit uniquement des biens et des terrains appartenant à l'État et qui pourraient être transférés. Pas de confusion en la matière !

Cette déclinaison comprend aussi : l'habitat et le logement ; l'énergie, l'écologie et l'environnement ; la santé et le social ; la fiscalité, bien sûr ; le sport et la culture : l'aménagement du territoire et du développement durable ; la coopération régionale et internationale ; la justice et la sécurité.

Comme vous le constatez, nos revendications ne sont ni superflues, ni excessives, ni impossibles.

Il va de soi qu'un certain nombre de ces compétences seront partagées avec l'État. De même, les collectivités conserveront leurs ressources habituelles, auxquelles s'ajouteront les moyens transférés.

Tout est soigneusement balisé. Il n'y a aucune panique à provoquer. Il n'y a aucune polémique stérile à entretenir. Il n'y a ni secret, ni entourloupette, ni grenn an ba fèy.

On cite à tout propos et hors de propos Aimé Césaire, en tronquant parfois ses écrits. C'est bien lui qui a dit, dans La Tragédie du roi Christophe : « Un pas, un autre pas et tenir gagné chaque pas, c'est d'une remontée jamais vue que je vous parle et gare à celui dont le pied flanche ». Que de pas non tenus ! Que de pas non gagnés! Que de pieds qui ont flanché ! En somme, quelle tragédie !

Et Frantz Fanon d'ajouter que « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Que de missions non remplies ! Que de missions trahies !

II est temps d'être au diapason de ces deux éclats de conscience qui, parmi tant d'autres Martiniquais, font honneur à leur pays, à la France, et également au monde entier.

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