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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 7 décembre 2009 à 17h00
Déclaration du gouvernement sur la consultation des électeurs de guyane et de la martinique et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a décidé de consulter les populations de la Guyane et de la Martinique sur une éventuelle évolution institutionnelle et statutaire de leurs territoires respectifs, les 10 et 24 janvier prochains.

Ces deux dates sont un moment important dans l'histoire de la Martinique, comme l'ont été 1946, ce grand moment qui consacrait 150 ans de lutte pour arracher l'égalité des droits, la fin du régime colonial, la fin de la spécialité législative qui autorisait toutes les inégalités et tous les dénuements, ainsi que 1956, année où une revendication fondamentale, celle du droit à la différence et du droit à la lutte contre toutes les formes d'assimilation et d'aliénation subies par les peuples colonisés, était proclamée par la fameuse Lettre à Maurice Thorez.

Cette consultation n'est pas seulement un événement pour nous, Martiniquais ou Guyanais, c'est aussi un événement pour la République française tout entière.

Soyons clairs, ce n'est pas une lutte pour plus ou moins de subventions ou de franchises. C'est une lutte plus fondamentale. C'est une lutte pour la reconnaissance de la personnalité collective du peuple martiniquais, ce qui fonde la revendication d'un droit à initiative, d'une autonomie capable d'instaurer l'expression de la différence sur un socle d'égalité et de solidarité incontestable ; une autonomie capable d'admettre qu'une loi puisse se construire localement sans que pour autant, le principe régalien de l'égalité des droits soit fragilisé, voire supprimé.

Or, les modalités de la consultation sont bien singulières : on vote d'abord, et le contenu de la loi organique est connu après ! Cela ne donne pas toute la transparence démocratique nécessaire pour permettre à la population de voter en pleine connaissance de cause.

Certes, madame la ministre, personne ne peut vous en vouloir, vous appliquez les textes en vigueur avec la plus parfaite honnêteté, et vous en avez fait la preuve tout à l'heure.

Aujourd'hui, on nous demande de nous contenter d'un service minimum : une heure trente de débat, dix minutes par député et, bien entendu, pas de vote, donc pas de décision avant le 10. La preuve est faite : nous, Martiniquais, sommes au stade des doléances, et vous le Gouvernement, conformément à l'avis du Conseil d'État de 2003, vous n'êtes tenu qu'à une information d'ordre général.

Le Conseil d'État est d'ailleurs très clair à ce sujet : « Les documents qui seront adressés par l'administration aux électeurs ne doivent contenir aucune autre information que celles relatives aux conséquences qui résulteraient nécessairement, en application de la constitution elle-même, du changement proposé, quelles que puissent être, par ailleurs, les modalités de statut de la nouvelle collectivité qui seront ultérieurement fixées par le législateur ».

C'est un bien curieuse conception de la bonne information des électeurs. Est-ce cette idée que la République se fait des droits politiques et des droits démocratiques dans nos différents pays ?

Mais si vous le permettez, madame la ministre, j'aimerais ici m'attacher à cette notion d'« égalité » pour tenter d'en faire le lieu d'une conscience républicaine ouverte.

Je dis d'emblée que l'égalité, ce n'est pas une demande d'assistanat. Ainsi, lorsque le débat sur notre autonomie s'est ouvert en Martinique, je dois avouer que je me suis d'abord référé à la devise de la République à laquelle j'adhère. Et je dirais même que c'est au nom de cette devise que, depuis Aimé Césaire, notre parti, le Parti progressiste martiniquais, a fondé sa revendication d'autonomie dans le cadre de cette République.

Autonomie dans une conception généreuse de cette notion de « liberté » : je le veux bien. Autonomie dans la « fraternité », cette fraternité qui sert aussi de base à la construction d'un monde plus juste et plus équitable : je le souhaite.

Mais autonomie dans la pleine reconnaissance de notre identité et de notre personnalité collective en tant que peuple : on en est loin.

Mais surtout : autonomie dans l'égalité des droits. Et c'est là que se pose le véritable problème.

Le dogme de l'État-nation a aussi conduit à cette conception d'une unité monolithique qui se traduit par une République dite une et indivisible. Une et indivisible, cela conduit à l'érosion, voire à la néantisation plus ou moins active de la différence.

Mais dans ce monde globalisé, une autre pensée s'affirme et devient essentielle, c'est celle de la diversité.

C'est cet esprit de diversité qui m'anime quand je défends la thèse de notre accès à un processus de responsabilisation. Mais dans le cadre actuel de la conception assimilationniste de la République, cela ne peut se concevoir clairement sans une fragilisation, voire sans une rupture de l'égalité des droits.

J'ai défendu la nécessité d'une période d'expérimentation, de transition qui viserait à transformer notre future assemblée unique, celle à laquelle conduirait la consultation du 24 janvier, en une « assemblée instituante », c'est-à-dire une assemblée qui nous permettra d'enrichir de notre différence le fond commun républicain.

C'est-à-dire une assemblée qui nous permettra de préciser, en préalable à toute décision, les détails, tout au moins les grands principes de la loi qui réglera le transfert des compétences dans le cadre d'un changement de régime constitutionnel.

C'est pour cela que je demande de voter oui le 24 janvier à la collectivité unique dans le cadre de l'article 73, que je considère comme une étape inaugurale d'une nouvelle ère de responsabilisation.

Comme nous refusons de nous enfermer dans le 73, nous considérons et nous disons bien qu'il s'agit d'un point de départ qui devrait comporter un pouvoir d'habilitation permettant aux autorités locales de légiférer au-delà de deux ans. La loi organique doit être revue à cet effet, puisque la Constitution ne prévoit aucun délai.

Je ne m'inscris pas dans cet article 74 tel qu'il est rédigé aujourd'hui, car il relève d'une conception étroite de la responsabilité. Il nous impose de décider avant même de savoir comment nous serons traités. Et dans son esprit, il proclame que toute accession à un degré réel d'autonomie doit se payer, de fait, par une fragilisation de la notion d'égalité.

Sur ce point, le comité Balladur est clair. Je le cite : « Un tel choix, celui du 74, emporte pour principale conséquence que le régime d'identité législative n'est plus garanti par la Constitution elle-même, mais par la loi organique, ce qui implique que s'ils étaient appelés à se prononcer sur cette question, les électeurs soient pleinement informés de leur choix.

Dès lors, la vraie question est de savoir comment concevoir l'égalité dans le cadre d'une République qui reconnaît le droit à la différence comme élargissement de l'espace de liberté.

La réponse doit venir d'une véritable constitutionnalisation de la notion d'autonomie, qui favorise l'élan des différences et des génies particuliers, sur le socle jamais remis en question de la liberté, de l'identité et de l'égalité.

Madame la ministre, l'article 74, tel que rédigé dans cette constitution, pose d'incontestables problèmes qu'il faut résoudre. Il ne conduit qu'à une autonomie de rupture, voire de sanction. La gouvernance qui en découle est tronquée, fragmentée, saucissonnée !

Alors, comment peut-on proposer pour la Martinique un développement dans le cadre de l'article 74, avec des compétences parcellaires, un pouvoir limité à l'adaptation des textes et des lois qui continuent à se faire en France, ici ? Comment peut-on libérer les énergies, la créativité et donner un cadre pour affronter les grands défis de ce monde, les drames sociaux et économiques qui minent nos pays, sans se donner les moyens d'une gouvernance globale et la possibilité de maîtriser les principaux leviers économiques ?

Ici même, dans cette assemblée, Aimé Césaire, parlant d'adaptation, disait : « Vous voulez adapter la loi française aux départements d'outre mer, autrement dit vous voulez changer le détail alors qu'il convient de changer l'esprit. C'est là une entreprise absurde, et tout le génie du monde n'y parviendra pas ».

De plus, le Conseil constitutionnel est sans concession à ce sujet. Il précise qu'« adapter la loi, ce n'est pas en altérer la substance car l'adaptation n'est pas la dérogation ».

C'est pour cela, madame la ministre, qu'il faut donner la main au peuple martiniquais. Et du coup, vous lui donnerez la plume : la première des libertés, c'est la liberté de l'esprit. Il faut alors éviter de nous prédéterminer dans un article étroit et inadapté : l'article 74.

Je crois comprendre que le peuple martiniquais veut avant tout être martiniquais, caribéen et exister dans l'ensemble européen et français dans le respect mutuel et dans la dignité. Cela lui donne autant de devoirs que de droits. C'est pourquoi cette collectivité unique ne peut être qu'un point de départ, un espace de recommencement, un premier espace d'auto-organisation.

J'ai compris que la réforme constitutionnelle de 2003 a ouvert la possibilité de régimes politiques à la carte, cela a été dit tout à l'heure. Si, en 2003, un pas a été franchi par des possibilités de légiférer localement, il nous reste à franchir un pas de plus.

Nous appelons à une transition constructive. C'est pourquoi nous vous interpellons, madame la ministre, solennellement. Le Président de la République a en effet ouvert une perspective le 26 juin 2009 en Martinique, à l'aéroport Aimé-Césaire, en déclarant que « la création d'une collectivité unique serait assortie d'un pouvoir normatif renforcé ». Il a même ajouté qu'après plusieurs années, et à l'issue d'une évaluation du fonctionnement de cette collectivité, une seconde étape, vers plus d'autonomie pourrait être engagée.

Quelles initiatives seront envisagées par le Gouvernement sur cette question fondamentale ?

L'outre-mer a jusqu'ici été le moteur de la modernisation de notre Constitution ; il est aujourd'hui indispensable que nous parvenions à la constitutionnalisation d'une véritable autonomie, comme en Espagne, en Italie et au Portugal – je pense aux Canaries, ou encore à Madère.

Au sortir de cette consultation, quel qu'en sera le résultat, nous serons confrontés à la nécessité d'une beauté nouvelle : celle de transformer cette constitution pour que cette diversité qui fait la richesse de la France puisse se vivre dans la liberté, dans la fraternité et dans l'égalité inaliénable ! Je demande que la représentation nationale se saisisse de cette perspective, et qu'elle nous accompagne dans ce combat commun qui sera le nôtre durant les mois qui viennent.

Je veux conclure en pensant aux 200 000 Martiniquais qui vivent ici, dans l'Hexagone, et qui seront malgré eux des spectateurs passifs au moment d'un choix décisif pour leur pays. Nous leur devons du respect. Nous avons besoin d'eux, comme ils ont besoin de nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe UMP.)

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