Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin d'année 2007, notre traditionnel et si attendu débat sur le budget de la défense et des forces armées intervient en plein coeur de la réflexion voulue par le Président de la République sur l'avenir de notre système de défense, de ses missions, de ses besoins.
Revue de programmes, Livre blanc, élaboration de la prochaine loi de programmation militaire sont et seront les moments forts de cette réflexion. J'ai donc tenu à inscrire mon intervention dans la logique de cette action engagée depuis cet été, en particulier en ce qui concerne l'avenir de notre marine.
Les forces navales tiennent dans notre système de défense une place bien particulière, dans la mesure où elles interviennent principalement dans trois domaines : la dissuasion, qui doit rester le pivot de notre défense, la projection de nos forces, qui nous permet de protéger nos intérêts vitaux partout dans le monde, et la protection de nos côtes, qui n'est pas une mince affaire avec les milliers de kilomètres de littoral, en métropole et outre-mer, que possède notre pays.
Nos forces navales sont tout d'abord un élément essentiel de notre force de dissuasion nucléaire. Celle-ci fait, depuis quelque temps, l'objet d'un débat. La question est de savoir si la France doit en conserver les deux composantes, navale et aéronavale, d'une part, aéronautique, d'autre part. Selon moi, c'est un faux débat. Si l'abandon de la composante terrestre de la force stratégique correspondait à l'émergence d'une situation géostratégique nouvelle en Europe, celui de la composante aérienne, proposé par certains, n'aurait pas de justification en termes de défense et correspondrait à une régression de nos moyens et de nos capacités.
En matière de dissuasion, nos forces navales ont un rôle prépondérant qu'aucun Président de la République n'a remis en cause depuis le lancement du Redoutable par le général de Gaulle en 1967. Le résultat de cet effort permanent est que notre flotte stratégique est en modernisation constante. Ainsi, dans quelques mois, le dernier SNLENG sera mis à la mer et, dans les années qui viennent, le missile M51, dont les premiers essais ont été une parfaite réussite, décuplera les capacités de nos sous-marins lanceurs d'engin.
Mais pour assurer le maximum d'efficacité à notre flotte stratégique, nous avons également besoin d'une flottille de sous-marins nucléaires d'attaque. Les SNA de la classe Rubis, en service depuis le début des années 80, arrivent en fin de vie et vont être remplacés par les Barracuda, dont Mme Alliot-Marie a lancé le programme à la fin de l'année dernière, d'ici à la fin des années 2010. Or, depuis quelque temps, nous entendons des bruits inquiétants sur le nombre de Barracuda qui seraient finalement mis en service et sur le calendrier de construction de ces bâtiments, qui représentent, il est vrai, un investissement considérable. Je veux affirmer ici haut et fort que toute amputation ou tout étalement dans le temps serait extrêmement dommageable. D'abord, pour l'efficacité et la crédibilité de nos forces navales : moins de SNA à la mer, c'est l'obligation pour le commandement de faire des choix entre la protection de nos SNLE et celle du groupement aéronaval, entre la dissuasion et la projection, et donc l'affaiblissement de nos capacités de défense. Ce serait également très dommageable pour notre tissu industriel. Il n'y a plus que deux pays au monde capables de construire des sous-marins nucléaires : les États-Unis et la France. Qui plus est, et nos amis britanniques sont bien placés pour le savoir, il est aussi difficile d'acquérir un savoir-faire dans ce domaine, qu'il est facile de le perdre rapidement et parfois à tout jamais. C'est pourquoi le programme Barracuda doit rester une priorité de l'équipement de nos forces navales, qui forment un tout et ne peuvent répondre efficacement aux attentes de la nation que si elles disposent de tous les moyens nécessaires.
Les forces navales ont également un rôle déterminant en ce qui concerne la projection. Je ne développerai pas la sempiternelle opposition que l'on peut faire entre projection de force et projection de puissance : les cinq minutes dont je dispose ne suffiraient pas pour explorer toutes les facettes de cette dualité. Je voudrais surtout vous parler de politique et de moyens capacitaires.
Sur un plan politique, nous devons absolument disposer de puissants moyens de projection, tant d'ailleurs dans le domaine naval, qu'aérien ou aéroterrestre. Outre une stricte utilité militaire, ils fournissent au Gouvernement un outil diplomatique dont la mise en oeuvre marque la détermination de la France à intervenir dans une crise, soit pour défendre ses intérêts vitaux, soit pour aider au rétablissement ou au maintien de la paix dans quelque partie du monde où elle est menacée. Lorsque le chef de l'État ordonne l'envoi du groupement aéronaval, par exemple dans l'océan Indien, c'est autant pour maîtriser les espaces aéromaritimes en disposant d'une force d'intervention que pour conforter nos alliés, pour respecter nos engagements internationaux, et conduire nos adversaires potentiels à réfléchir.
Or nous sommes aujourd'hui privés de cet outil absolument indispensable, puisque le Charles de Gaulle n'est pas opérationnel pour un an encore du fait de sa nécessaire grande révision. La réflexion sur la nécessité ou non de disposer d'un second porte-avions, même si une décision de principe a été prise il y a environ deux ans par l'ancien Président de la République, bat son plein. C'est le sujet le plus important sur lequel nous ayons à réfléchir aujourd'hui, car les décisions qui seront prises auront une influence sur nos capacités de défense pour le demi-siècle à venir. Trop souvent, on n'envisage l'intérêt d'un second porte-avions que comme une « suppléance » du Charles-de-Gaulle permettant de disposer d'un groupe aéronaval en permanence. Si cet argument est d'importance, il n'est pas, tant s'en faut, le seul qui milite en faveur de sa construction.
D'abord, si l'Europe se dote des deux CVF britanniques et du PA2 français, elle aura quatre vrais porte-avions. Le rapport entre les États-Unis et l'Europe passerait ainsi, au milieu de la prochaine décennie, de 12 pour 1 à 10 pour 4 ce qui nourrirait un sentiment réciproque de respect, à même de redynamiser et de rééquilibrer l'Alliance atlantique. Ensuite, le PA2 constituera un acteur polyvalent permettant d'assurer une projection de puissance avec une capacité de raids massifs impliquant jusqu'à deux fois vingt-quatre Rafale par jour et autorisant jusqu'à soixante-quinze missions aériennes quotidiennes ; la maîtrise de l'espace aéromaritime, grâce notamment aux missions dévolues aux avions de guet aérien ; le soutien des opérations à terre grâce à une forte capacité de commandement embarqué. Il permettra, enfin, d'assurer la dissuasion nucléaire. Enfin, les deux porte-avions auraient des vocations différentes et complémentaires. Rien ne serait plus faux que d'imaginer le PA2 restant amarré à un quai de Toulon, attendant que le Charles-de-Gaulle soit indisponible. Il sera à la disposition de nos aviateurs pour leurs entraînements d'appontage, qu'ils sont aujourd'hui contraints d'effectuer à grands frais sur des porte-avions américains ou brésiliens. Il servira également à l'entraînement de pilotes de pays qui sont intéressés aujourd'hui par ce type de bâtiment, par exemple l'Inde. Et puis, disposer de deux bâtiments de taille différente, de mode de propulsion différent, offrirait un surcroît de souplesse, l'un ou l'autre pouvant être utilisé en fonction des missions à remplir. Cette souplesse d'utilisation allongerait d'autant la durée de vie des deux bateaux.
Enfin, la construction du PA2 est un formidable challenge technologique et industriel. Ce programme a été estimé à un peu moins de 3 milliards d'euros, ce qui, au regard de la durée de vie du bâtiment, ne constitue pas un investissement démesuré.