À l'issue de ce subtil raisonnement, le tribunal fixe la condamnation à trente euros d'amende avec sursis. Ce jugement sera confirmé par la cour d'appel d'Angers qui, comme le premier juge, relèvera qu'il n'appartient qu'au législateur de constater le caractère obsolète d'une disposition prévue par la loi. Le maintien de cette incrimination d'offense au chef de l'État est-il politiquement justifié ?
Ce délit renvoie à l'ancien « crime de lèse-majesté», institué sous la république romaine et qui fut largement dénoncé, notamment par Montesquieu dans De l'esprit des lois, ce crime de lèse-majesté étant, pour lui, une composante substantielle de l'arbitraire royal. Je rappelle que ce délit spécifique a été créé, dans notre droit, à une époque où le chef de l'État était sans pouvoir ni responsabilité, comme le sont les rois dans les monarchies parlementaires.
Or dans la Constitution de 1958, et encore plus aujourd'hui avec un Président qui exerce de fait tous les pouvoirs, cette protection n'a plus aucune cohérence, d'autant que le Président bénéficie, lui, d'une immunité absolue, même lorsqu'il utilise une formule injurieuse. Je rappelle que ce délit d'offense exclut au surplus la possibilité pour le prévenu, en l'espèce celui qui portait la pancarte, de plaider l'exception de vérité comme en droit commun de la diffamation.
Ces arguments en faveur d'une désuétude politique rencontrent ceux en faveur d'une désuétude juridique. En effet, il existait dans notre droit un délit similaire d'offense à un chef d'État étranger, prévu par l'ancien article 36 de la loi du 29 juillet 1881. Or, dans une décision du 25 juin 2002, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui protège la liberté d'expression.
Dans sa décision, la Cour européenne retient notamment : « Contrairement au droit commun de la diffamation, l'incrimination de l'offense ne permet pas aux requérants de faire valoir l'exceptio veritatis, c'est-à-dire de prouver la véracité de leurs allégations afin de pouvoir s'exonérer de leur responsabilité pénale. Cette impossibilité de faire jouer la vérité constitue une mesure excessive pour protéger la réputation et les droits d'une personne, quand bien même il s'agit d'un chef d'État ou de gouvernement ».
Suite à cette condamnation de la France par la Cour européenne, nous avons expurgé cet article 36 du droit positif par la loi du 9 mars 2004, dite loi « Perben 2 ». Qui peut prétendre ici qu'il existe une différence juridique entre l'ancien article 36 et l'article 26, qui sont rédigés dans des termes identiques ?