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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 1er décembre 2009 à 21h30
Simplification et amélioration de la qualité du droit — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans son rapport public annuel consacré à la sécurité juridique, le Conseil d'État a exprimé, dès 1991, ses préoccupations quant à la complexification du droit : une complexité caractérisée par la prolifération désordonnée des textes, l'instabilité croissante des règles et la dégradation manifeste de la norme.

L'insécurité juridique et la dégradation de la qualité de la réglementation vont en effet de pair avec l'inflation législative, et il n'est pas étonnant qu'elle atteigne aujourd'hui des proportions préoccupantes pour un État de droit.

Quinze ans plus tard, en 2006, un nouveau rapport du Conseil d'État dénonce l'accentuation de la dérive signalée dès le début des années 1990. Il est en effet édifiant de constater que chaque année, entre 2000 et 2005, a vu en moyenne soixante-dix lois, cinquante ordonnances et mille cinq cents décrets s'ajouter au corpus existant. Cette augmentation entraîne une telle instabilité de la norme que, en moyenne, 10 % des articles d'un code sont modifiés chaque année.

Rappelons que, dans le seul domaine de la sécurité, vingt-trois lois ont été votées depuis 2002. Si l'efficacité de certaines reste à prouver, d'autres sont franchement contre-productives. Les statistiques, même officielles, en témoignent.

Force est pourtant de constater que la multiplication des annonces et autres initiatives élyséennes se traduit par la prolifération de nouveaux textes, qui renforcent encore la complexité du droit et ses corollaires, l'illisibilité, l'incohérence et l'inefficacité.

Au-delà de sa justification politique, la simplification du droit trouve également un fondement juridique dans les développements novateurs des jurisprudences constitutionnelles et administratives relatives à la reconnaissance d'un principe à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité du droit et d'un principe de sécurité juridique.

Nous sommes certes convaincus que la représentation nationale devait se saisir de cette question, en débattre et tenter de lui apporter les réponses nécessaires à la clarification, à la lisibilité et à l'applicabilité des normes. Mais, lorsque vous nous demandez de voter une cinquième loi dite « de simplification », nous voudrions qu'elle le soit vraiment. Or, nous sommes bien obligés de constater que ce ne sera pas le cas.

Pour certains, à l'exemple du professeur Pierre Delvolvé, la simplification du droit est « une formule si creuse et si vague qu'elle ne peut donner son unité à un dispositif qui part dans tous les sens ». Cette proposition en fait, selon nous, la parfaite la démonstration.

D'autres, comme le professeur Bertrand Seiller, notent que la simplification « peut être paradoxalement elle-même une source de complexité. » Il faut malheureusement reconnaître que les lois de simplification ont jusqu'ici plus souvent compliqué notre droit qu'elles ne l'ont simplifié.

Elles ont plutôt participé à l'inflation normative. Ainsi, les lois de simplification de 2003 et 2004 ont apporté des modifications aux codes rural et forestier, mais, selon les membres de la doctrine les plus avertis en ce domaine, notamment le professeur Yves Jégouzo, elles ont rendu ce pan du droit plus complexe encore.

Votre proposition de loi comportait à l'origine près de cent cinquante articles, de volume inégal. Ils sont aujourd'hui près de cent soixante-dix et abordent des thèmes aussi divers et complexes que le droit pénal, le droit rural, la fiscalité, la transposition de la directive « Services », les collectivités territoriales, les groupements d'intérêt public, le droit de l'urbanisme. Cela n'aurait-il pas justifié – soit dit en passant – que toutes les commissions de l'Assemblée soient saisies au fond ? Cela n'a pas été le cas. La seule qui ait été saisie – mais pour avis – est la commission des finances.

Vous avez donc composé une liste à la Prévert, plus longue encore que celle qui a abouti, lors de la précédente loi de simplification, à la lamentable affaire de la Scientologie. Tout le monde avait alors reconnu le problème. Je crains pourtant, à la lecture de cette proposition fourre-tout, que les leçons de cet épisode désastreux n'aient pas été tirées.

S'y ajoutent aujourd'hui les conditions affligeantes dans lesquelles vous nous demandez de légiférer. Convenez qu'elles ne sont franchement pas de nature à permettre à la représentation nationale de se prononcer en toute connaissance de cause, mais qu'elles confirment au contraire l'assertion selon laquelle « le législateur ne sait plus ce qu'il vote ».

Le président de la commission des lois se félicite du travail mené, pour la première fois, avec le Conseil d'État dans le cadre de la procédure de consultation sur les propositions de lois. Le moins que l'on puisse dire est que nous sommes, pour notre part, beaucoup plus circonspects. À la suite de la saisine du Conseil d'État par le président de l'Assemblée, onze rapporteurs ont été chargés de l'examen des différents articles, les cinq sections administratives ont été saisies du texte. Des représentants du Gouvernement et de l'administration centrale ont apporté leur contribution au travail des rapporteurs. Quel contraste entre, d'un côté, le temps et les moyens considérables consacrés au travail administratif et technique préparatoire, et, de l'autre, ceux, dérisoires, consacrés au débat démocratique du Parlement !

À l'évidence, la démocratie est de plus en plus malmenée dans notre pays. Le débat en commission s'est déroulé sans que nous ayons pu étudier dans le détail les cent cinquante articles initiaux de la loi. Le pré-rapport, qui comptait près de trois cents pages, n'a été transmis que quelques jours avant le débat en commission, et seulement par voie électronique. Ce n'est pas sérieux.

Comment voulez-vous qu'un parlementaire ne disposant pas des moyens d'expertise nécessaires réalise en quelques jours un travail équivalent à celui effectué en plusieurs mois par une armée de juristes du Conseil d'État ?

Cela pose au fond une question simple, que j'ai évoquée il y a peu, celle de savoir quel est le véritable titulaire du pouvoir législatif. N'assistons-nous pas, en l'occurrence, au déplacement du pouvoir délibératif du Parlement vers le Conseil d'État, en violation de l'article 24 de la Constitution ? Je le crois, et c'est une dérive dangereuse car le Conseil d'État n'est ni ne doit être le législateur.

Oui, je le crois, notre démocratie est malmenée !

À la lecture de l'intitulé de cette proposition de loi, on aurait légitimement pu s'attendre que ce texte n'ait pour objet que de résoudre les difficultés rédactionnelles, d'interprétation ou d'application de dispositions législatives existantes, soit qu'elles soient imprécises, complexes ou obsolètes, soit qu'elles constituent des contraintes inutilement lourdes, mais cette proposition va largement au-delà d'une simplification à droit constant. En réalité, une partie seulement des articles de ce texte clarifie des normes contradictoires ou imprécises. Les autres ne simplifient pas le droit : ils le modifient.

Il en est ainsi par exemple de ceux qui transposent des dispositions de la directive « Services ». Une proposition de loi de simplification du droit serait-elle devenue l'instrument juridique adéquat pour transposer une directive ? Ce n'est pas acceptable !

Nous déplorons que le Gouvernement n'ait pas choisi de déposer un projet de loi-cadre pour transposer une directive qui livre aux règles de la concurrence bon nombre de services. La représentation nationale aurait dû débattre spécifiquement de cette question majeure pour prendre à contre-pied le déficit démocratique inhérent à la construction européenne.

D'autres articles modifient le droit pénal, abrogeant massivement des dispositions du code pénal sans en préciser clairement ni les raisons ni les effets. Aucune étude d'impact n'a été portée à notre connaissance.

D'autres encore auraient mérité de faire l'objet d'un projet ou d'une proposition de loi ad hoc, tels les articles d'ordre fiscal ou ceux modifiant le code de l'urbanisme.

Quant aux autorisations de légiférer par voie d'ordonnance pour transposer des directives, considérez-vous qu'elles constituent une simplification du droit ? Je vous le demande !

Au fond, sous le prétexte de simplifier le droit, le Parlement est dessaisi de son pouvoir législatif. Cette façon de faire est indigne et méprisante pour la représentation nationale.

Oui, je le redis : une fois de plus, la démocratie sera malmenée, et nous ne pouvons l'accepter !

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, nous ne voulons plus travailler dans la précipitation, avec un ordre du jour surchargé. Nous voulons exercer nos prérogatives dans la sérénité.

Pour toutes ces raisons tenant à la méthode, nous rejetterons en bloc cette proposition de loi. Nous aurions pu soutenir un certain nombre des dispositions du texte, mais nous n'avons pas pu l'étudier dans sa totalité et nous ne sommes pas à l'abri de ratés tels que ceux que nous avons connus avec de précédentes propositions de simplification. Nous refuserons, pour notre part, de participer à une parodie de débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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