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Intervention de Grigol Vashadzé

Réunion du 25 novembre 2009 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Grigol Vashadzé, ministre des affaires étrangères de Géorgie :

Je suis très honoré par l'invitation de votre commission.

Je commencerai par quelques observations relatives à la situation économique de la Géorgie.

La récession globale n'a pas épargné notre pays, ajoutant aux séquelles de l'agression russe. Cependant, non seulement notre économie a survécu, mais son potentiel de croissance reste exceptionnel. Grâce à nos voisins russes, il est désormais établi que l'économie géorgienne peut survivre à presque tout !

La devise nationale est stable depuis août 2008. L'investissement progresse régulièrement, sans retrouver, malheureusement, le niveau de 2007. La politique de réformes menée par notre gouvernement a facilité cette stabilité en permettant la diversification de l'économie et en renforçant le secteur bancaire. Nous avons également bénéficié d'une importante aide financière internationale et nous en remercions particulièrement l'Union européenne et la France, qui a joué un rôle moteur en la matière.

La Géorgie est la seule économie émergente à avoir vu sa notation réévaluée par l'agence Fitch en 2009 pour ce qui est du risque souverain. Elle est également passée du quinzième au onzième rang mondial pour ce qui est de la notation « ease of doing business » de la Banque mondiale.

Le principal objet de nos réformes a été d'attirer les investissements, de libérer notre économie de la bureaucratie et de créer un environnement favorable aux affaires et à la croissance.

Ainsi, le nombre d'impôts a été réduit à six, nous envisageons de faire passer la taxe sur les profits de 15 à 12,5 %, et 95 % des importations sont libres de taxes. Le président de la Géorgie a récemment transmis au Parlement un projet de loi sur la liberté de l'économie conçu pour répondre strictement aux critères de Maastricht et pour inscrire de façon irréversible les principes de l'économie libérale dans notre législation. Nous voulons rapprocher notre économie de celle de l'Union européenne autant qu'il est possible, notre priorité étant l'intégration européenne et euro-atlantique.

Ce qui m'amène à un autre sujet crucial : la transformation de la Géorgie en une démocratie européenne. Nous reconnaissons volontiers que nous sommes loin d'être parfaits, mais nous faisons des efforts considérables dans la bonne direction, celle qui nous conduira à l'État de droit, au respect complet des droits de l'homme et de toutes les normes applicables dans l'Union européenne et dans l'OTAN.

Le Gouvernement a récemment installé une commission constitutionnelle dont la mission est d'élaborer une nouvelle Constitution améliorant l'équilibre des pouvoirs : renforcement des pouvoirs du Parlement, indépendance de la justice, accroissement des contraintes à l'égard du pouvoir présidentiel et du pouvoir exécutif en général, participation de l'opposition non parlementaire aux réformes constitutionnelles et judiciaires. Une réforme électorale a également été entreprise afin que les maires soient partout élus au suffrage direct. Le contrôle du pouvoir civil sur les secteurs de la défense et de la sécurité a été développé dans le sens du pluralisme politique et de la transparence. Par ailleurs, nous les ministres avons l'obligation de rendre compte de notre action au moins une fois par mois devant la commission parlementaire compétente, lors d'une séance de questions-réponses d'une heure, et parfois en séance plénière du Parlement.

Nous procédons également à des réunions du Conseil de sécurité nationale étendues aux dirigeants de l'opposition parlementaire et non parlementaire ainsi qu'à la société civile. Sur les quatre qui se sont tenues, une a été consacrée à la menace russe, une autre à l'ouverture du seul point de passage légal sur notre frontière avec la Russie.

Nous avons amélioré par voie législative le pluralisme des médias et nous avons créé un Conseil chargé de concevoir de nouvelles réformes démocratiques et de renforcer le rôle de l'opposition dans la vie politique.

Le nouveau code de procédure pénale, qui a fait l'objet de deux examens au Parlement et sera adopté prochainement, rompt avec les dispositifs hérités de la période soviétique. Les juges seront nommés à vie afin de ne plus subir de pressions, notamment politiques. Nous préparons une loi organique consacrée aux degrés de juridiction, ainsi qu'une charte de l'école supérieure de justice.

Par ailleurs, les partis politiques sont financés sur le budget de l'État et nous mettons en place, sur le modèle américain ou britannique, une chaîne de télévision politique ouverte gratuitement à l'opposition non parlementaire, aux organisations non gouvernementales, aux groupes d'intérêts, parfois aux simples citoyens.

Cette seconde vague démocratique vise à renforcer l'État de droit, le pluralisme politique et la liberté d'expression. Il est bien clair, dans l'esprit du Gouvernement et dans celui de la société, que nous suivons ce processus non pas pour plaire à nos alliés mais parce que, sans la démocratie, la Géorgie est ingouvernable. Nous sommes comme une usine qui doit continuer de produire en même temps qu'elle se modernise.

L'histoire de la Géorgie comportera à jamais deux phases : avant et après l'invasion de 2008, au terme de laquelle la Russie occupe 20 % de notre territoire et mène un nettoyage ethnique privant 35 000 citoyens géorgiens du droit constitutionnel de résidence, confisquant ou détruisant leurs biens, brûlant les villages pour y construire un « district Moskovski » résidentiel, etc.

Cependant, l'agression de 2008 n'est qu'un épisode. La guerre de la Russie contre la Géorgie a commencé en 1992 et a comporté des périodes plus tragiques : la guerre d'Abkhazie en 1992-1993, la guerre de la région de Gali en 1998, la guerre de la région de Tskhinvali en 2004.

Depuis le début des années 1990, la guerre en Abkhazie et dans la région de Tskhinvali a provoqué la mort de 50 000 personnes et a entraîné le déplacement de 500 000 personnes d'origine géorgienne, estonienne, ukrainienne, géorgienne, juive, grecque, russe, abkhaze, ossète. Or, pendant ces dix-huit années, la Russie disposait de tous les moyens pour assurer la résolution pacifique de conflits qu'elle a, par ailleurs, suscités, financés et dirigés. Au lieu de cela, elle a choisi de saper les fondements de la Géorgie en entretenant l'insécurité et la violence dans le Sud-Caucase.

La guerre de 2008 n'est ni un conflit ethnique ni une guerre civile. C'est la face visible de la guerre menée depuis 1991, mais jamais déclarée, par la Russie contre la souveraineté de la Géorgie.

Parmi les provocations, on peut mentionner : le déploiement sur le territoire national géorgien d'armements lourds et de troupes qui ont abattu nos drones ; l'abandon de l'engagement pris en 1996, dans le cadre de la CEI, de ne pas fournir d'armes ou de forces militaires à des mouvements séparatistes ; le décret du 16 avril 2008, par lequel le président de la Fédération de Russie prévoit d'établir des relations interétatiques avec l'Abkhazie et la région de Tskhinvali.

La Russie s'est bien livrée à une pure agression, telle que définie par la résolution du Conseil de sécurité des Nations unis du 14 décembre 1974 : invasion militaire de la Géorgie souveraine, bombardement de villes et villages, usage d'armements interdits, blocage de voies navales et terrestres, déploiement de mercenaires, etc.

Par ailleurs, la première agression a eu lieu le 1er août 2008, lorsque des bandes ossètes et les forces russes dites « de maintien de la paix », commandées par le lieutenant-colonel Timerman, ont commencé à bombarder la Géorgie. Ce même jour, nous avons emmené quarante-cinq diplomates pour leur montrer ce qui se passait : la destruction de villages géorgiens et, déjà, un flux important de réfugiés.

Avec cette agression militaire, la Russie a violé l'accord de Dagomys, de 1992, et l'accord de Moscou, de 1994. Les forces « de maintien de la paix » se devaient de respecter non seulement les quelque dix-huit résolutions du Conseil de sécurité et la Charte des Nation unies, mais aussi la Constitution de la Fédération de Russie. C'est bien pourquoi la Russie a adopté en 2009 une loi insensée relative aux conditions de l'emploi de ses forces armées à l'étranger : en effet, tous les crimes commis en 2008 tombaient sous le coup de l'article 353 du code pénal de la Fédération de Russie, relatif à la préparation, au financement et à la direction d'une agression militaire.

Le prétexte invoqué par la Russie – un supposé nettoyage ethnique – est entièrement réfuté par les preuves de nettoyage ethnique, viols, meurtres de civils et autres crimes commis par la Fédération de Russie sur le territoire géorgien.

Sur le terrain, la situation est très difficile. Les enlèvements de citoyens géorgiens se multiplient. L'usage du géorgien est interdit en Abkhazie, y compris dans les dernières écoles géorgiennes. Il est impossible de franchir la limite de la zone occupée pour rendre visite à des proches ou pour se faire soigner. Il n'y a plus aucun service d'éducation. Enlèvements, viols et expropriations sont de pratique quotidienne.

Face à cette situation, le peuple et le Gouvernement géorgiens ont adopté une attitude de « patience stratégique ». Nous avons conscience qu'il faudra des années pour voir le bout du tunnel et pour trouver des solutions viables. C'est pourquoi notre slogan est : développement, démocratie et intégration européenne.

Nous attachons une grande importance aux discussions de Genève, monsieur le Président. Nous sommes très reconnaissants à l'Union européenne d'avoir été si rapide, sous la présidence de M. Sarkozy, à négocier le cessez-le-feu et à déployer sa mission de surveillance, qui est une pierre angulaire de la sécurité et de la stabilité de la Géorgie. Le format des discussions de Genève nous convient. Nous sommes patients car nous savons qu'il est quasi impossible d'obtenir des résultats à court terme. La Géorgie fera tout pour poursuivre ces négociations. Rien ne permet de conclure à la volonté, de la part de la Russie, de tuer les discussions, mais rien ne permet de conclure non plus à sa volonté d'atteindre le moindre résultat tangible et précis.

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