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Intervention de Claude Bartolone

Réunion du 25 novembre 2009 à 21h30
Grand paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Bartolone :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, sous le triste éclairage de la crise économique et sociale que nous traversons, ce projet de loi est une erreur économique, une régression urbaine et un contresens historique envisagé sur le dos des franciliens ; surtout, la trame du texte révèle une terrible méprise sociale.

J'évoquerai d'abord l'erreur économique. Assujettir le développement de la métropole francilienne à la création d'un tube reliant les pôles économiques est une erreur qui a déjà fait ses preuves. L'autopsie de la crise que nous traversons amène une très grande majorité d'économistes à faire ce constat : les inégalités économiques et sociales sont un facteur de crise. La décision politique qui ignore ce postulat est inconsciente de la situation économique et sociale.

Le développement économique de la métropole dépend de notre capacité à trouver un point d'équilibre en faisant reculer les inégalités. Tout miser sur neuf pôles d'affaires correspond à une logique économique restrictive. Les pôles concentrent et captent sans vraiment rayonner, sans redistribuer : c'est là accentuer une géographie des ghettos et entériner les inégalités urbaines et sociales.

En effet, les marges de ces pôles sont souvent des territoires négligés qui regardent passer la croissance. Les habitants de ces zones grises savent bien que côtoyer la richesse ne signifie pas devenir riche. Que dire, alors, aux habitants qu'on laissera sur le quai du métro, à ceux qui regarderont passer les trains ? Que la richesse est à portée de rame, à deux stations de boucle ? Privilégier les secteurs économiques à forte valeur financière et intellectuelle n'a de sens que si l'on s'attache à renforcer les filières et la production industrielle, à irriguer et à diversifier les dortoirs et les poches de pauvreté de la métropole.

Pour commencer, on ne propulsera pas Paris devant Londres et Shanghai avec 600 000 chômeurs. La croissance partagée, voilà le ressort de la compétitivité. Au contraire, le projet de loi gravera dans la rame ce slogan publicitaire et satirique des années quatre-vingt : « Métro-boulot-dodo », allusion ironique à la monotonie parisienne. C'est là que se situe, à mon avis, la deuxième impasse du texte, qui néglige totalement la vie dans la ville. Comment adopter un projet de métropole où des hommes à mallette se déplaceront de pôle en pôle sans que l'on sache où et comment loger les habitants qui y vivent ?

J'essaie aujourd'hui, avec un certain nombre de responsables de communes ou d'intercommunalités de la Seine-Saint-Denis, de déployer des moyens considérables et d'insuffler de l'énergie pour réparer les erreurs commises par un État tout-puissant qui nous a légué les villes nouvelles et les banlieues dortoirs. Quelle métropole voulons-nous ? Un territoire où l'État de droit aura gagné : droit au logement, droit à la mobilité, droit à la santé, droit au travail, droit à l'éducation.

Lorsque le président de la région, Jean-Paul Huchon, porte le plan de mobilisation avec les collectivités d'Île-de-France, il met en oeuvre le droit à la mobilité. Ce n'est pas seulement – même si c'est une exigence impérieuse – en desservant quelques villes emblématiques de l'exclusion, comme Clichy-sous-Bois, que l'on répondra à la double nécessité à l'origine du programme du plan de mobilisation : le maillage fin en zone dense et le désenclavement des zones grises du coeur de la métropole.

Quand le comité de suivi du droit au logement opposable, pourtant mis en place par ce gouvernement, réclame des réquisitions, c'est un aveu d'échec de la mise en oeuvre du droit au logement. Combien de temps supporterons-nous encore, avant de renvoyer à une échéance de quinze à vingt ans, les « villes voyous » qui transgressent la loi SRU ? Il faut construire des logements adaptés aux ressources des Franciliens, logements qui doivent constituer un véritable parcours résidentiel.

Cela coûte de l'argent. Cela exige surtout, au niveau de l'État, une volonté politique qui, aujourd'hui, fait cruellement défaut.

Surtout, malgré la présentation qui en est faite, ce projet de loi est dénué d'ambition. Je regrette que le Président de la République ait renoncé à la force du discours qu'il a prononcé au Palais de Chaillot. Il a mobilisé les plus belles signatures architecturales du moment. Ces dix équipes ont fourni un travail remarquable, une somme qui finira dans un magnifique livre d'esquisses pour férus d'architecture.

Enfin, ce projet de loi est un contresens historique qui signe le retour de l'État autocrate. Je le déplore. La ville n'émerge jamais par décret, même si l'on y met les moyens, ce qui, en l'occurrence, est loin d'être le cas. On n'administre pas la première métropole française comme au temps des colonies, a minima, sans les gens, voire contre eux.

Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de conclure par une note plus personnelle. Bien que n'ignorant pas sur quels bancs siégiez, j'avais été agréablement surpris par la nouvelle de votre nomination au Gouvernement. Le parcours d'un homme qui avait été capable de passer de la Nouvelle-Calédonie à l'invention des pôles de compétitivité, de la direction de la RATP à celle d'Air France, me paraissait un symbole prometteur.

Dès nos premières discussions après votre prise de fonction, j'ai pensé que vous alliez jeter, pour les mois et les années à venir, les bases de la ville intense que nous appelons de nos voeux. Ma déception est d'autant plus forte que j'étais sincère. La création d'un métro souterrain automatique à l'horizon 2030 ne peut constituer une réponse aux questions de ceux qui n'ont d'autre perspective que les prochaines quarante-huit heures.

Monsieur le secrétaire d'État, alors que votre volonté s'érode visiblement d'arbitrages en arbitrages, ce ne sont pas la procédure d'urgence et un débat tronqué qui nous permettront de bâtir collectivement une vision alliant court et moyen termes : ce serait pourtant répondre à cette question politique majeure du xxie siècle qu'est l'avenir de l'Île-de-France.

À la veille de ces élections européennes… (Rires sur les bancs du groupe UMP.) À la veille de ces élections régionales – j'espère que les résultats ne seront pas comparables –, nous pouvons légitimement nous demander si ce projet de loi n'est pas déjà un texte sans pilote, et s'il ne risque pas, lui aussi, de tourner en rond. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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