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Intervention de François Brottes

Réunion du 25 novembre 2009 à 21h30
Grand paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Brottes :

Aujourd'hui, le volontarisme d'État tel que vous le concevez se traduit par des choix imposés, qui ne sont ni plus ni moins qu'un véritable hold-up à tous les étages ! Un hold-up sur les ressources fiscales des collectivités locales puisque, avec la fin de la taxe professionnelle telle que vous l'organisez, vous supprimez la capacité des collectivités à être responsables de leurs recettes fiscales ; un hold-up sur les territoires car votre projet de réformes des collectivités, en supprimant les élus par milliers, va redonner à la technostructure sa capacité d'agir sans rendre de compte à la population – les mauvaises langues disent qu'on ne renie pas ses origines –; un hold-up aussi sur les valeurs du Grenelle de l'environnement et sur le modèle de la ville durable, qui se situent à l'antipode de l'étalement urbain qu'entraînera votre projet de Grand Paris ; un hold-up sur le Grand Paris lui-même car vous voulez le construire par-dessus la tête des élus et des collectivités ; enfin, un hold-up sur le reste du territoire : avec l'établissement public de Paris-Saclay, vous créez un rouleau compresseur du déménagement non concerté du territoire.

Je ne fais pas de procès d'intention. Je m'en tiens au texte. Résumons : avec l'établissement public de Saclay, c'est l'État qui donne, qui commande et qui finance, c'est le Monopoly étendu à toute la France, mais il n'y a que cet établissement qui aura le droit d'y jouer, avec des règles qu'il décidera lui-même. Vous trouvez certainement que je grossis le trait. Pourtant, voici ce que j'ai lu au titre IV de votre projet : l'établissement public de Paris-Saclay peut agir sur un périmètre qui peut être à tout moment modifié par simple décret du Gouvernement ; il peut, sans modifier le périmètre en question, agir hors périmètre, donc dans toute la France, pour acheter des terrains, de l'immobilier, des sociétés, etc. Cet établissement n'aura en fait de public que le nom puisqu'il permettra, plus tard, de privatiser ce qu'il aura acquis, notamment par voie d'expropriation ou de prise de participation, pour mieux rembourser les sommes considérables qui auront dû être empruntées pour amorcer la pompe du processus. Avec l'argent de l'État, qui pourra d'ailleurs lui faire un tas de dons puisque le projet de loi dispose que l'établissement pourra bénéficier de transferts « en pleine propriété et à titre gratuit », celui-ci pourra troubler le jeu, tirer les cartes, défaire les projets des autres, les déménager ; bref, il disposera d'une capacité d'action dont les autres territoires ne bénéficieront pas. C'est une drôle de conception, reconnaissez-le, de l'égalité républicaine et de l'aménagement du territoire !

Ce nouveau cluster marketing que vous souhaitez vendre au monde entier participe d'une « vision legos » de l'économie, où il suffirait d'additionner et d'empiler les compétences en les concentrant de force sur certains points du territoire pour produire plus, et donc bien sûr, selon vous, pour produire mieux. Cette vision artificielle de la promotion économique des territoires va à l'encontre de nos histoires. Notre économie est plurielle et multiple. Ce sont des imbrications d'aventures scientifiques et universitaires, d'histoires humaines locales, d'initiatives partagées et d'actions publiques, liant souvent État et collectivités locales dans une logique partenariale, qui font qu'à un moment donné, un pôle émerge et se développe durablement – et je sais de quoi je parle.

Or ce projet de loi est l'un des trois piliers de votre réforme de recentralisation des pouvoirs, mouvement allant à contre-courant de notre histoire car vous demandez instamment aux représentants du peuple que nous sommes, bientôt aux représentants des élus, de rendre les clefs de la ville au tout-puissant, une sorte de seigneur qui installerait progressivement sa dynastie. Pour notre part, ce ne sera pas sans combattre, malgré l'urgence – désavouée, me semble-t-il, par le président Larcher – et malgré les pressions du Sénat. Cela me rappelle quelques vers de Prévert :

« Et je te vois Marianne

Ma pauvre petite soeur

Pendue encore une fois

Dans le cabinet noir de l'histoire

Cravatée de la Légion d'Honneur

Et je vois

Barbe bleue blanc rouge

Impassible et souriant

Remettant les clefs de la Ville

Remettant les clefs tachées de sang

Aux grands serviteurs de l'Ordre

L'Ordre des grandes puissances d'argent. »

Monsieur le secrétaire d'État, votre concept de ville monde dont seul « l'État stratège garant du temps long », selon vos propres termes, pourrait être le metteur en scène, est à la fois un déni de démocratie et une nostalgie d'un collectivisme ancien où tout avançait à la baguette ! Ce Grand Paris est un mauvais pari pour la France parce qu'il n'est pas partagé par tous. C'était pourtant le souhait du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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