Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Annick Lepetit

Réunion du 24 novembre 2009 à 21h30
Grand paris — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Lepetit :

Le fonctionnement de cette Société du Grand Paris pose aussi problème : votre choix de la bâtir sous la forme d'un établissement public industriel et commercial permet à l'État d'y concentrer tous les pouvoirs. Les collectivités territoriales pourront, certes, venir faire de la figuration dans le conseil de surveillance et dans le comité constitué des représentants des communes et des EPCI, mais leur avis n'aura aucun impact. Le vrai organe de décision sera le directoire, dont les membres sont nommés par décret. C'est un recul démocratique majeur car, depuis que la gauche a lancé le mouvement de la décentralisation il y a près de trente ans, c'est la première fois que l'on éloigne la prise de décision des élus qui en avaient la charge. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Le vocabulaire employé, plus proche de la société anonyme que de l'établissement public, ne peut que faire naître quelques doutes sur l'évolution de cette structure. Il sera tellement facile et tentant de la privatiser dans quelques années.

Les prérogatives que vous confiez à la Société du Grand Paris sont exorbitantes du droit commun en matière d'urbanisme et d'aménagement. Des dérogations inédites lui sont ainsi offertes, comme la possibilité d'acquérir, par voie d'expropriation ou de préemption, des biens de toutes natures nécessaires à ses opérations d'aménagement du réseau de transport. Les communes se verront ainsi dépossédées de la maîtrise de leurs sols sur des portions importantes de leur territoire. De même, les propriétés des collectivités publiques et de leurs établissements situées autour des gares seront cédées gratuitement à la Société du Grand Paris, à sa demande.

Par ailleurs, la maîtrise d'ouvrage publique de la réalisation des nouvelles infrastructures ne fera plus partie des prérogatives du STIF, mais de celles de la Société du Grand Paris. En revanche, le STIF se verra confier la gestion une fois les travaux finis, sans avoir été associé à la conception ni être intégré à la gouvernance de la Société du Grand Paris.

Après avoir dépossédé le STIF de la quasi-totalité de ses actifs par un amendement nocturne au texte ARAF – je sais que ce n'est pas vous qui l'avez déposé, monsieur le secrétaire d'État, mais le secrétaire d'État chargé des transports – vous lui imposez cela aujourd'hui. Si vous voulez la mort du STIF, pourquoi ne pas le dire clairement ?

Autre nouveauté : les contrats de développement territorial qui peuvent être conclus avec les communes et les intercommunalités. Conformes à votre souhait de revenir sur la décentralisation, ils permettent à l'État de récupérer tout ou partie des compétences d'urbanisme dévolues aux communes. Puisque leur seule limite est de concourir à la réalisation de l'article 1er, ces contrats peuvent concerner des zones dont le périmètre peut être très large, puisqu'il n'est pas défini. Ils pourront même concerner des villes situées en dehors de la région parisienne puisque l'objectif est de bénéficier à l'ensemble du territoire national. On a beaucoup de mal à imaginer de quel pouvoir de négociation un maire pourra disposer face à l'État et comment il pourra refuser de signer de tels contrats.

Surtout, ce fonctionnement annule toute ambition d'un projet urbain cohérent, pensé globalement à l'échelle de la région. Le SDRIF, schéma issu d'une longue et fructueuse concertation entre tous les acteurs, porte cette ambition. Mais vous bloquez son transfert au Conseil d'État depuis plus d'un an.

L'article 18 prévoit que les contrats de développement territorial donnent lieu à une mise en compatibilité du SDRIF et des documents de rang inférieur. Cela signifie que votre projet va transformer l'Île-de-France en un véritable gruyère, où chaque gare, et la zone qui l'entoure, seront autant de trous sortant du schéma global.

Vous annoncez que l'urgence justifie de telles mesures, mais rien ne garantit que cette procédure d'exception permettra de gagner du temps. Ce n'est pas celui que vous passerez à négocier les contrats qui sera long – dans ce domaine, je vous fais confiance et certains préfets sont déjà à l'oeuvre avant même le vote de la loi – mais le mécanisme de mise en compatibilité, qui est juridiquement incertain. Avant que la Société du Grand Paris ne puisse préempter ou exproprier, il faudra mettre en compatibilité le SDRIF, ce qui nécessite une consultation publique et un décret en Conseil d'État. Cela prendra au minimum un an. Ensuite, ce sera au tour des plans locaux d'urbanisme d'être modifiés. Là aussi une consultation publique est nécessaire, ce qui prolonge d'au moins dix mois les délais. En conséquence, entre la signature d'un contrat de développement territorial et le moment où il prendra effet, il faudra attendre près de deux ans, sans compter l'incertitude juridique créée aux quatre coins de l'Île-de-France puisqu'aucun dossier ne saurait être tranché par les juges administratifs tant que des procédures sont en cours. Vous allez ouvrir de véritables nids à contentieux, pour rien, puisque les contrats de développement territorial ne vous permettront pas d'aller plus vite.

Mes chers collègues, je déplore aussi la manière dont nous travaillons. Alors que le coeur de ce projet de loi est un schéma de transport, aucune carte n'a été présentée aux parlementaires. Seule la presse en a eu connaissance.

Ce flou organisé sur le tracé s'accompagne de sérieux doutes quant à l'articulation de votre « grand huit » avec le réseau existant. L'idée, qui paraît pourtant de bon sens, n'était même pas présente dans le texte d'origine, comme l'ont rappelé le président de la commission du développement durable et le rapporteur. Il a fallu un amendement, voté à l'unanimité, pour intégrer au texte cette notion fondamentale. Cela fait naître des craintes légitimes car c'est la preuve que cette interconnexion n'a pas été pensée en amont. C'est ce que nous ont d'ailleurs confirmé les représentants des entreprises gestionnaires des réseaux de transports que nous avons auditionnés.

D'une certaine manière, cela montre aussi votre état d'esprit. Vous semblez souvent travailler comme si rien n'avait existé avant vous. Vous créez un métro sans vous soucier du réseau de transports existant, vous annoncez des pôles de compétitivité sans regarder où est l'activité, vous annoncez un million d'emplois sans vous demander où ces salariés vont habiter, ni comment ils iront travailler.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion