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Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 17 novembre 2009 à 17h15
Commission des affaires économiques

Jacques Repussard :

Les opérations de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement de l'installation nucléaire de base dite ATPu du site de Cadarache ont été autorisées par le décret du 6 mars 2009. L'exploitant nucléaire de cette installation est le CEA, AREVA en étant l'opérateur industriel, autrement dit l'exploitant délégué.

Prélude au démantèlement proprement dit, les opérations d'assainissement réalisées sur certaines boîtes à gants ont mis en évidence une quantité de plutonium en excès notable par rapport aux quantités attendues du fait des phénomènes de « rétention » de matières au cours de la dizaine d'années d'exploitation des équipements principalement concernés. En effet, de par leur conception, ces boîtes à gants ne pouvaient pas être intégralement inspectées et nettoyées lors des opérations de nettoyage périodiques. Au cours des mois suivants la découverte de cette rétention supplémentaire, l'estimation de la quantité de plutonium en rétention a été progressivement affinée, pour parvenir au chiffre d'environ 39 kg, inégalement répartis dans les quelques 450 boîtes à gants de l'installation. En pratique, cette rétention concerne essentiellement une trentaine d'entre elles.

Pour comprendre la signification de ce chiffre de 39 kg, il faut l'associer à d'autres nombres: d'abord, à la vingtaine de tonnes de plutonium qui ont transité par l'ATPu sous la forme d'oxyde (Pu02) durant les dix dernières années de son exploitation ; ensuite, aux 8 kg de plutonium en rétention pris en compte dans le dossier de sûreté de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement.

Par ailleurs, 39 kg de plutonium permettent de fabriquer environ 650 kg de combustible MOX, mélange de plutonium et d'uranium appauvri. 39 kg, c'est environ 100 litres de matière, sous forme de poudre du mélange et de pastilles de MOX, répartis dans les différents postes de travail de l'installation.

Dans ce contexte, 39 kg de plutonium, c'est à la fois très peu – environ 0,2 % du plutonium traité au cours des dernières années d'exploitation de l'ATPu –, mais aussi beaucoup : cinq fois plus que prévu par le référentiel de sûreté et un volume physique important de matière radioactive à manipuler lors du démantèlement.

Dès lors trois questions principales se posent.

La forte accumulation de Pu02 dans certaines boîtes à gants a-t-elle entraîné un risque d'accident de criticité ?

La sous-estimation de la rétention de plutonium a-t-elle créé une faille dans le dispositif de protection du plutonium ?

L'exploitant a-t-il correctement apprécié la situation créée par la découverte d'un excès important de matières en rétention, et en a-t-il tiré les conséquences de manière appropriée ?

La connaissance approfondie dont dispose l'IRSN dans les domaines des risques de criticité, de la protection des matières contre le vol et le détournement, de l'installation ATPu elle-même, d'une part, ainsi que l'implication de ses experts en appui aux autorités compétentes dans la gestion de l'incident déclaré à l'ASN par l'exploitant, d'autre part lui permettent d'apporter l'éclairage suivant sur ces trois questions.

Premièrement, la forte accumulation de Pu02 dans certaines boîtes à gants a-t-elle entraîné un risque d'accident de criticité ?

Qu'est ce qu'un accident de criticité ? Quelques éléments radioactifs, comme le plutonium, sont dits « fissiles », car ils peuvent se diviser en deux fragments appelés produits de fission. Cette réaction nucléaire s'accompagne de la production de rayonnements et de l'émission de neutrons qui, à leur tour, pourront éventuellement induire de nouvelles fissions. Dans certaines conditions, le nombre de fissions augmente de manière exponentielle, et on parle alors de « réaction en chaîne divergente ». Une telle réaction, qui se déclenche brutalement dès que les conditions propices sont réunies, peut causer une irradiation grave, voire létale, des personnes se trouvant à proximité de l'équipement concerné, et conduire à une émission limitée de gaz radioactifs. Cependant, dans les configurations typiques des installations du cycle du combustible, elle n'induit pas de dégagement important d'énergie et, en tout état de cause, ne présente pas de caractère explosif.

Les configurations qui peuvent conduire à une réaction en chaîne divergente dépendent principalement de trois paramètres : la quantité de matière fissile – en deçà d'un certain seuil, la réaction en chaîne ne peut pas s'établir ; la « géométrie » de cette matière – la sphère est la forme la plus propice à l'apparition de la réaction en chaîne ; la présence de « matériaux modérateurs » – de l'eau, ou des matières hydrogénées comme les huiles ou les produits de nettoyage – mélangés à cette matière qui, en ralentissant les neutrons, favorisent de nouvelles fissions.

Pour prévenir le risque de criticité, il faut donc agir sur ces paramètres, en élaborant des prescriptions d'exploitation ou, comme ici de démantèlement, fondées sur des hypothèses systématiquement pénalisantes – c'est là qu'apparaît la notion de marge : par exemple, pour l'ATPu, en retenant dans les calculs de risques le regroupement de la matière selon une géométrie sphérique – ce qui n'est évidemment pas le cas dans la réalité – et en assimilant à l'eau– le pire des matériaux – les matériaux modérateurs. Ces précautions aboutissent ainsi à limiter la quantité de matière fissile maximale pouvant être présente dans un poste de travail à 11 kg de plutonium. La géométrie de la matière fissile est largement encadrée par l'usage de « pots » dont les dimensions ont été analysées en termes de risque de criticité. Les dépôts de matière en rétention s'éloignent quant à eux a priori encore plus de la forme sphérique à éviter autant que possible. Enfin, une quantité maximale d'éléments modérateurs dans chaque boîte à gants est également prescrite.

Il résulte de toutes ces précautions des marges de sûreté très élevées, dont l'expérience montre qu'elles sont bénéfiques lorsque des situations inattendues se produisent, comme l'excès de matière en rétention. Autrement dit, la présence de 10,5 kg de matière fissile en rétention dans une boîte à gants – la situation la pire constatée – ne peut être simplement rapportée à la limite de 11 kg donnée par le référentiel pour en déduire « une proximité de situation accidentelle ». Lorsque vous franchissez un pont dont l'accès est interdit aux véhicules de plus de 10 tonnes et que le vôtre pèse 9,5 tonnes, vous passez sans vous dire que le pont a failli s'écrouler ; celui-ci ne supporterait sans doute pas le passage d'un véhicule de 50 tonnes, mais il supporterait probablement celui d'un véhicule de 15 ou 20. Les limites sont faites pour êtres respectées, mais cela ne signifie pas que la limite fixée doive être considérée comme la limite accidentelle. Cet élément très important n'a pas été compris dans le débat public.

S'agissant de l'incident de l'ATPu, l'expertise de l'IRSN a porté sur l'analyse du risque de criticité au vu des nouvelles estimations réalisées par l'exploitant, à savoir une rétention maximale dans une boîte à gants, passant de 1,8 kg à ces 10,5 kg.

Dans son avis remis à l'ASN le 14 octobre – que vous trouverez dans le dossier qui vous a été remis –, l'IRSN a conclu que ni au cours de la phase d'exploitation, ni dans le contexte des opérations de démantèlement, les quantités supplémentaires de plutonium dues à la rétention ne pouvaient provoquer un accident de criticité. Cependant, en l'absence de certitudes sur le conservatisme des masses de plutonium en rétention annoncées par l'exploitant, l'IRSN a recommandé, à titre de précaution, d'adopter une approche graduée pour la poursuite des opérations.

Dans le dossier qui vous a été distribué, vous trouverez une fiche explicative qui propose un ensemble d'éléments d'information supplémentaires sur la maîtrise du risque de criticité et sur l'expertise de ce risque à l'ATPu.

À la première question – la forte accumulation de Pu02 dans certaines boîtes à gants a-t-elle entraîné un risque d'accident de criticité ? –, il convient donc de répondre qu'il n'y avait pas de risque d'accident, même si l'on avait dépassé les quantités normalement admises pour la matière en rétention.

J'en viens à la deuxième question : la sous-estimation de la rétention de plutonium a-t-elle créé une faille dans le dispositif de protection du plutonium ?

Que prévoit la législation en ce domaine ? Les articles L. 1333-1 et suivants du code de la défense instituent un régime national de contrôle des matières nucléaires, dont l'objectif est de prévenir et d'empêcher que ces matières ne soient perdues, volées, détournées ou dispersées du fait d'actions malveillantes. Ce régime s'articule autour de l'autorisation, du contrôle et des sanctions.

L'autorisation est un pré-requis pour quiconque veut exercer des activités d'importation, d'exportation, d'élaboration, de détention, de transfert, d'utilisation et de transport de matières nucléaires, qui je le rappelle sont les matières susceptibles d'être utilisées pour fabriquer un engin explosif nucléaire, c'est-à-dire l'uranium, le plutonium, le thorium, le lithium 6, le deutérium et le tritium.

Le contrôle porte, d'une part, sur les aspects administratifs, techniques et de « comptabilité matières » des activités autorisées, et, d'autre part, sur les mesures de nature à éviter les vols, les détournements ou toute autre action malveillante. Ce contrôle est exercé au premier niveau par l'exploitant lui-même – en pratique AREVA –, par le biais de salariés différents des opérateurs du processus industriel, et, au second niveau, par les pouvoirs publics – en pratique l'IRSN – qui disposent d'agents habilités et assermentés.

Les sanctions visent à réprimer certains agissements qui sont érigés en délits correctionnels. Au nombre des incriminations figurent en particulier la détention indue ou sans autorisation de matières nucléaires, l'obstacle à l'exercice du contrôle par les pouvoirs publics ou encore le défaut de déclaration de disparition, de vol ou de détournement de ces matières.

Pour voler ou détourner des matières nucléaires, il faut pouvoir accéder à leur lieu de détention, puis les déplacer. Les dispositions de protection visent logiquement à contrôler les accès aux lieux de détention des matières et le déplacement de ces dernières. Ces dispositions reposent sur les trois piliers que sont la protection physique, le suivi physique et la comptabilité, qui se complètent et se renforcent mutuellement.

La protection physique vise à prévenir, détecter, empêcher ou retarder tout accès non autorisé ou non justifié aux matières nucléaires et toute sortie non autorisée ou non justifiée de ces matières des zones où elles sont détenues. Ces dispositions doivent notamment permettre l'alerte des pouvoirs publics en vue de déclencher, si nécessaire, une intervention des forces de l'ordre.

Le suivi physique vise à autoriser les mouvements de matières nucléaires et à les contrôler afin, le cas échéant, de détecter une tentative de fraude lors de l'un de ces mouvements. Il repose sur la connaissance, en permanence et de façon précise en quantité et qualité, de toutes les entrées et de toutes les sorties de matières nucléaires, ainsi que sur la connaissance de la localisation, de l'usage, des mouvements ou des transformations de ces matières à l'intérieur de l'installation – on entre du PuO2 et on sort du combustible MOX.

La comptabilité vise enfin à permettre un second contrôle, indépendant du suivi physique, fondé sur la connaissance quotidienne, pour chaque zone comptable, des masses de matières nucléaires détenues, et de toutes les entrées et sorties de matières. Les installations sont découpées en quelques « zones comptables » en fonction de leurs différentes activités. L'ATPu par exemple comporte aujourd'hui deux zones comptables, mais en a comporté jusqu'à quatre.

Quel est le rôle de l'IRSN ?

Le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité lui confie – plus précisément, confie à la direction de l'expertise nucléaire de défense (DEND) de l'IRSN – l'expertise technique des dossiers réglementaires déposés par les pétitionnaires, en vue de la délivrance ou de la modification des autorisations prévues par l'article L1333-2 du code de défense.

En outre, l'Institut apporte son concours à l'autorité dans trois autres domaines :

Le premier est celui de la comptabilité nationale centralisée des matières nucléaires. La DEND est chargée de centraliser au plan national et de vérifier la comptabilité des matières nucléaires – ce qu'elle fait par recoupement. Elle est à ce titre le « tiers de confiance ». Elle établit les modalités pratiques nécessaires à sa mise en oeuvre. Elle édite pour les autorités gouvernementales des états indiquant les stocks et les flux de matières nucléaires. Cette centralisation est réalisée quotidiennement à partir des données comptables transmises par chaque titulaire d'autorisation ou chaque détenteur de matières nucléaires soumises à déclaration.

Le deuxième domaine concerne la gestion des transports de matières nucléaires. L'Institut instruit et délivre, au nom de l'État, les accords d'exécution des transports. Il assure le suivi de ces transports, il informe, sans délai, l'autorité – le préfet ou le Haut fonctionnaire – en cas d'accident, d'incident ou d'événement susceptible de retarder ou de compromettre l'exécution du transport. On compte chaque année en France environ 1 700 transports nucléaires – individuellement arrêtés sur la base de fourniture d'un itinéraire vérifié par l'IRSN.

Enfin, le troisième domaine est celui du contrôle. L'Institut appuie l'autorité dans ses missions de contrôle par le biais de certains de ses ingénieurs, qui sont habilités et assermentés à titre individuel par l'autorité comme agents chargés du contrôle des matières nucléaires. Ces agents effectuent le contrôle des aspects techniques et comptables, ils procèdent avec les matériels fournis par l'IRSN à des mesures indépendantes au sein des installations pour vérifier la localisation et l'emploi des matières nucléaires, et déceler la nature et les quantités de matières éventuellement manquantes dans l'installation.

Pour ce qui concerne l'ATPu, entre 1999 et 2009, l'Institut a réalisé à la demande de l'autorité 96 analyses de dossiers et 25 inspections de contrôle dont la liste est fournie en annexe à votre dossier.

Au cours de cette période, les contrôles de l'IRSN ont mis en évidence une anomalie qu'il me semble intéressant de relater à titre d'illustration de la méthode. Après un premier écart de bilan en 2000, légèrement au-delà de son intervalle de confiance en raison d'une mauvaise caractérisation des rebuts d'usinage du combustible MOX, les services du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité ont constaté en 2002, d'une part, un écart de bilan de l'installation ATPu nettement en dehors de son intervalle de confiance et, d'autre part, des écarts entre les valeurs déclarées par le détenteur et les quantités de plutonium mesurées par l'ISRN lors d'un contrôle de conteneurs utilisés pour l'approvisionnement de l'ATPu.

Je tiens à préciser que les balances ne sont pas parfaites et que la comptabilité résulte de l'addition de milliers de pesées. C'est d'ailleurs pourquoi le système ne repose pas que sur la comptabilité des matières, mais aussi sur la protection physique des installations et l'indépendance des différents contrôleurs. L'intervalle de confiance tient compte des incertitudes. C'est une quantité statistiquement établie, au-delà de laquelle on considère qu'il ne faut pas aller.

Ces écarts montrant un défaut de maîtrise du suivi du plutonium dans l'installation et, donc, un affaiblissement de la protection de celui-ci contre le détournement, le Haut fonctionnaire a convoqué le détenteur des matières et l'opérateur industriel le 1er avril 2004 pour recevoir des explications et entendre les mesures correctives que ceux-ci comptaient mettre en place. Ce manque de maîtrise du suivi d'une matière fissile pouvant éventuellement avoir des conséquences en termes de sûreté, l'ASN a été invitée à participer à cette réunion.

Le dernier contrôle du suivi physique et de la comptabilité a eu lieu les 1er et 2 juillet 2009, deux semaines après la fin de l'inventaire réalisé par l'exploitant. Il a été procédé à l'examen des suites données aux demandes de mise à jour des dossiers réglementaires émises par l'autorité ; à la vérification de la comptabilité locale et des déclarations à la comptabilité nationale ; et, enfin, au contrôle par sondages des stocks de matières détenues.

Lors de l'examen du suivi physique des matières nucléaires, l'exploitant a indiqué que, pour les postes en cours de démantèlement, il avait récupéré globalement plus de matière que ne le prévoyaient les comptes de rétention : 14,216 kg réels pour 7,487 kg attendus. L'exploitant a indiqué que c'est après démontage des gros équipements que des matières en quantités supérieures à celles attendues ont été trouvées et récupérées par balayage au pinceau.

L'écart de bilan annoncé à la suite de l'inventaire était de 1,989 kg de plutonium avec un intervalle de confiance de ± 2,4 kg. Cet écart de bilan, inférieur à l'intervalle de confiance, ne met pas en évidence de biais dans l'évaluation des flux d'entrée et de sortie de l'installation, ni de flux dissimulé. On peut noter que l'écart de bilan constaté par les inspecteurs de l'IRSN est en moyenne de 0,36 % du flux de plutonium entre 1998 et 2005 –période de fabrication de combustible MOX –, valeur à rapprocher de celle internationalement admise de 0,5 % pour ce type de procédé.

Quel est l'avis de l'IRSN sur la protection du plutonium dans l'ATPu ?

La protection du plutonium vis-à-vis du risque de vol ou de détournement dans le procédé de l'ATPu ne repose pas à titre principal sur le suivi physique des matières, ni sur la tenue de la comptabilité de cette matière nucléaire, en raison de la difficulté d'estimer précisément la quantité de matières en rétention dans les boîtes à gants. Elle repose principalement sur le troisième pilier que constitue le dispositif de protection physique de l'installation, qui comporte notamment des mesures de confinement et des mesures de surveillance. Ce dispositif n'a pas été mis en défaut. L'IRSN estime donc que le niveau de protection des matières nucléaires de l'ATPu est resté conforme à son référentiel pendant la phase d'exploitation et n'a pas été dégradé depuis le début des opérations de démantèlement.

Troisième question : l'exploitant a-t-il correctement apprécié la situation créée par la découverte d'un excès important de matières en rétention, et en a-t-il tiré les conséquences de manière appropriée ?

Cette question peut être analysée selon deux angles différents. Le premier, d'ordre juridique, porte sur le respect des dispositions de la loi TSN du 13 juin 2006 et des prescriptions réglementaires. L'ASN ayant dressé un procès-verbal d'infraction aux dispositions de l'article 54 de cette loi, il n'appartient pas à l'IRSN de commenter la situation au plan juridique, qui sera tranchée au terme du processus judiciaire.

Le second angle d'analyse, d'ordre technique, porte sur l'appréciation, à travers cet incident, du degré de culture de sûreté et de sécurité au niveau de l'organisation de l'ATPu au sein du site CEA de Cadarache. Les cultures de sûreté et de sécurité sont l'ensemble des caractéristiques et des attitudes qui, au niveau organisationnel ou au niveau individuel, font que les questions relatives à la sûreté et à la sécurité bénéficient de l'attention qu'elles méritent au cas par cas. La solidité de ces cultures conditionne en effet pour une large part la qualité de la prévention et de la gestion des risques.

À cet égard, trois bonnes pratiques sont essentielles pour un exploitant d'installation nucléaire :

Premièrement, il doit être en mesure d'apprécier en permanence l'état de conformité de l'installation à son référentiel approuvé de fonctionnement, en particulier le respect des «exigences de sûreté » ;

Deuxièmement, il doit identifier, en cas d'écart, les risques éventuels d'accident afin de prendre les mesures conservatoires nécessaires – le cas échéant, en urgence –, et, dans cette hypothèse, il doit informer immédiatement les autorités compétentes et l'IRSN, qui ont aussi des actions à mener en cas de menace d'accident ;

Troisièmement, il doit, dans les autres cas, traiter l'écart constaté par des actions correctives appropriées – en demandant, si elles supposent un accord préalable, leur approbation par l'autorité – et informer systématiquement les autorités compétentes et l'IRSN des constats effectués et des résultats obtenus suite aux mesures correctives, afin de permettre une exploitation du retour d'expérience au profit de l'ensemble des acteurs concernés, en France et, le cas échéant, en Europe et dans le monde. La sûreté se nourrit aussi de l'analyse des incidents qui surviennent partout dans le monde – il y a des bourses d'échanges, et le système de sûreté progresse par le biais du retour d'expérience.

S'agissant de l'ATPu, je vais vous faire part de l'analyse de l'IRSN au regard de ces principes généraux.

Malgré une modification en 1996, l'ATPu, construit à la fin des années 1950 à des fins de recherche sur les combustibles au plutonium, n'a pas été initialement conçu pour une production à l'échelle industrielle, contrairement à l'usine MELOX de Marcoule, mise en service en 1994, qui a progressivement pris la place de l'ATPu. En particulier, l'exiguïté des locaux et la conception des boîtes à gants, partiellement « inspectables », rendent difficile leur nettoyage poussé pour minimiser les rétentions de matières. Cela explique que l'exploitant ait eu des difficultés à maîtriser les masses en rétention dans les boîtes à gants.

Heureusement, pour ce qui concerne le risque de criticité, des marges importantes étaient maintenues du fait de l'application d'hypothèses pénalisantes pour le calcul du risque, comme je l'ai exposé précédemment. L'incident qui est survenu confirme la nécessité absolue de maintenir des marges de sûreté élevées dans l'exploitation des installations nucléaires, même lorsque la meilleure connaissance théorique des risques et les progrès technologiques pourraient inviter à leur réduction, au bénéfice d'une plus grande productivité.

Pour ce qui concerne le contrôle des matières, le système de suivi de leurs mouvements physiques permet de contrôler les masses des articles – comme les barres de combustible –, avec une précision de 0,06% en entrée, et de l'ordre de 0,2% en sortie. Chaque année, environ 1 000 analyses chimiques et plusieurs centaines de milliers de pesées sont effectuées dans le cadre de l'exploitation du procédé. Les quantités de plutonium entrant et sortant de l'installation au terme d'une campagne donnée sont mesurées, les incertitudes de mesure sont déterminées et l'écart de bilan est calculé, avec son intervalle de confiance. A posteriori, l'absence « d'alarmes » déclenchées par le constat d'écarts significatifs dans le suivi des matières — en dehors de l'épisode rapporté précédemment – conforte l'opinion selon laquelle les procédures d'exploitation de l'ATPu ont été globalement respectées.

Pour ce qui concerne enfin les opérations de démantèlement de l'ATPu, elles ont été autorisées le 6 mars 2009, avant d'être interrompues, par décision de l'ASN, le 14 octobre dernier. À un certain moment, l'exploitant a constaté que certaines boîtes à gants contenaient une quantité de matières en rétention bien supérieure à ce qui était attendu. Malgré ce constat, il a décidé de poursuivre les opérations.

Le référentiel approuvé pour le démantèlement prévoit des modalités opératoires particulières destinées à maintenir les marges en matière de criticité. S'il n'est pas surprenant que les opérations de démantèlement mettent à jour ou génèrent des écarts plus ou moins importants par rapport à l'attendu, c'est cependant au cas par cas qu'il convient d'apprécier les éventuelles précautions opératoires nécessaires au vu de la quantité de matière en rétention et des manipulations à réaliser. Dans ce contexte, le dialogue technique avec l'Autorité de sûreté et l'IRSN apporte nécessairement un complément de robustesse aux choix auxquels l'exploitant doit procéder pour poursuivre ces opérations ; autrement dit, la sûreté repose aussi sur le dialogue.

Quand une donnée de base du référentiel de sûreté est remise en cause, les bonnes pratiques de sûreté consistent en effet à ce que l'exploitant s'interroge sur les conséquences de cette nouvelle situation, décide, le cas échéant, d'un point d'arrêt des opérations pour vérifier l'adéquation des procédures d'assainissement et de démantèlement, en particulier au regard du risque de criticité et de la radioprotection des opérateurs, et informe l'Autorité de sûreté nucléaire.

L'enquête actuellement menée par l'ASN devrait permettre d'établir dans quelle mesure les différents acteurs concernés – les responsables d'exploitation, l'ingénieur criticien, les radioprotectionnistes – ont effectivement joué leurs rôles respectifs pour assurer correctement la sûreté des opérations engagées sur ces boîtes à gants. En dehors de la question du délai pris pour déclarer l'événement, il importe en effet d'apprécier au fond la validité de la démarche de sûreté mise en oeuvre par l'exploitant dans le cadre de sa gestion de cet événement. Il conviendra ensuite de tirer tous les enseignements utiles de cet incident survenu à l'ATPu, au bénéfice du progrès de la sûreté nucléaire. Mais nous ne disposons pas actuellement des éléments techniques qui nous permettraient de conclure et de porter un jugement sur la structure de sûreté dans l'installation.

J'en viens à ma conclusion.

Selon l'IRSN, les masses de plutonium présentes dans les boîtes à gants, sur la base des estimations de l'exploitant, ne pouvaient pas conduire à un accident de criticité. Et ce plutonium ne court pas le risque de tomber dans de mauvaises mains. Mais l'absence de déclaration dans les formes, lors du constat d'une anomalie dans la quantité de plutonium en rétention, a été perçue par l'opinion comme un grave déficit de transparence. Or la transparence correspond à une attente désormais très forte de la société tout entière. Au-delà même de l'exigence formulée par la loi, elle est devenue dans les faits une condition de l'acceptation de l'industrie électronucléaire. Cette exigence constitue d'ailleurs un moteur supplémentaire de la sûreté, à travers l'obligation perçue par les différents acteurs d'avoir ainsi davantage de « comptes à rendre ». Pourtant, un déficit de transparence n'équivaut pas nécessairement au constat avéré d'un déficit de sûreté ou de sécurité. Pour éviter ce probable et dommageable raccourci dans l'opinion publique, il n'est sans doute qu'une seule solution, qui demande un effort dans la durée : celle de la pédagogie, celle de l'information exacte, précise, à la fois réactive et permanente, celle du dialogue des acteurs professionnels du nucléaire avec les acteurs de la société, celle enfin de la prise en compte des questionnements du public. C'est le sens de la politique conduite par le Gouvernement, et, conformément aux orientations définies par son principal ministre de tutelle, M. Borloo, l'IRSN est résolument engagé dans cette voie.

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