Il s'agissait d'une solution liquide, beaucoup plus dangereuse ; ici, nous parlons de poudres. Je le répète, la quantité de 11 kg que nous avons évoquée est une limite référentielle, qu'il ne faut pas confondre avec la limite « accidentelle » qu'est le seuil de criticité : celle-ci est beaucoup plus élevée, bien que l'on ne puisse pas la quantifier de façon absolument exacte. Nous n'allons pas provoquer un accident juste pour vérifier nos calculs !
J'en viens à la question, fondamentale, de la protection du plutonium par son confinement. En situation d'exploitation, les boîtes à gants ne peuvent pas être ouvertes. Dans le cas contraire, la faible quantité de poussière qui s'en échapperait serait immédiatement détectée par les dosimètres de surveillance. Toute tentative de subtiliser une quantité de plutonium serait donc vouée à l'échec, et ce sans même tenir compte des règles habituelles de protection : ainsi, les personnes qui manipulent le plutonium tout au long de la chaîne de production font l'objet d'un suivi par les services de sécurité.
En ce qui concerne le plutonium, il est vrai qu'il s'agit d'une matière extrêmement dangereuse, car très radiotoxique. L'ingestion ou l'inhalation d'un seul milligramme peut causer des dommages très graves, notamment induire des cancers. Bien que d'une grande stabilité, le plutonium 239 est en effet un émetteur principal de rayons alpha. En outre, le plutonium 241, autre isotope produit par l'irradiation de l'uranium dans les réacteurs nucléaires, se dégrade en américium, qui est un émetteur gamma très dangereux.
Les quantités de plutonium sont aujourd'hui faibles sur le site de l'ATPu, où l'exploitation a cessé depuis la dernière opération industrielle, effectuée en 2004 pour le compte des États-Unis. Non seulement l'installation est ancienne, mais une éventuelle remise à niveau aurait posé des problèmes en raison des risques sismiques affectant la région. Elle était de toute façon devenue inutile après la construction d'une nouvelle usine, Melox, beaucoup plus moderne et très automatisée. La décision a donc été prise de démanteler l'atelier, selon un cahier des charges préparé par AREVA, validé par le CEA, expertisé par l'IRSN et finalement autorisé par un décret proposé en mars 2009 par l'ASN. C'est ce protocole qui prévoyait que la quantité de plutonium en rétention ne devait pas dépasser un total de 8 kg.
Un détournement de quelques grammes de plutonium serait vite découvert : je le répète, les opérateurs font l'objet d'un suivi, et une ouverture des boîtes serait aussitôt détectée. Mais surtout, les quantités de matière sont pesées au gramme près, à chaque opération. Il est vrai qu'une quantité de quelques dizaines de grammes, par exemple, paraît faible en comparaison des 3 tonnes de plutonium manipulées chaque année dans l'installation. Quoi qu'il en soit, si un tel prélèvement avait lieu, il serait aussitôt détecté au moment de la pesée, d'autant que des contrôles supplémentaires sont réalisés. C'est l'addition sur une année de toutes les pesées qui entraîne une incertitude dans la quantification globale. Au niveau de l'installation elle-même, chaque entrée et sortie de matière est soigneusement comptabilisée. Il existe donc plusieurs niveaux de sécurité : la comptabilité des quantités de matière, le confinement des installations et la protection physique – locaux accessibles aux seules personnes accréditées, personnels surveillés. Ces précautions expliquent qu'aucune disparition de matière fissile n'a jamais été constatée en plus de quarante ans d'exploitation du site. Car le plutonium dont nous parlons n'a pas disparu : confiné dans les boîtes à gants, il va être récolté, conditionné dans un récipient et renvoyé à La Hague.
J'en viens enfin à la diffusion de l'information. Dans un monde idéal, il appartiendrait à l'exploitant de rendre compte publiquement de l'incident. Un débat pourrait alors survenir, le cas échéant à partir de ces informations et des observations des experts et de l'autorité chargée de la sûreté. Toutefois, notre pays n'est pas encore entré dans une telle culture. La situation est comparable à celle du secteur automobile à l'époque où j'étais jeune fonctionnaire au ministère de l'industrie : les industriels étaient alors réticents à organiser le rappel des véhicules lorsque des problèmes techniques étaient décelés ; ils craignaient que leur image de marque en soit affectée. Aujourd'hui, de tels rappels sont devenus courants, et les consommateurs ne s'en alarment pas, bien au contraire. L'industrie du nucléaire, quant à elle, entre seulement dans l'ère de la transparence, mais notre société ne s'y est pas encore habituée. Les journalistes ne rendent pas toujours compte avec précision des informations qui leur sont délivrées : parfois, ils ne retiennent qu'une partie d'un communiqué, sans voir que le paragraphe suivant est de nature à nuancer une affirmation. Les professionnels eux-mêmes, qu'il s'agisse des exploitants ou d'experts tels que nous, ont aussi des progrès à accomplir en matière de communication.