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Intervention de Daniel Paul

Réunion du 24 novembre 2009 à 15h00
Application de l'article 61-1 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Paul :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'examen en deuxième lecture de ce projet de loi organique nous amène à faire quelques remarques sur les modifications apportées au texte par le Sénat.

La Haute assemblée a en effet supprimé le délai à statuer de deux mois, par les juridictions des deux ordres, sur la transmission de la question de constitutionnalité aux juridictions suprêmes. Il n'y a donc plus de délai explicite pour transmettre ces questions, même si la mention « sans délai » est maintenue. Cette nouvelle rédaction nous semble recéler une ambiguïté : ou bien on considère que la mise en place d'un délai à statuer risque d'être contre-productive, de ralentir les procédures et de favoriser le renvoi en bloc sans examen réel des questions soulevées ; ou bien on considère qu'un tel délai est nécessaire pour assurer l'effectivité de la nouvelle voie de droit.

Pour notre part, il nous semble que le dispositif retenu comporte déjà trop de filtres qui portent atteinte à ce droit. Supprimer de la loi organique le délai à statuer de deux mois revient à laisser aux juridictions la possibilité de ne pas statuer prioritairement sur les questions soulevées. En effet, les moyens de la justice ne permettent pas que les instances saisies se prononcent effectivement sans délai. Or offrir un nouveau droit aux justiciables, c'est donner un surcroît de travail à des instances judiciaires déjà étranglées, qui manquent cruellement de moyens humains et financiers. Il faut donc augmenter ceux-ci pour garantir l'application de la loi organique.

Les quelques retouches effectuées par les sénateurs ne bouleversent pas l'économie générale du texte, ce qui m'amène à rappeler les différents points qui nous semblent fortement sujets à critique.

Le dispositif mis en place est trop filtrant. Le législateur organique procède comme si les juridictions allaient être soumises à un afflux monumental de questions de constitutionnalité. Puisque le Gouvernement réduit chaque année les moyens financiers et humains de la justice, il diminue considérablement la portée de la nouvelle voie de droit par un double filtrage et un arsenal de moyens techniques dissuasifs, au lieu d'en garantir la pleine effectivité.

Nous répétons qu'il est inutile de créer la possibilité pour le citoyen de poser une question de constitutionnalité si tout est fait pour l'en dissuader. Un filtrage simple nous paraît suffisant. Ainsi, on aurait pu imaginer que les juridictions statuent dans un délai déterminé sur l'opportunité de transmettre directement la question au Conseil constitutionnel. Mais le filtrage que vous imposez est plus fort encore, puisque, par un certain nombre de dispositions annexes, vous faites en sorte que l'intérêt bien compris du justiciable soit de ne pas poser la question de constitutionnalité.

C'est le cas lorsque le projet de loi organique confère une priorité absolue à la question de constitutionnalité sur la question de conventionalité. On le sait, la seconde est un outil extrêmement utilisé par les parties, notamment d'un point de vue purement procédural. Privilégier la première, c'est donc faire en sorte que les plaideurs ne la posent qu'en appel, puisque, s'ils le faisaient en première instance, ils se priveraient des moyens offerts par le contrôle de conventionalité. Baptiser cette procédure « question prioritaire de constitutionnalité » relève de l'oxymore.

La majorité est d'ailleurs coutumière des techniques de manipulation sémantique. Pour citer un autre exemple, le texte autorisant le travail du dimanche fut baptisé « Loi réaffirmant le principe du repos dominical ». En l'espèce, si la question de constitutionnalité est réputée prioritaire, les délais de transmission aux juridictions suprêmes sont supprimés, et tout est fait pour qu'elle ne soit posée qu'en appel.

Autre filtrage implicite : poser la question de constitutionalité engendrera immanquablement des frais supplémentaires importants pour la partie qui en décidera. Il est donc à craindre que, dans la pratique, seuls les justiciables les plus aisés ou les groupes de pression aient la possibilité d'utiliser favorablement cette nouvelle voie du droit. Cela reviendrait à remettre en cause le principe d'égal accès de tous les citoyens à la justice, car la majoration de l'aide juridictionnelle ne couvrira manifestement pas le coût de la défense devant les juridictions supérieures.

Enfin, outre cet excès de filtrages en tous genres, la question de la nature du Conseil constitutionnel, nécessairement impactée par ce projet de loi organique, fait problème. Il deviendra en effet une juridiction véritable, amenée à entendre des plaidoiries et à trancher des litiges. Or, du fait de sa composition, cette institution, véritable prélature personnelle de la majorité au pouvoir, ne présente pas de garanties suffisantes d'impartialité pour jouer légitimement ce rôle.

Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés par les têtes du pouvoir exécutif et législatif, ce qui garantit a contrario leur extrême partialité. Qui plus est, les anciens chefs de l'État disposent d'un droit anachronique d'y siéger à vie. Les juges constitutionnels sont donc en position d'être juges et parties, puisqu'ils devront se prononcer sur la constitutionnalité de textes qu'ils ont fait voter ou soutenus. D'où la nécessité de réformer la procédure de nomination de ses membres.

Enfin, si l'on y réfléchit, le pouvoir du Conseil constitutionnel est exorbitant, puisque celui-ci se substitue au législateur. En effet, lorsqu'un texte est censuré, c'est par la volonté d'une instance moins légitime que le Parlement, puisque non élue au suffrage universel. Il serait donc préférable qu'un texte de loi rejeté par le Conseil, plutôt que d'être abrogé, soit soumis directement au Parlement qui, par un vote en matière constitutionnelle, décide d'abroger le texte ou de réviser la Constitution.

Vous le voyez, chers collègues, la « belle unanimité » et « l'esprit de consensus » tant vantés par le rapporteur n'existent que dans son esprit, puisque j'ai formulé devant vous des objections que nous tenons pour importantes.

Cela ne nous empêche pas de considérer qu'il faut effectivement donner au citoyen le moyen de poser la question de constitutionnalité. En outre, tous les moyens visant à garantir ses droits et libertés sont bons à prendre dans un contexte de politique sécuritaire, de sous-financement de la justice et de lois d'exception, souvent à la limite de l'esprit démocratique.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre ce projet de loi.

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