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Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 24 novembre 2009 à 15h00
Application de l'article 61-1 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaëtan Gorce :

Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous n'avons bien évidemment les uns et les autres qu'à nous réjouir du texte qui nous est présenté et de l'unanimité qui l'accompagne. D'une part, parce qu'il s'agit d'un véritable progrès, d'autre part, parce qu'il s'agit d'un vieux combat qui trouve ici son aboutissement.

Vous permettrez à un ancien collaborateur de François Mitterrand à l'Élysée de rappeler que, le 14 juillet 1989, il qualifiait comme une des grandes réformes qui pourraient être ajoutées à notre patrimoine en matière de protection des libertés l'idée de cette exception d'inconstitutionnalité, l'idée que le citoyen puisse directement saisir un juge pour défendre sa liberté et ses droits si le législateur y avait manqué. Un projet de loi déposé par Robert Badinter n'avait pas reçu, malheureusement, le même accueil dans cette assemblée et au Sénat. Les clivages politiques étaient alors – mais ce n'est que nostalgie et souvenirs que l'on doit effacer – plus marqués qu'ils ne le sont aujourd'hui, la gauche n'hésitant pas à apporter aujourd'hui ses suffrages à cette réforme. En 1993, le rapport Vedel, une fois de plus, y faisait allusion montrant bien que nous étions, là, dans une évolution indispensable.

Cette évolution n'était d'ailleurs pas facile à introduire dans les esprits, avant même d'être traduite dans notre Constitution. En effet, toute notre tradition juridique est fondée sur la souveraineté de la loi. On avait même reproché à un de mes anciens collègues, ancien ministre, André Laignel, d'y avoir fait ici à cette tribune allusion d'une manière qui a ensuite servi presque d'étendard à la critique contre une supposée hégémonie, qui était en fait une hégémonie législative, dont il ne faisait que rappeler l'histoire et la tradition.

Oui, c'est vrai, la République s'est bâtie sur l'idée que la loi était la plus forte. Parce qu'elle était l'expression de la volonté nationale, de la représentation nationale, elle ne devait pas connaître de limite autre que la sagesse des législateurs.

C'était faire une grande confiance aux législateurs, forcément fondée par le passé, plus difficile à imaginer aujourd'hui, non pas que la qualité de ceux qui peuplent cette assemblée ait diminué, mais parce que la complexité des sujets que nous avons à traiter et le nombre de lois n'ont cessé d'augmenter, nécessitant un renforcement des protections.

De ce point de vue, il a fallu la IVe République pour introduire un premier élément de contrôle, tellement modeste et tellement prudent, puis la Ve République, à travers la création du Conseil constitutionnel. Mais la tradition gaulliste, vous ne m'en voudrez pas, madame la garde des sceaux, n'était pas vraiment d'introduire un contrôle de la loi une fois votée, mais plutôt d'essayer d'enserrer le Parlement dans un ensemble de règlements et de procédures sur lequel le Conseil constitutionnel avait d'abord à veiller. Ce n'est qu'en 1971 que le Conseil constitutionnel a élargi le champ de son contrôle. Chacun s'en est réjoui, et il faut rendre hommage également au Président Giscard d'Estaing d'avoir eu, en 1974, le souci de permettre aux parlementaires de saisir directement le Conseil constitutionnel.

Tout cela pour dire que nous sommes au terme, peut-être provisoire parce que d'autres évolutions pourraient être envisagées, d'une évolution à laquelle chacun a peu à peu apporté sa pierre.

Il n'en demeure pas moins que si le texte qui nous est présenté constitue un progrès, si le groupe socialiste, et mon collègue Jean-Jacques Urvoas s'est exprimé sur le sujet à de nombreuses reprises, a contribué avec d'autres à son amélioration, il soulève toute une série de questions qu'il faudra que nous gardions en tête pour l'avenir.

La première concerne directement le Conseil constitutionnel. À travers les dispositions organiques, nous avons tiré les premières conséquences du changement qu'introduit la possibilité pour le citoyen de saisir directement cette instance. Il faudra que celle-ci modifie son organisation, pour faire face à une charge de travail plus lourde, et qu'elle fasse preuve de plus de transparence. Par ailleurs, il conviendra de réfléchir aux conditions dans lesquelles elle délibère et, plus encore, aux critères sur lesquels ses membres sont nommés.

Une deuxième question porte sur la stabilité de la Constitution. On ne peut imaginer de développer le contrôle de constitutionnalité par une deuxième voie, si l'on n'est pas assuré que le texte constitutionnel bénéficie d'une relative stabilité, au moins pour la disposition de ses articles. Or, au cours des dernières années, de nombreuses modifications ont été apportées à la Constitution, qui ne vont pas toutes dans le sens d'une clarification juridique. Certaines, en effet, appelleront une interprétation. Si, à l'avenir, quelqu'un veut introduire d'autres modifications, on peut souhaiter qu'il se montre plus modeste et plus sage, ou du moins qu'il manifeste un souci de précision, surtout s'il s'agit de faire évoluer la composition du Conseil : n'ajoutons pas, à l'incertitude des nominations, celle du texte, qui ne doit pas avoir à être interprété.

La dernière question porte sur l'évolution de ce qui constitue notre bloc de constitutionnalité. Si j'ai plaidé pour la stabilité du texte constitutionnel, je souhaite paradoxalement que nous clarifiions ceux qui font aujourd'hui référence, notamment le préambule de la Constitution et les dispositions auxquelles il renvoie. Qui ne percevrait pas l'inéluctable contradiction entre les textes directement issus de la Révolution, ceux qui ont été votés par nos glorieux ancêtres de la IIIe République, lesquels ont posé des fondamentaux que nous prenons toujours pour référence, ceux qui furent adoptés dans l'enthousiasme, notamment social, de la Libération, et ceux qui ont été introduits en 1958 ?

Ce serait une belle tâche, sinon pour les législateurs, du moins pour les juristes et les citoyens, que de réfléchir à une charte des droits et des libertés, comparable à celle qui a été élaborée au niveau européen. Elle devrait réussir la synthèse entre différentes préoccupations et offrir au Conseil constitutionnel doté de nouveaux droits et d'un nouveau mode de saisine, que nous appelons de nos voeux, un texte de référence exprimant l'idée que nous nous faisons de nos droits, de nos libertés et de nos garanties fondamentales.

Au lieu de discuter de l'identité nationale, que l'on mélange à d'autres thèmes plus douteux comme l'immigration, la nation et le Parlement se grandiraient s'ils cherchaient à réactualiser, à renouveler, à redéfinir les libertés et les droits auxquels nous croyons et sur lesquels nous voulons fonder l'avenir non seulement de notre législation mais de notre République.

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