Monsieur le président, madame la ministre de la santé, mes chers collègues, l'article 1er de la proposition de loi que nous vous soumettons dispose : « Toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu'elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions strictes prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée pour mourir dans la dignité ». Les huit autres articles de ce texte précisent les conditions et les contrôles juridiques et médicaux rigoureux prévus pour l'exercice de ce droit.
Jeudi dernier, nos échanges, en général de haute tenue, ont montré qu'il n'existe pas de contradiction entre ce nouveau droit et le développement des soins palliatifs. Ceux-ci jouent un rôle essentiel : ils sont pratiqués par des soignants au dévouement admirable, et ils doivent être encouragés. Cet aspect est expressément précisé dans la proposition de loi ; il s'applique dans les pays voisins où le nouveau droit s'exerce.
Un débat s'est engagé sur la notion de dignité. Certains redoutent qu'ouvrir le choix de « mourir dans la dignité » aux malades atteints d'affections graves et incurables n'implique qu'on juge contraire à cette dignité la vie elle-même, ou la fin de vie des malades qui n'ont pas recours à ce choix. Tel n'est ni l'objet de ce texte ni son effet, car il place la personne humaine au centre de toute décision, ce qui constitue un puissant élément de dignité. Il la rend juge de décider si ses souffrances sont telles qu'elle puisse demander, dans des conditions très strictes, une aide médicale active à finir sa vie. Cette liberté ne porte atteinte à aucune autre, et le choix proposé pour soi-même ne constitue en rien un jugement de valeur sur la vie d'autrui.
C'est pourquoi l'ouverture de ce droit a reçu et reçoit le soutien de millions de femmes et d'hommes, quelles que soient leurs convictions philosophiques, religieuses ou politiques. C'est aussi la raison pour laquelle des femmes et des hommes, anonymes ou connus, ont affronté courageusement, avec leurs familles et leurs soignants, des souffrances déchirantes et des interdits, avec l'espoir qu'ils ne seraient pas « morts pour rien ». Aujourd'hui, parmi nous, beaucoup pensent à eux.
L'essentiel du débat est bien là. Chaque année en France, plus d'un millier de malades se retrouvent dans la situation extrême qu'envisage notre proposition de loi. Certes, d'importants progrès ont été réalisés : les traitements anti-douleurs, les soins palliatifs et l'arrêt de l'acharnement thérapeutique, autorisé par la loi de 2005, apportent des solutions dans de nombreux cas. Néanmoins il demeure, je le répète, plus d'un millier de personnes sans solution de cette nature, soit parce que leurs douleurs physiques ne peuvent pas être atténuées, soit parce que leur souffrance psychique ne peut pas être levée, sauf à les plonger dans un coma irrémédiable.
Que se passe-t-il alors ? Une petite partie de ces malades, ceux qui en ont les moyens financiers, trouve à l'étranger une solution qui est alors légale. Les autres dépendent de la décision prise par les soignants de tel ou tel établissement, décision qui intervient souvent en dehors de tout cadre légal. Dans ce cas, les souffrances sont abrégées sans que le malade lui-même, sa famille ni, a fortiori, un collège de médecins ne se soit prononcé. On prétend calmer la douleur, mais, en fait, on administre des doses de sédatif que l'on sait mortelles.
Le débat réel réside donc exactement dans cette alternative : ou bien, nous continuons, comme aujourd'hui, d'accepter hypocritement que de nombreuses euthanasies soient pratiquées sans règles ni contrôle, ou bien nous décidons d'ouvrir le choix d'une fin de vie encadrée par des règles précises constituant une protection tant pour le malade que pour le médecin qui agira désormais, ou qui refusera d'agir – car ce sera son droit –, dans un cadre strict.
Il ne s'agit donc pas de choisir entre une situation aujourd'hui satisfaisante et une législation dangereuse pour demain, mais entre une situation confuse et dangereuse aujourd'hui et l'adoption, pour l'avenir, de règles protectrices de la liberté et de la dignité.
Mes chers collègues, un jour viendra, j'en suis certain, où, dans notre société laïque qui conforte ses principes à travers la loi, les trois piliers de la devise républicaine seront mieux respectés, du début de la vie jusqu'à son terme.
Avec cette proposition de loi, nous proposons davantage de fraternité face à la fin de vie, en permettant à ceux qui souffrent « mille morts » – et les mots ont un sens – d'obtenir qu'il y soit mis fin. Nous proposons davantage d'égalité, car nous pensons qu'il est choquant et injuste que la fin de vie dépende du degré de fortune et de relations de chacun, voire du hasard des pratiques hospitalières. Enfin, nous proposons davantage de liberté grâce à une nouvelle avancée du droit. Nous vous proposons, par votre vote, de traduire ce droit dans la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe GDR.)