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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 19 novembre 2009 à 15h00
Régulation de la concentration dans le secteur des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Monsieur le ministre, je résumais les quelques notes que j'ai prises : vous avez dit que le texte était « liberticide » ; Franck Riester a parlé de « caricature » et de « démagogie ».

Que voulons-nous réguler ? Ce qui nous gêne, c'est que les groupes industriels et financiers qui, dans notre pays, possèdent les médias, soient liés à la puissance publique par des marchés publics et par les commandes de l'État. Nous ne mettons nullement en cause l'actionnariat privé en tant que tel, pas plus que l'existence de solides entreprises privées dans les domaines de l'audiovisuel ou de la presse écrite. Nous serions d'ailleurs heureux, dans la crise que nous traversons et compte tenu des menaces qui, pour des raisons différentes, pèsent sur deux grands titres – un quotidien du matin et un quotidien du soir –, que la presse écrite bénéficie des financements et des investissements dont elle a besoin. Toutefois, nous considérons que l'indépendance des médias et, par ricochet, celle des journalistes sont les principales victimes de cette situation.

Notre proposition de loi n'a rien d'antiéconomique. Le Conseil constitutionnel veille à ce que la loi ne soit pas, comme dans les périodes les plus sombres de notre histoire, rétroactive. Si notre texte était voté, il ne s'appliquerait donc qu'à partir de sa promulgation. Vous dites, monsieur le ministre, que notre proposition de loi n'aurait d'effet qu'à long terme. C'est sans doute vrai pour l'audiovisuel, où l'actionnariat est plus stable, mais elle pourrait avoir des conséquences plus fortes pour la presse écrite et pourrait amener le groupe Lagardère, qui est le Murdoch français – ou qui a l'ambition de l'être –, à ne pas atteindre les objectifs qu'il s'est fixés.

Vous dites que, en France, les entreprises de médias sont sous-dimensionnées. Je ne pense pas que ce soit le sujet du jour. Je ne comprends pas, en tout cas, monsieur le ministre, comment vous pouvez voir, dans cette proposition de loi, un retour à avant 1981 – vous faisiez allusion à la libération des ondes – ou à l'ORTF. J'avoue que je manque d'arguments pour vous répondre, car je vois mal le rapport entre la proposition de loi que nous avons déposée et la régression que vous stigmatisez.

Franck Riester a rappelé que les socialistes avaient déposé un texte semblable il y a une dizaine d'années, sans toutefois le mettre en oeuvre. Mais les temps changent. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, l'obsession des gouvernements amenés à se pencher sur le dossier, c'était le groupe Hersant. De même, dans les années quatre-vingt-dix et au moment du vote de la loi de 2000, les préoccupations concernant la toute-puissance de TF1 et la part d'audience remportée par ses programmes, aussi bien le journal de vingt heures que ses autres émissions, étaient très présentes dans nos débats. La réalité d'aujourd'hui est très différente.

Si l'on veut entreprendre une action de recherche en paternité pour le lancement de la TNT, il faut rappeler que c'est dans la seconde lecture de la loi de 2000 que nous en avons posé les bases. Pour vaincre les résistances de TF1 à l'introduction de la TNT, il a fallu, plus encore que les efforts du gouvernement d'alors, la forte personnalité de Dominique Baudis à la tête du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Monsieur le ministre, nous ne prenons pas les Français pour des enfants. Nous connaissons leur autonomie, leur rapport à l'information. Les sondages montrent que nos concitoyens savent prendre beaucoup de distance par rapport à ce qu'ils lisent dans les journaux et regardent à la télévision, pour se forger leur propre opinion. De même, ce n'est pas parce que le Président de la République traverse une mauvaise passe, ce n'est pas parce qu'il ne maîtrise plus sa communication comme il le faisait au début de son quinquennat, qu'il faut stigmatiser internet et la diversité des informations qui y sont fournies, et y voir, comme cela a été dit très imprudemment, le tout-à-l'égout de la démocratie.

Chers collègues, je suis ces questions depuis assez longtemps, avec d'excellents collègues – notamment Patrice Martin-Lalande –, pour savoir qu'internet, parce que c'est un média, n'est que le reflet de la société.

Vous trouvez, sur internet comme dans la société, le meilleur aussi bien que le pire. Nous débattrons nécessairement de ces questions, mais je ne souhaite pas prolonger excessivement notre discussion d'aujourd'hui.

Je vous rappelle le classement établi par Reporters sans frontières, qui interpelle tout de même tous les parlementaires que nous sommes.

S'agissant de l'affaire des sondages payés par la Présidence de la République et complaisamment repris par la presse écrite et par la presse audiovisuelle, force est de constater que le média audiovisuel LCI et le média de la presse écrite qu'est Le Figaro sont propriétés l'un de Bouygues l'autre de Dassault, qui vivent des commandes de l'État. C'est pourquoi nos citoyens ont à l'esprit le soupçon que vous évoquiez, monsieur le ministre. Notre proposition de loi, en coupant ce cordon ombilical, contribue à une plus grande indépendance des médias.

J'espère avoir en partie répondu à votre propos, monsieur Riester, puisque vos arguments rejoignaient, sur de nombreux points, ceux du ministre.

S'agissant de l'application des propositions, des difficultés techniques ont été soulevées. Je ne vois pas en quoi elles consistent. En l'occurrence, il existe ces fameux seuils de 49 % pour la presse audiovisuelle et de 30 % pour la presse écrite, destinés à prévenir la concentration. Nous n'y avons d'ailleurs, ni les uns ni les autres, véritablement touché depuis une dizaine d'années, ce dont nous devons nous réjouir. Pourquoi pourrait-on réguler la concentration et faire respecter des seuils anti-concentration dans l'audiovisuel – c'est la mission du CSA – ou dans la presse écrite et ne pourrait-on pas amener les grands groupes industriels et financiers qui vivent des commandes de l'État à quitter progressivement l'actionnariat des médias audiovisuels ou de la presse écrite ?

En ce qui concerne les sondages de la Présidence de la République, s'il n'était pas fait droit à la demande de commission du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche dans sa formulation actuelle, nous irions jusqu'au bout de cette affaire qui me paraît importante. Lorsque des sondages sont complaisamment repris dans la presse après avoir été payés par la Présidence de la République – auquel cas questions et réponses sont évidemment laudatives pour l'exécutif –, on est dans une logique de fabrication de l'opinion, pour ne pas dire de manipulation de celle-ci.

La proposition de loi qui vous est proposée aujourd'hui ne constitue en rien une étatisation potentielle, comme si la puissance publique allait se substituer à des actionnaires obligés, en cas d'adoption de notre proposition, de se défaire des médias qu'ils possèdent. À mon avis, l'étatisation guette plus l'AFP que les médias dont nous parlons aujourd'hui, mais nous aurons prochainement l'occasion de l'évoquer au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, grâce à sa présidente, qui a fait suite à notre demande en ce sens.

Il n'y aurait pas de presse audiovisuelle ou écrite sans ceux qui la fabriquent. Je parle évidemment des journalistes. Je regrette d'ailleurs, lorsque vous évoquez la presse, que vous parliez plus des éditeurs, voire des lecteurs, que des journalistes. Qui peut nier que la crise de la presse écrite conduit à une grande précarisation du métier de journaliste ? Nombre d'articles et d'enquêtes sont le fait de journalistes très précarisés, les fameux pigistes. Or la précarisation sociale des journalistes peut réduire l'indépendance sur le plan des idées.

En tout cas, j'ai entendu M. Riester, s'exprimant au nom de l'UMP, déclarer que l'indépendance des médias était tout d'abord l'indépendance des rédactions. C'est une excellente chose ! Je le dis sans ironie, car le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a envie de poursuivre sur cette voie de l'indépendance des médias, en s'attaquant à la question de l'indépendance des équipes rédactionnelles. J'ai compris que l'UMP serait présente à ce rendez-vous, que je me permets d'ores et déjà de fixer.

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