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Intervention de Christian Vanneste

Réunion du 19 novembre 2009 à 9h30
Droit de finir sa vie dans la dignité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Vanneste :

Madame la ministre, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui repose sur une apparence et recèle une profonde réalité.

En apparence, il y a un consensus. Ce consensus, c'est le souci de respecter l'humanité de celui qui va mourir, c'est celui de la dignité.

La réalité du débat, c'est celle de la signification que l'on donne à ce mot de « dignité ». Au delà des meilleures intentions, deux conceptions opposées s'affrontent.

L'opposition se manifeste d'abord dans la démarche. Je me souviens de celle qui a caractérisé la mission conduite par Jean Leonetti et qui a débouché sur la loi du 22 avril 2005. Elle était guidée par une exceptionnelle volonté d'équilibre. Le temps passé, le nombre et la diversité des auditions, la qualité des informations, l'oubli des attaches partisanes dans les échanges laissent dans mon souvenir l'exemple de l'excellence d'un travail parlementaire. Nous avions pris en considération les deux confrontations qui nourrissent ce débat : celle des philosophies ou des croyances, bien sûr, mais aussi celle des évolutions scientifiques ou techniques face aux valeurs éthiques d'une société.

Cet équilibre a été pleinement réalisé par la loi de 2005, notamment en trouvant un juste milieu entre les deux écueils de l'acharnement thérapeutique et de l'aide active à la mort. Le rapport de la mission d'évaluation de décembre 2008 ne le remet pas en cause ; il déplore seulement les imperfections de sa mise en oeuvre.

Ce qui caractérise au contraire la démarche de la revendication en faveur de l'euthanasie, c'est la transgression, comme Mme la ministre le disait très justement tout à l'heure. Franchir « un nouveau pas », telle est la proposition qui nous est faite aujourd'hui.

Cette expression appelle deux remarques. D'abord, il faudrait montrer davantage d'esprit critique. Il ne suffit pas d'avancer, il faut aussi savoir dans quelle direction l'on avance. Ensuite, un nouveau pas, c'est parfois un pas de trop.

Apparemment, la revendication de l'euthanasie va dans le sens de l'histoire. Elle se présente comme la conquête d'un nouveau droit et peut donner à certains la satisfaction de faire tomber un tabou. Cette conception rectiligne de l'histoire est bien naïve. Il est évident que l'évolution de nos sociétés par rapport à la représentation de la mort est forte. Il n'est pas sûr qu'elle soit bonne.

Trois aspects la caractérisent. Tout d'abord, la mort est niée, elle se replie dans le temps et dans l'espace, elle se dépouille de ses symboles.

Ensuite, elle est sans doute la marque la plus forte de la « foule solitaire » que devient notre société. La mort est de moins en moins sociale, elle tend à enfermer chaque vie dans un destin strictement individuel.

Enfin, ce qui identifie nos sociétés, c'est le nivellement de tout relief spirituel. Certains pays sont effectivement les « plats pays » de la spiritualité. Ce n'est pas par hasard s'ils ont été parmi les premiers à légaliser l'euthanasie… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

On peut au contraire penser à la manière de Durkheim, de Caillois ou encore de Mircea Eliade, indépendamment de toute croyance religieuse, que l'existence d'une frontière entre le sacré et le profane a joué un rôle essentiel dans la genèse de l'humanité. Celle-ci a commencé entre autres par le respect des morts. Le pas de trop consiste à oublier cette dimension du passage de la vie à la mort.

Mais la différence entre les deux conceptions qui s'opposent aujourd'hui repose aussi sur le rapport entre un homme et la société à laquelle il appartient. Un homme n'est jamais un individu, et encore moins un individu de trop. C'est une personne, que les autres personnes, celles des communautés auxquelles il appartient, ont construite au cours de son enfance, au cours de sa vie. Décider de sa propre mort, c'est rompre ce lien.

Le suicide, comme le montre encore Durkheim, est toujours l'expression d'un déséquilibre entre l'homme et la société, soit que la société exige trop de lui, par exemple qu'il se sacrifie, soit qu'il la refuse et veuille s'en délivrer. Choisir sa mort, c'est peut être s'estimer de trop pour les autres, c'est peut être s'estimer insuffisant face aux autres. Hannah Arendt souligne que le totalitarisme commence toujours quand on considère qu'un homme est de trop. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

C'est pourquoi la réponse la plus humaine consiste à accompagner celui qui va mourir le plus loin possible en lui évitant de souffrir. C'était le sens même de la loi que nous avons votée en 2005 ; il faut s'y tenir. Aller au delà, notamment en donnant droit à la souffrance psychique, subjective et sans limites définies, c'est ouvrir une voie dangereuse : celle de l'individualisme, comme l'a souligné Mme Besse, celle du matérialisme, une voie qui met en péril l'éthique médicale, qui tourne le dos au progrès des thérapeutiques, notamment celles propres à dominer la douleur, et enfin aux soins palliatifs qui sont l'une des plus belles expressions de la solidarité humaine.

Je tiens à dire que c'est grâce au travail conduit par Jean Leonetti que j'ai découvert les soins palliatifs.

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