La civilisation ne commence et n'avance que par les interdits qu'elle proclame et les limites qu'elle fixe. Celles-ci sont pour moi intransgressibles.
Nous savons tous ici qu'une dérogation admise risque toujours d'autoriser la suivante. C'est ce qu'exprime la sagesse populaire lorsqu'elle affirme que « lorsque les bornes sont franchies, il n'y a plus de limites ».
On nous oppose souvent des législations étrangères, pourtant très minoritaires. Il faut en parler. Il faut rappeler, par exemple, ce que nous apprennent les publications internationales récentes sur les données hollandaises. Suzanne Rameix, professeur agrégée de philosophie, les rappelait devant notre mission lors de son audition du 7 mai 2008 : « Il y a aux Pays-Bas des euthanasies qui ne se font pas sous la forme légalisée ou dépénalisée de la loi. Les chiffres montrent des euthanasies sans demande du patient, au point qu'actuellement certaines personnes âgées portent sur elles un testament de vie dans lequel elles demandent explicitement qu'on ne pratique en aucun cas d'euthanasie sur elles ». Ou bien elles vont se faire soigner à l'étranger.
Les Hollandais commencent à s'interroger sur l'application de l'euthanasie aux enfants et, ce qui est plus délicat encore, aux malades mentaux.
Nous sommes tous ici fondamentalement animés par le même souci du respect de la personne humaine, de sa dignité et de sa liberté et c'est aussi pour cela que je voudrais convaincre qu'il est des libertés liberticides.
Dans leur exposé des motifs, nos collègues évoquent le souhait de personnes qui, ignorant Homère, pour qui le sommeil et la mort sont des frères jumeaux, refuseraient d'être plongées dans le coma bien qu'elles jugent insupportables leurs souffrances physiques ou psychiques. Mais faut-il que la loi s'adapte à la diversité des volontés individuelles ?
Le prolongement du droit liberté par le droit créance, autrement dit le passage du « droit de » au « droit à » que la société doit satisfaire, participe des avancées de civilisation. Ainsi en est-il du droit au traitement de la douleur ou du droit aux soins palliatifs. Mais faut-il reconnaître à l'acte d'euthanasie ce statut de droit créance, ici un droit créance partiel, puisqu'il ne vaudrait que pour les majeurs, et un droit à géométrie variable puisqu'il serait fonction du ressenti, forcément subjectif, de la personne ?