Ce climat est d'ailleurs celui qui a présidé à l'élaboration de la loi en 2005 où chacun a pu s'écouter et où nous avons abouti à une loi consensuelle. Ce n'est pas parce qu'elle est consensuelle qu'elle est parfaite, mais ce n'est pas parce qu'elle est consensuelle qu'elle est à rejeter.
Évoquer ce problème me permet d'abord de poser l'idée déjà développée selon laquelle « la mort, ce n'est jamais la mienne, mais celle de l'autre ». On a, en fait, très vite constaté que les convictions intimes que nous avons ne sont pas liées au fait d'être de droite ou de gauche, ni même de croire en Dieu ou de penser que le ciel est vide. Elles sont liées à nos vécus personnels, ancrés dans nos coeurs et dans nos âmes, de la mort de l'être cher. Nous raisonnons ainsi : « faut-il vivre cela, à notre tour, ou faut-il que nous puissions avoir une mort sereine et apaisée ? » Face à cet être cher qui meurt, nous sommes parcourus par ces désirs de mort et de vie : « J'ai envie qu'il reste parce qu'il est encore vivant, et j'ai envie qu'il parte pour cesser de souffrir, et cesser de souffrir de le voir souffrir… » Le malade lui-même est parcouru par ces désirs. L'homme se trouve, un jour, comme le dit Camus, devant la réalité incontournable de la vraie question philosophique : « Ma vie vaut-elle la peine d'être vécue ? » Ceux qui ne se sont jamais posé cette question sont fort démunis, lorsqu'ils arrivent au bord de leur finitude.
Nous vivons aussi dans une société qui nie la mort, qui la dénie, qui rejette l'idée du deuil, du rite et qui considère que la mort doit être discrète, peut-être même masquée. Elle est, en effet, devenue moins familiale, moins familière, plus hospitalière et quelquefois surmédicalisée. La médecine a fini par créer des situations complexes insupportables. À force de vouloir défendre la vie à tout prix, on se trouve face à des situations dans lesquelles la vie n'est acceptable ni pour ceux qui la subissent ni pour ceux qui l'entourent.
On sait aussi que la loi d'avril 2005, si elle n'est pas parfaite, posait au moins deux principes : le non-abandon et la non-souffrance. En effet, la demande de mort se justifie par deux raisons principales : la solitude et les douleurs physiques. Dans notre pays, on continue de mourir dans des souffrances physiques. La loi a voulu casser ce tabou en précisant que le double effet était autorisé et que l'on pouvait apaiser les souffrances, même au risque, en phase terminale, de raccourcir la vie. La loi a condamné l'acharnement thérapeutique sous le nom d'obstination déraisonnable. La loi a, enfin, précisé que l'autonomie de la personne devait être respectée dans ses demandes d'arrêt de traitement et que le malade ne devait jamais être abandonné. Nous avons trop vécu ces portes que l'on n'ouvrait plus parce que les mourants étaient derrière, ces malades qui, abandonnés à des soignants impuissants à prescrire, souffraient !
Cette révolution est en marche grâce à vous, madame la ministre. Les soins palliatifs se développent. Néanmoins, une évaluation supplémentaire a été menée avec Gaëtan Gorce, Michel Vaxès et Olivier Jardé. Il nous a alors semblé que l'arrêt des traitements était quelquefois pratiqué de manière barbare. Ce que nous avions proposé comme un « laisser mourir » devenait parfois insupportable, les médecins arrêtant tous les traitements de survie et fuyant la vie finissante et l'agonie douloureuse. (Approbation sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Aujourd'hui, en Conseil d'État, et bientôt sous votre plume, madame la ministre, une modification de l'article 37 fera obligation aux médecins, qui arrêtent des traitements de survie, d'administrer des sédatifs et des antalgiques pour éviter ces agonies que nous avons connues avec l'affaire Pierra.