Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, chacun en convient, la loi du 22 avril 2005, cher Jean Leonetti, a constitué une avancée considérable dans le débat sur la fin de vie – et vous en convenez, monsieur le rapporteur. Faut-il aujourd'hui, comme vous le suggérez, « franchir un nouveau pas » ? Quel est ce « pas » que vous évoquez ? Quel est ce « franchissement » que vous justifiez au nom du principe de dignité ? Est-ce un progrès ou la transgression d'une limite ?
En vérité, la proposition que vous défendez bouleverse et met en péril les fondements de l'éthique qui, depuis l'origine de la médecine, irrigue sa pratique : cette éthique qui nous enjoint d'être attentifs à la souffrance du prochain, de lui porter secours, de répondre à sa détresse par des gestes de vie ; cette éthique qui proscrit l'obstination déraisonnable, mais qui interdit au médecin, conformément au code de déontologie, de provoquer délibérément la mort.
L'entrée dans une phase avancée d'une maladie oblige médecins et soignants à entendre et à respecter la volonté des patients. Cette obligation renforce le droit des malades, rappelle au médecin leur devoir sans leur conférer pour autant un nouveau droit : celui de mettre fin à la vie du patient.
Il s'agit là d'un des principes irréfragables régissant l'éthique médicale : la mort peut être une conséquence, mais ne peut en aucun cas procéder d'un projet auquel le corps médical serait associé. La loi sur la fin de vie incorpore ces valeurs.
Le droit ne saurait sans entrer en contradiction avec lui-même, sans trahir ni oublier ses fondements éthiques, admettre, à titre d'option, la pratique de l'euthanasie ou du suicide assisté. La coexistence de dispositions aussi contradictoires en leur principe serait incohérente. Peut-on justifier, au nom du libre choix individuel, une telle contorsion du droit, une telle distorsion de l'éthique médicale, une telle plasticité des principes ?
Sans doute, le respect de l'autonomie du sujet constitue la pierre de touche permettant d'évaluer le bien-fondé de toute disposition concernant les malades en fin de vie. Or l'autonomie n'est pas garantie par la fausse possibilité d'un choix entre la mort et une insupportable souffrance. Précisément, l'autonomie suppose la réversibilité toujours possible du choix.
C'est en ce sens que les soins prodigués aux malades en fin de vie ont d'abord pour effet et pour fonction de libérer les patients de la souffrance qui aliène. C'est en ce sens que le geste médical se trouve ici placé au service de l'autonomie.
Le droit des malades et des personnes en fin de vie trouve ainsi son fondement dans cet impératif toujours difficile à satisfaire : reconnaître une liberté au moment même où la diminution de notre puissance paraît plutôt impliquer, presque mécaniquement, la tentation de la tutelle.
Il est essentiel, quand tout paraît basculer, de préserver jusqu'au bout les conditions d'un colloque singulier, permettant de recueillir la volonté des malades dont, concrètement, l'expression peut varier, voire se contredire, d'une heure à l'autre, notamment en fonction de l'intensité de la douleur physique et de la souffrance morale. Ne pas admettre ces moments où la volonté de se battre succède à la lassitude, c'est méconnaître la réalité de la maladie et la complexité de la personne humaine.
Comment répondre à la détresse qui peut rendre la mort désirable ? Comment répondre à l'expression d'un désarroi irrémédiable ? Cette question abrupte, qui pourrait ne pas l'entendre ? Quel médecin, aux côtés d'un patient entraîné dans le gouffre de la dépression, ne se l'est pas posée ? Comment libérer un être du tourment qui l'anéantit ?
Il ne s'agit pas d'abréger la vie, mais d'affranchir la personne en fin de vie de la souffrance qui enferme. La pratique palliative trouve là l'essentiel de sa raison d'être. Ce n'est pas la vie qui aliène, mais d'abord la douleur, dont il faut libérer le patient. Au stade terminal, ou avancé, d'une affection grave et incurable, l'exigence de liberté s'impose jusqu'au bout. Les soins palliatifs, se déployant dans des gestes de vie, sont une assistance à la liberté. Cette liberté est le bien le plus précieux qui fonde notre dignité, cette dignité toujours invoquée mais trop souvent trahie dans ses principes.
Répondre à une demande de mort, prétendument aider, reviendrait à réduire une personne à un être enfermé dans la douleur. Les personnels soignants, dans des situations dramatiques, se trouvent souvent placés devant des cas de conscience. Ce qu'il est convenu d'appeler le double effet peut alors constituer une réponse légitime et, je voudrais le souligner ici, la seule qui soit recevable au regard des exigences spécifiques du soin.
La différence entre le bien d'une intention – apaiser la souffrance – et le mal d'une conséquence non voulue – la mort comme effet indirect possible – permet de distinguer nettement ce qui relève de l'euthanasie et ce qui relève des justes moyens de lutte contre la douleur.
À cet égard, l'expression consacrée de « laisser mourir » n'est pas sans équivoque. En l'opposant à l'« aide active à mourir », on laisse trop souvent entendre, très malencontreusement, qu'à l'action s'oppose le délaissement.
C'est ignorer la réalité de la pratique : les soins palliatifs, dont il convient de diffuser et non de contredire la pratique, impliquent une présence exigeante dans l'accompagnement.
Alors pourquoi rechercher ailleurs des réponses aux questions que nous nous posons, dans des pays qui souvent, d'ailleurs, veulent désormais s'inspirer davantage de notre démarche, raisonnée, équilibrée, exigeante ?
Il est des douleurs insupportables. Nul ne le nie. Nul ne peut y être insensible. La question est de savoir si une évolution de la loi pourrait permettre de mieux gérer ces cas exceptionnels. Or la loi ne peut, par destination, définir que des principes. Ce qui est exception ressort de l'espèce, non du genre. Comment la loi pourrait-elle, en effet, définir dans leur singularité radicale, irréductible à toute anticipation abstraite, les cas exceptionnels ? À supposer qu'on soit capable de rédiger une telle loi, les médecins auront toujours à trancher, dans chaque cas singulier soumis à leur appréciation. La médecine est toujours l'épreuve d'un cas de conscience, dans des situations exceptionnelles où l'humanité doit prévaloir, et aucun des arguments que vous nous avez apportés, monsieur Valls, ne permet de surmonter ces principes. Vous parlez du refus de l'hypocrisie, en affirmant que, puisque l'euthanasie est pratiquée, il faudrait la légaliser. Quelle singulière conception du droit. Vous dites que l'opinion publique attend cette légalisation. Quel curieux argument. Selon ce principe, il aurait donc fallu rétablir la peine de mort, puisque l'opinion publique la réclamait. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – « Elle a raison ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Vous parlez d'un droit nouveau pour l'individu. Mais n'est-ce pas plutôt un devoir insupportable pour le médecin ?
Parce que la loi Leonetti est porteuse de cette conception de l'humain et de la médecine, nous souhaitons aujourd'hui favoriser davantage son application effective. Ainsi, nous ne saurions prendre le risque de contrarier le développement de la culture des soins palliatifs dans notre pays, en légalisant des pratiques contraires aux principes que nous venons d'énoncer, aux principes qui structurent la loi et qui fondent une éthique de la vulnérabilité digne d'être défendue.
Au moment où le programme de développement des soins palliatifs 2008-2012 se met en place, au moment où viennent d'être créées six nouvelles unités de soins palliatifs, au moment où la formation des bénévoles et des gardes-malades s'amplifie et où celle des soignants intègre enfin un enseignement spécifique, l'heure n'est pas venue d'entraver le développement d'un projet déterminé par une éthique de la vie, soucieuse de respecter jusqu'au bout la liberté du sujet.
C'est cette éthique qui structure notre engagement en faveur des soins palliatifs. La vie d'autrui n'est à la disposition de personne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – « À la disposition de soi-même ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Le 25/11/2010 à 00:27, Granpierre a dit :
Ceux qui pensent que le débat se cantonne uniquement au choix individuel concernant sa fin de vie se trompent.
En effet, ce choix "individuel" aurait des conséquences collectives, s'il était accepté collectivement.
La conséquence principale serait la diffusion collective de l'idée que certaines vies sont indignes et que ces individus "feraient mieux de se faire euthanasier".
- il a Alzheimer ? Quel idiot, il ferait mieux de se faire euthanasier, c'est si facile de nos jours
- il est trisomique ? Quel idiot, il ferait mieux de se faire euthanasier. D'ailleurs, au passage, on devrait euthanasier aussi ses parents, quels irresponsables de l'avoir laissé naitre !
- il est handicapé ? Ce serait plus simple s'il se faisait euthanasier
Ce processus prendra probablement quelques années, mais finira à coup sur par arriver. Et quand on en sera là, le jugement implacable du regard de l'autre, conjugué aux difficultés économiques ("ah, ce petit vieux, non seulement il bave, mais en plus tu as vu ce qu'il nous coute en soins et en retraite ?") se muera en une pression sociale normative à laquelle qui peut prétendre pouvoir résister ?
Donner le droit à certains individus de considérer leur vie indigne d'être vécue, c'est considérer collectivement que l'indignité d'une vie existe au point qu'il soit normal de la supprimer.
C'est considérer que les "anormaux" (handicapés, personnes âgées, etc...) ne sont pas dignes de vivre et qu'il serait plus normal qu'ils demandent la mort. C'est un jugement très dur, enfermant, inacceptable. Les sentiments humains nous imposeraient d'aller vers ces personnes pour les aider à supporter leur souffrances ; basculer dans le "droit à l'euthanasie" signera ainsi leur exclusion et leur mise à l'écart.
De quel droit ceux qui demandent à mourrir jetteraient-il l'opprobe sur tous ceux qui sont en marge des canons de la santé ?
Et puisque nous serons vieux un jour, c'est la corde pour nous pendre, que nous tressons aujourd'hui si nous acceptons de considérer que certains feraient mieux de partir.
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