Madame la présidente, madame la ministre de la santé et des sports, mes chers collègues, « la mort joue à cache-cache avec la conscience : où je suis, la mort n'est pas ; et quand la mort est là, c'est moi qui n'y suis plus », écrivait Vladimir Jankélévitch. Expérience insaisissable par les vivants, la mort exige d'eux qu'ils l'appréhendent toujours avec prudence. Depuis des millénaires, cette seconde impalpable entre le pas encore et le jamais plus ouvre aux hommes un abîme de conjectures.
En la matière, les certitudes hâtives et les affirmations péremptoires doivent donc êtres mises en doute. Les invectives et les rodomontades, d'où qu'elles viennent, trahissent l'ignorance. Pour nous, législateurs, il est tout particulièrement difficile d'appréhender cette question, car elle nous confronte à la finitude, sinon à la vanité des entreprises humaines : nous préférons d'habitude concevoir notre rôle dans l'affirmation de la volonté plutôt que dans la reconnaissance de l'inéluctable.
Ainsi la question de la fin de vie des malades a-t-elle été longtemps traitée en creux par le droit français ; il a fallu attendre la loi du 22 avril 2005 pour marquer une heureuse évolution. Cette loi, qui couronnait la démarche engagée par les lois du 9 juin 1999 et du 4 mars 2002, a permis de légaliser ce qu'il est convenu d'appeler le « laisser mourir » en reconnaissant au patient et au médecin la possibilité d'arrêter l'acharnement thérapeutique. Considérée par les uns comme une dérogation exceptionnelle et présentée par les autres comme une liberté minimale, la loi du 22 avril 2005 a atteint un point d'équilibre qui lui valut d'être alors votée à l'unanimité.
Au printemps 2008, notre collègue Jean Leonetti, avec quatre autres collègues, a été désigné à la tête d'une mission parlementaire pour évaluer la loi qui porte son nom. Rendu à la fin de l'année dernière, le rapport de sa mission contient vingt recommandations tendant à améliorer la mise en oeuvre de la loi sans en changer l'équilibre. Or, si chacun reconnaît que les dispositions de cette loi mériteraient d'être mieux connues des malades et du personnel médical, il n'en reste pas moins qu'elles demeurent insuffisantes pour certaines personnes en phase terminale. La généralisation du recours aux soins palliatifs, en faveur de laquelle tout doit être fait compte tenu des faiblesses de l'offre à ce jour, ne répondra jamais, en effet, aux souffrances et aux demandes de tous les malades.
Dans quelques cas, heureusement rares, les douleurs des patients restent rebelles à toutes les sédations ; dans d'autres, beaucoup plus fréquents, les malades refusent d'être abrutis par les médicaments sédatifs au moment de partir. Ils préfèrent – et c'est là leur ultime volonté – quitter leurs proches en restant capables de les reconnaître et de les appeler par leur nom. Dans tous ces cas, les médecins sont aujourd'hui laissés seuls face à leur conscience et à la détresse des patients et de leur famille. Les uns s'interdisent jusqu'au bout le geste libérateur ; les autres finissent par céder aux demandes réitérées de mourir.
Dans une pétition publiée par Le Nouvel Observateur en mars 2007, plus de 2 000 soignants ont ainsi reconnu avoir « en conscience aidé médicalement des patients à mourir ». Il appartient alors aux juges, au hasard des dénonciations et des révélations, de dire le droit, au cas par cas, pour condamner les uns et acquitter les autres.
Non, mes chers collègues, il n'est pas possible que le législateur se démette de sa responsabilité. C'est pourquoi des députés de tous bords ont déjà déposé de nombreuses propositions de loi tendant à légaliser l'euthanasie : je pense notamment à celles de Laurent Fabius, de Jean-Paul Dupré, de Germinal Peiro, d'Yves Cochet ou d'Henriette Martinez. Pour la première fois de notre histoire parlementaire, grâce à l'initiative du groupe socialiste, l'une d'elles, qui a fait l'objet d'un très long travail, est inscrite à notre ordre du jour. Elle repose sur trois principes.
Le premier de ces principes est le refus de l'hypocrisie. Le principal argument des opposants à l'euthanasie est d'affirmer le caractère inviolable de certains interdits. Pourtant, l'euthanasie est en réalité, et depuis longtemps, une pratique courante dans de nombreux centres de soins. On estime ainsi que plusieurs milliers de malades bénéficient chaque année d'une aide à mourir. Dans la grande majorité des cas, cette violation de l'interdit est jugée avec mansuétude par le corps judiciaire. Le seul enjeu est donc de savoir si la loi doit reconnaître la réalité ou s'en tenir à un affichage hypocrite de principes. Or, en l'espèce, l'hypocrisie paraît d'autant moins acceptable – même s'il faut en débattre – qu'elle est inscrite au coeur même du dispositif légal.
La loi du 22 avril 2005 prétend en effet établir un subtil distinguo entre « laisser mourir » et « faire mourir ». Convaincante sur le papier, cette distinction ne résiste pas à l'épreuve des faits. Pour lutter contre les douleurs de certains patients, les médecins sont parfois obligés d'utiliser ce qu'il est convenu d'appeler une « sédation terminale ». Dans ces circonstances, quoi que l'on veuille bien en dire, les médecins éteignent simultanément, dans un même geste, les souffrances et la vie du malade.
En dehors de ces cas extrêmes, la loi du 22 avril 2005 autorise des pratiques assimilées, par des autorités prestigieuses comme le Pape, à des aides actives à mourir : je pense notamment à l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation dont un rapport du Conseil d'État a établi clairement qu'il ressort des dispositions de la loi.
Contrairement à ce que d'aucuns voudraient croire, la frontière entre « laisser mourir » et « faire mourir » n'est pas étanche, mais poreuse. Dans des circonstances où tout est relatif et question d'interprétation, il est vain d'opposer le caractère absolu de l'interdit « Tu ne tueras point », dont la force normative est, de fait, inopérante. La seule manière d'éviter les dérives est d'admettre enfin la réalité pour mieux l'encadrer ; tel est justement l'un des objectifs de la présente proposition de loi.
Le deuxième principe de notre texte est la conséquence de ce refus de l'hypocrisie : trop longtemps les non-dits ont été le prix à payer pour le consensus à tout prix. La majorité des députés socialistes est aujourd'hui convaincue qu'elle doit désormais afficher clairement ses objectifs. Nous avons examiné toutes les pistes, et notamment celle proposée par Gaëtan Gorce de « l'exception d'euthanasie ». Le souci de ménager la conscience de chacun en avançant pas à pas est compréhensible ; mais cette démarche ne correspond plus aux besoins ni aux attentes. Toutes les enquêtes d'opinion réalisées sur le sujet montrent en effet qu'une forte majorité de nos concitoyens attend une légalisation globale de l'euthanasie.
Par ailleurs, ces indispensables évolutions, loin de s'opposer au développement des soins palliatifs, les accompagnent. Au Pays-Bas et en Belgique, les décisions médicales visant à abréger la vie n'ont pas entravé les pratiques de soins palliatifs ; elles ont surtout été prises dans le cadre des soins multidisciplinaires.
Plutôt que de chercher un consensus impossible, les signataires du présent texte préfèrent revendiquer leur différence en affirmant le principe d'un droit général à l'euthanasie, d'une véritable aide active à mourir. Ils ne craignent pas d'assumer ainsi la confrontation noble de deux définitions de la dignité humaine.
Pour les opposants à l'euthanasie, la dignité est une dimension inhérente à la vie humaine. Quelles que soient les conditions d'existence d'un individu, sa dignité reste inaltérable et s'impose à lui-même. Il n'est jamais libre d'en juger. À l'inverse, pour les partisans de l'euthanasie, la dignité est une propriété dépendant de la qualité de vie. Elle ne s'appuie sur aucune forme de transcendance et laisse chaque individu en mesure de l'apprécier pour lui-même.
C'est sur la base de cette dernière définition que notre proposition de loi fait référence à la fin de la vie dans la dignité. Sa prétention n'est pas – loin s'en faut – de définir les critères d'une mort digne. Elle est seulement de permettre à chaque individu d'en être le seul juge, lorsque les affres de la maladie dépassent un seuil intolérable.
Le troisième et dernier principe de notre texte découle directement de ce choix. Il vise à créer, dans le cadre de la loi et dans la conformité à nos valeurs, un droit nouveau pour l'individu.
Strictement limité aux personnes majeures, en phase avancée ou terminale d'une maladie grave et incurable – c'est l'article 1 –, ce droit évite tout risque de dérive vers l'assistance automatique au suicide. Il prévoit la consultation d'au moins quatre médecins chargés de vérifier à la fois l'état du malade et le caractère libre et éclairé de sa demande – c'est l'article 2.
Si les patients sont hors d'état d'exprimer leur volonté, ils peuvent néanmoins bénéficier de cette aide, sous réserve d'en avoir exprimé le souhait au préalable, dans des directives anticipées – ce sont les articles 3 et 4.
Une commission régionale de contrôle s'assure, a posteriori, du respect de ces garanties – article 5 – et une clause de conscience permet à tout médecin de refuser son concours – article 6.
Encadré de la sorte, le droit à mourir dans la dignité s'intègre pleinement dans nos valeurs. Il est, d'abord, conforme à la liberté, car il met chaque individu en mesure de choisir la fin qu'il souhaite. Il est utile, en outre, à l'égalité de nos concitoyens, car il n'est pas acceptable que le bénéfice d'une aide active à mourir dépende – comme c'est le cas aujourd'hui, et là est la véritable inégalité –, de la chance ou des moyens du malade. Il est conforme, enfin, à la fraternité, car il permet de rassembler, au moment ultime, celui qui part et ceux qui restent.
Dans une tribune publiée le 19 novembre 1979, il y a trente ans jour pour jour – belle coïncidence –, l'écrivain Michel Lee Landa réclamait la reconnaissance du droit de mourir. La polémique suscitée par ce texte permit alors l'ouverture d'un large débat public et entraîna la création de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité – dont je salue les membres présents dans les tribunes de cet hémicycle.
Trente ans plus tard, alors que les évolutions sociales tendent à éteindre les passions sur ce sujet, il est temps que le législateur consacre enfin ce nouveau droit de l'homme du xxie siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)