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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 17 novembre 2009 à 21h30
Réduction du risque de récidive criminelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur quatre points.

Premier point : ce projet de loi, né de l'imprécision et de l'absence de bon sens du précédent texte, est revenu à la vie législative après un fait divers des plus tragiques. Souvenons-nous : le projet de loi sur la rétention de sûreté avait fait l'objet d'âpres débats dans cet hémicycle. Les députés socialistes avaient alors souligné que, pour être efficace, tout dispositif de prévention de la récidive appliqué aux auteurs de crimes mêlant violence et agression sexuelle devait prévoir que les mesures de suivi socio-judiciaire et de soins soient effectivement appliquées et que, par conséquent, ceux qui sont médicalement considérés comme malades et potentiellement dangereux soient effectivement soignés.

Nous avions indiqué qu'il convenait, dès lors, d'élaborer, dès le début de la peine, un programme de soins et d'encadrement social personnalisé et, une fois la première expertise réalisée, d'orienter le sujet vers l'établissement ou le dispositif le plus approprié, en prévoyant une évaluation régulière. Une telle démarche présentait l'avantage d'intervenir en amont et tout au long de la peine, plutôt qu'à la fin de celle-ci.

Dans son rapport, le premier président de la Cour de cassation s'interroge sur l'ostracisme : « Même si, depuis la plus haute antiquité, la société se protège de cette manière en excluant ceux qu'elle juge dangereux », écrit-il, « l'ostracisme n'est jamais une solution parfaite parce qu'il est quasiment impossible d'en fixer la durée optimale, tant pour la société qui le décide que pour celui qui en fait l'objet. »

Dans sa décision du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel a rappelé cette évidence que le maintien d'une personne condamnée, au-delà de l'expiration de sa peine, dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, afin qu'elle bénéficie d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique, devait être d'une rigueur « nécessaire » et qu'il ne pouvait en être ainsi que lorsque ce condamné n'avait pu, pendant l'exécution de sa peine, bénéficier de soins ou d'une prise en charge destinés à atténuer sa dangerosité. Tel est, du reste, le sens de l'alinéa 3 de l'article 1er du projet de loi, qui vient ainsi compléter la loi sur la rétention de sûreté.

Deuxième point : la réflexion sur la portée des mesures proposées et leur évaluation me paraissent insuffisantes. Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a considéré que la rétention de sûreté ne pouvait être décidée qu'« à titre exceptionnel » à l'égard d'une personne condamnée à une longue peine pour des faits d'une particulière gravité, et à condition que la cour d'assises ait expressément prévu, dans sa décision de condamnation, qu'elle pourrait faire l'objet, à la fin de sa peine, d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté. Ce caractère exceptionnel doit être préservé, pour au moins deux raisons : la difficulté à apprécier la dangerosité d'une personne et le caractère imparfait des mesures mises en oeuvre pour limiter un nouveau passage à l'acte.

M. le rapporteur a longuement insisté, dans son rapport, sur l'utilité d'une réflexion portant sur la dangerosité des personnes déjà condamnées pour crimes sexuels, en détaillant les diverses méthodes visant à l'évaluer. Il a également évoqué les outils d'ores et déjà disponibles pour faire diminuer cette dangerosité, notamment les psychothérapies et les traitements médicamenteux. Hélas, peu de données quantitatives nous ont été communiquées pour apprécier l'efficacité de ces traitements. On a en effet cité une étude portant sur sept ou huit détenus seulement. Par ailleurs, un député de majorité a évoqué, sans les nommer précisément, d'autres enquêtes qui révèleraient des taux de récidive compris entre 20 et 30 %. Ces éléments, qui auraient dû « objectiver » nos débats, ont singulièrement manqué. Pourtant, une étude internationale, menée par l'université allemande d'Erlangen-Nuremberg, a combiné les données de quatre-vingts enquêtes portant sur 22 000 agresseurs sexuels. Il en ressort que 82 % de ceux qui n'ont pas fait l'objet d'un traitement particulier n'ont pas récidivé et que ce taux atteint 89 % chez les délinquants ayant fait l'objet de traitements, qu'il s'agisse de thérapies comportementales ou de traitements anti-libido. Cet écart de sept points n'est pas négligeable, mais je ne me résous pas à enfermer et à oublier les 11 % restants. La société doit continuer à avancer dans ce domaine.

En tout état de cause, les résultats de cette étude doivent nous conduire à faire preuve de prudence. Il ne faut pas faire croire à l'opinion que ce texte – même si son titre est nuancé – peut, par lui-même, supprimer la récidive, ni que les mesures de sûreté, à supposer même qu'elles soient opératoires et efficaces, provoqueront comme par magie une raréfaction considérable de ce type de comportements, ni que le suivi des délinquants, étendu ou modifié en fonction des progrès constants de la science, permettra l'éradication, certes souhaitable, de ce type de criminalité.

Le risque existe que, demain, face à un autre cas de récidive, la dangerosité de l'auteur ayant été mal évaluée ou mal traitée, on nous propose une nouvelle « avancée » consistant, par exemple, à rendre automatique la période de surveillance de sûreté ou le traitement médicamenteux. En effet, l'opinion publique, légitimement inquiète, sera en droit de nous demander pourquoi ces textes successifs s'avèrent toujours, malgré tout, insatisfaisants. Le risque existe que, demain, on se fonde sur la personnalité de celui qui aura purgé sa peine pour demander son enfermement et sa surveillance, dont la reconduction sera quasi automatique.

Mon troisième point a trait aux moyens. L'article 2 du projet de loi pose le principe de la subsidiarité de la rétention de sûreté par rapport à la surveillance de sûreté, laquelle comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire, notamment une injonction de soins ou un placement sous surveillance électronique mobile.

Lors de l'examen du texte en commission, j'ai soulevé une question toute simple : qui assurera cette surveillance électronique mobile, et quels moyens budgétaires sont prévus à cette fin ? Mme la ministre d'État m'a répondu, sans plus de précisions, qu'elle avait prévu « des moyens significatifs pour la prise en compte du risque de récidive et les peines alternatives, notamment à travers l'acquisition de 7 000 bracelets électroniques ». Lors de la discussion des crédits de la mission « Justice », notre collègue Serge Blisko a fait observer, à juste titre, qu'il ne suffisait pas d'acheter des bracelets, mais qu'il fallait aussi augmenter le nombre et la qualification des personnels chargés des fonctions de surveillance et de probation des personnes faisant l'objet des mesures de sûreté ainsi définies.

J'ajoute que les organisations syndicales de magistrats restent sceptiques face au développement de l'application de cette mesure aux détenus libérés, dans la mesure où, selon elles, aucun service chargé de gérer ce dispositif n'a encore été véritablement mis en place.

Le manque de précisions sur les modalités concrètes et pratiques de l'organisation nécessaire au bon fonctionnement du dispositif est de nature à nous faire douter de l'applicabilité immédiate de mesures qui nous sont soumises dans le cadre d'une procédure accélérée après que leur parcours législatif a été « gelé » pendant plus d'une année.

Enfin, ce projet de loi traduit une réaction législative visant à rassurer l'opinion, mais témoignant d'une tendance de fond qui mériterait un débat à part entière. Le châtiment ordinaire – la peine –, si sévère soit-il, n'a pas que des avantages, et nécessite des mesures complémentaires pour faire diminuer la criminalité. Les mesures de sûreté sont destinées à empêcher la commission de nouvelles infractions, mais elles sont moins fondées sur la prévention que sur une « défense sociale ».

Si les peines et les mesures de sûreté diffèrent par leur objet, leur fondement et leur taux, elles sont en commun d'être des mesures coercitives. C'est pourquoi on tend à donner aux secondes un cadre légal, même si celui-ci est moins rigoureux que celui applicable aux premières. Ainsi, notre pays se dote progressivement d'une législation prévoyant des mesures coercitives avant toute infraction. La France a la particularité d'être un des pays qui enferment le plus avant le jugement et au moment de l'instruction : 530 000 gardes à vue et 60 000 détentions provisoires en 2007 – ce qui lui vaut d'ailleurs plusieurs condamnations au plan international. Sera-t-elle aussi le pays qui enferme le plus après l'exécution de la peine ?

Les motifs auxquels obéissent de telles mesures peuvent être légitimes ; des restrictions peuvent être apportées par la loi. Toutefois, certaines pratiques obéissent à des motifs qui excèdent largement l'ordre public et, malgré les précautions prises, elles finissent par déborder leurs initiateurs, sans contribuer, hélas ! à la diminution de la délinquance ni à la protection de la population.

Honnêtement, aucun de nous ne peut souhaiter qu'un usage immodéré de ces dispositifs en modifie la perspective. En ce sens, il est plus que souhaitable que notre assemblée mène une évaluation, à court terme puis régulièrement, des législations qui instituent des mesures de sûreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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