Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, ce projet de loi visant à amoindrir le risque de récidive criminelle traite d'une question à laquelle nous sommes sensibles puisqu'il s'agit de crimes affreux et que nous cherchons tous à protéger les victimes potentielles.
Cela étant, l'on ne doit pas utiliser ces crimes affreux et l'émotion qu'ils suscitent dans l'opinion pour adopter des solutions qui ne nous semblent pas efficaces.
Rappelons que le taux de récidive – dont on parle souvent – est finalement assez peu important pour de tels actes. Selon les chiffres disponibles, il oscille entre 1 % et 3 %, et il serait de 0,9 % dans le cas des condamnations pour viols sur mineurs. En matière d'inceste – donc dans les familles respectables –, les choses sont beaucoup plus graves.
Quel que soit le chiffre, nous sommes d'accord sur le fait qu'il importe de réduire au maximum la récidive, et nous partageons la volonté de le faire. Le problème est que ce texte oscille entre inutilité, inefficacité et arbitraire.
Nous constatons que vous avez repris une rhétorique, développée par des intervenants sur plusieurs bancs de cette assemblée, qui oppose la protection de la société et des victimes aux principes régissant notre société et protégeant les libertés individuelles. À la suite de Jean-Jacques Urvoas, je répète que ce dilemme n'est pas acceptable.
Sur tous les bancs de cette assemblée, nous respectons les victimes et nous souhaitons les protéger, mais nous souhaitons également respecter les principes fondamentaux sur lesquels repose notre civilisation.
Or, en l'état, ce projet de loi nous semble aller à l'encontre de quelques-uns des éléments structurants de notre société, notamment la non-rétroactivité des lois pénales, la présomption d'innocence ou le respect des décisions du Conseil constitutionnel.
Ce texte relève, en définitive, de ce que Pierre Mazeaud qualifiait de « logorrhée législative ». Régulièrement, le Gouvernement nous fait adopter des lois longues et compliquées qui, en réalité, ne changent pas vraiment les choses. Ce n'est pas nous qui avons eu la cruauté de rappeler que la criminalité avait augmenté depuis 2002 ; or, depuis cette date, nous avons eu à nous prononcer sur quatorze projets de loi relatifs à la procédure pénale. Depuis 2007, ce qui n'est pas bien ancien, le code pénal a été modifié cent quinze fois, et nous avons déjà voté deux lois pour lutter contre la récidive !
Tous les étudiants en droit s'entendent pourtant rappeler la maxime bien connue de Montesquieu selon laquelle « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». En l'espèce, nous pouvons nous demander si ce n'est pas à cet affaiblissement que nous contribuons en examinant un tel projet de loi.
Un rapport rédigé à l'initiative du gouvernement que dirigeait Jean-Pierre Raffarin, pour citer une référence qui devrait convenir à la majorité, constatait que : « La complexité croissante de notre droit est devenue une source majeure de fragilité pour notre société […] Elle peut détruire la lisibilité des décisions prises par le Gouvernement et le Parlement et ainsi conduire les Français à douter de l'efficacité de la décision politique. »
Toutes ces lois qui se succèdent, se contredisent et se complètent, prouvent le bien-fondé de nos positions initiales, qui dénonçaient des projets de loi bâclés et un manque de réflexion. Tout cela explique qu'il faille recommencer le travail. Lors du premier débat sur la rétention de sûreté, nous avions alerté la majorité sur les insuffisances de la loi, insuffisances que le Conseil constitutionnel a, en quelque sorte, confirmées par sa décision.
La loi que vous voulez nous faire adopter sera inefficace. Je le démontrerai en me fondant sur l'analyse de deux de ses dispositions.
La castration chimique a tout d'abord retenu mon attention. En soi, l'expression « castration chimique » est une manière de frapper l'opinion, une sorte de leurre. Le Gouvernement aurait mieux fait de s'inspirer des dispositions de la loi Guigou relatives au suivi socio-judiciaire. Malheureusement ce texte a été insuffisamment appliqué, et l'on s'est contenté d'en étendre la portée au risque de le rendre finalement moins efficace.
Aujourd'hui, certains des amendements défendus par nos collègues de la majorité risquent d'ailleurs d'avoir le même effet : à force d'abaisser le seuil des peines concernées, le projet de loi finira par s'appliquer à une très grande diversité de situations, ce qui le rendra plus inefficace encore.
La castration chimique, nous dit-on, est la solution à tous nos maux ; permettez-nous d'être extrêmement dubitatifs. En effet, certains collègues l'ont dit, l'efficacité à long terme du traitement n'est pas prouvée, et il peut même entraîner des troubles importants, comme le développement des seins chez les hommes. Quelle peut être la pertinence de traitements ayant de tels effets secondaires pour des personnes souffrant déjà de troubles de la personnalité ou de troubles sexuels ?
On sait également que les délinquants sexuels sont souvent impuissants, ce qui ne les empêche pas d'accomplir des actes barbares ou de se livrer à des violences extrêmes. À quoi bon, alors, la castration chimique ? Même si elle peut être un élément de soin, elle n'est pas une panacée et peut même, parfois, aboutir à des résultats inverses de ceux recherchés.
Mais votre texte passe l'essentiel sous silence : l'insuffisance des moyens consacrés à la mise en oeuvre des lois déjà votées. On a évoqué l'absence de médecins coordonnateurs ou de psychiatres : en Île-de-France, une vingtaine de médecins coordonnateurs seulement gère quatre départements. Il est inutile d'étendre l'injonction de soins lorsque l'on est dans l'incapacité d'appliquer de manière satisfaisante les injonctions de soins et le suivi prévus par les dispositifs de contrôle existants.
Tous ces éléments montrent qu'il y a lieu d'être très sceptique quant à l'efficacité de la castration chimique. Une autre mesure illustre, par ailleurs, l'inefficacité du texte.
Le projet de loi dispose que la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire doit « s'abstenir de paraître en tout lieu ou toute catégorie de lieux spécialement désignés, et notamment […] un périmètre précisé par la juridiction autour du lieu où travaille ou réside la victime ou sa famille ». Il s'agit là du type même de la fausse bonne idée.
Certes, il semble raisonnable de vouloir empêcher qu'une victime rencontre son agresseur en sortant de chez elle, mais cela signifie-t-il qu'il faudra, après dix années de détention, donner à l'agresseur la nouvelle adresse de sa victime pour qu'il s'abstienne de la rencontrer ? L'idée paraissait simple, mais elle sera difficile à mettre en pratique.
J'ajoute que, dans l'affaire dont il a été question, s'il était effectivement scandaleux que le condamné se soit réinstallé dans le voisinage de son ancienne victime, cela ne l'a pas empêché de s'en prendre à quelqu'un d'autre.
L'efficacité de cette mesure reste donc, elle aussi, à démontrer.
De surcroît, ce projet de loi bouscule le principe de la présomption d'innocence : désormais, la condamnation tombe avant la commission du crime. Ainsi, le fait de ne pas respecter les obligations prévues par le projet de loi peut entraîner un placement en rétention de sûreté pour une durée indéfinie, avant même qu'un crime soit commis.
Nous sommes confrontés à une escalade répressive qui ne peut qu'aboutir à pratiquer des entorses de plus en plus flagrantes aux principes auxquelles nous sommes attachés. Or la commission Lamanda avait fourni au Gouvernement des pistes sérieuses que celui-ci aurait dû suivre, notamment en ce qui concerne la prise en charge médico-sociale dès le début de la détention, la mise en place de référentiels de normes de suivi des condamnés permettant d'harmoniser les pratiques des juges, le recours systématique à des équipes pluridisciplinaires et, surtout, le recrutement de secrétaires-greffiers, de psychiatres, ainsi que la dématérialisation des dossiers pour faciliter leur transmission. Autant de mesures de bon sens que, malheureusement, le budget pour 2010, tel qu'il nous a été présenté, ne permettra pas de mettre en oeuvre.
En conclusion, nous avons affaire à un projet de loi dangereux, qui porte atteinte à des principes fondamentaux et ne met pas en oeuvre les réponses simples et de bon sens qui seraient efficaces. En définitive, vous aurez foulé aux pieds des principes fondamentaux de notre système pénal, pour un résultat nul.
Nous sommes persuadés que, si vous ne débloquez pas les moyens nécessaires pour combattre la récidive, nous serons, d'ici quelque temps, à nouveau confrontés à un crime affreux commis en récidive. Lorsque cela arrivera, que ferez-vous ? Il ne vous restera plus qu'à nous convoquer pour justifier la mise en place de la castration physique ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)