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Intervention de Bernard Debré

Réunion du 17 novembre 2009 à 21h30
Réduction du risque de récidive criminelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Debré :

Madame la présidente, madame la ministre d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que s'ouvre la discussion générale sur le projet de loi tendant à diminuer le risque de récidive, je souhaiterais attirer votre attention sur certaines dispositions que j'aimerais voir intégrées à ce texte.

Ces dernières années ont malheureusement été marquées par la multiplication de crimes sordides. Citons les noms d'Enis, d'Anne-Lorraine Schmitt atrocement tuée il y a deux ans, ou encore de Marie-Christine Hodeau dont les forces de l'ordre ont eu le temps d'entendre les derniers mots avant qu'un silence lourd ne remplace ses appels au secours.

Parallèlement à ces événements ponctuels, qui sont autant de drames, il y a les chiffres et les tendances. L'Institut national d'études démographiques révélait que 16 % des femmes ont déclaré avoir subi des rapports sexuels forcés ou des tentatives de viols. Ces chiffres sont consternants !

Le Premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, a remis, le 30 mai 2008, un rapport visant à diminuer les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux. Dans son introduction, il rappelle ce qui justifie notre action : « Toute la question est de trouver le plus juste équilibre entre, d'une part, la nécessité de protection de la société et de ses membres, en premier lieu les plus fragiles, et d'autre part, la non moins nécessaire garantie des droits fondamentaux de la personne humaine dont le comportement peut évoluer dans le temps. »

Cette dernière incise est d'importance. Elle implique deux conséquences. Tout d'abord, qu'un condamné a nécessairement été un citoyen sinon modèle du moins ordinaire pendant un temps, avant de basculer, en l'espèce dans la violence la plus bestiale. De plus, ma conviction est qu'en chacun réside un pouvoir de réhabilitation. C'est d'ailleurs le sens de l'évolution de la loi pénale depuis plusieurs décennies.

Cependant, le taux de récidive criminelle des condamnés est tel actuellement qu'il est indiscutable que les sanctions classiques temporaires n'ont pas assez de prise sur ces condamnés.

Les chiffres clés de la justice, dans leur édition de 2009, dressent un bilan peu flatteur. Entre 2002 et 2007, les condamnations pour homicides volontaires ont augmenté de 11 %, celles pour viols de 9 %. Plus précisément, voici les chiffres des condamnations pour les crimes mentionnant l'état de récidive légale : 74 en 2002 et 115 en 2006, soit 55 % d'augmentation en quatre ans.

Il est plus que temps d'agir, et je salue le Gouvernement, vous-même en particulier, madame la ministre d'État, qui avez décidé de tenter de régler cette grave question.

Comment légiférer ? C'est là que des divergences assez nettes sont apparues lors des débats en commission. En droit pénal, la peine d'incarcération vise un double objectif : sanctionner le délinquant dans un but pédagogique ; réparer l'atteinte à l'ordre public, ce qui correspond à une fonction plus sociétale.

En ce qui concerne les délinquants sexuels, la peine d'incarcération correspond à la sanction sociétale. Comme vous l'avez tous souligné, le problème est l'appréciation de la dangerosité, donc de la récidive éventuelle. C'est pourquoi je demande qu'un collège de trois médecins – dont un psychiatre – puisse donner son avis sur cette dangerosité. Une fois cet avis rendu, le juge prononcera une injonction thérapeutique qui doit prendre deux formes : d'abord dans la prison, ensuite à la sortie du criminel. En effet, le cas des délinquants sexuels est à la fois plus dangereux et plus simple que celui d'autres types de délinquants.

Il est plus dangereux, car les pulsions sexuelles déviantes représentent une véritable maladie qui, si elle n'est pas soignée, entraîne très souvent des récidives criminelles. Certes, les chiffres français annoncent en 2007 un taux de récidive de 2 % à 3 %. En revanche, dans les autres pays européens, ce taux est situé entre 20 % et 40 %. Pourquoi une telle différence ? Ne serait-il pas temps d'instaurer un institut d'observation de la délinquance sexuelle et de sa récidive ?

Il est plus simple, car la suppression des hormones mâles associée à une psychothérapie permet souvent d'éviter les récidives. Si elle consiste en un traitement chimique, cette injonction thérapeutique ne se réduit pas à ce soin médical, mais doit obligatoirement y associer un suivi psychiatrique.

Certes, le traitement hormonal est un geste simple, réversible, qui consiste à faire une injection tous les mois, tous les trois mois, voire tous les six mois, en fonction du dosage du produit. Cette injection supprime à la fois l'hormone mâle et la libido. Ces produits sont anciens et utilisés fréquemment en cas de cancer de la prostate. C'est dire si les effets sont connus et étudiés !

Mais l'injonction thérapeutique va au-delà de la suppression des hormones mâles. Comme je l'ai souligné, il est indispensable d'y associer un traitement psychiatrique. Le traitement médical seul n'aurait aucun sens s'il n'allait pas de pair avec un espoir de guérison à long terme. Une société qui ne donnerait pas un tel espoir à un homme serait une société morte.

L'état actuel de nos prisons ne favorise pas cette réhabilitation, bien au contraire. La promiscuité, les conditions de détention sont telles que les assassins et les violeurs ressortent parfois de prison plus dégradés que lorsqu'ils y étaient entrés, ce qui n'est pas admissible. La dignité de chacun et le droit de s'amender interdisent, d'un point de vue tant éthique que pragmatique, que perdurent certaines conditions d'enfermement.

Le dispositif conjugué de mes amendements prévoit donc la création d'un collège qui examinera et rendra un avis dès la condamnation, à l'entrée dans la prison, puis se prononcera ensuite régulièrement durant l'incarcération, afin d'évaluer l'effet des deux traitements – médical et psychiatrique. Ce faisant, ce texte respectera le principe d'une peine individualisée.

Se pose le problème des réductions systématiques de peines. Cette automaticité est inacceptable. Les réductions de peine doivent être en l'espèce évaluées en fonction des progrès thérapeutiques du criminel. Cela tombe sous le sens.

Se pose aussi le problème de la sortie de prison. De nouveau, le collège que j'appelle de mes voeux va réévaluer la dangerosité résiduelle – si l'on peut dire – du criminel. C'est au juge de déterminer la durée de l'injonction thérapeutique qu'il prononcera alors.

En la matière, l'important est le suivi du délinquant remis en liberté. Ce suivi est double, comme le traitement. Les injections seront pratiquées dans des centres agréés. Ce texte ne sera viable et admissible que si les moyens de ce suivi régulier sont donnés à ces centres agréés.

Malgré tout, je reste dubitatif devant votre volonté de demander au médecin généraliste – médecin traitant du criminel – de dénoncer un manquement à l'injonction thérapeutique. Ne faudrait-il pas mieux demander au condamné de se présenter régulièrement dans des centres médico-judiciaires pour une évaluation de ce traitement ? Il en va de la confiance du patient criminel vis-à-vis de son médecin traitant.

Le second volet de cette surveillance post-carcérale, c'est la surveillance psychothérapeutique. Il me faut encore attirer votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ce dispositif ne fonctionnera que si les prisons sont réhabilitées et humanisées.

Nous avons tous en mémoire la description de la souricière du palais de justice de Paris par le bâtonnier Charrière-Bournazel. Les établissements pénitentiaires ne sont pas en meilleure situation. La surpopulation carcérale est une réalité qui fait honte à la République : les 52 000 places en établissements pénitentiaires accueillaient encore 62 000 détenus au 1er janvier dernier.

Des moyens doivent aussi être accordés pour permettre la constitution de ces collèges. Il faut augmenter le nombre de ces médecins – généralistes, spécialistes, psychiatres – en rendant les postes plus attractifs.

Enfin, une difficulté demeure. Comment appliquer cette loi aux instances en cours ? J'ai compris que cet obstacle serait facilement levé. Comment appliquer cette loi aussi aux délinquants déjà condamnés, actuellement détenus, et qui risquent d'être relâchés dans les prochains mois sans que ces mesures ne s'imposent à eux ? Les efforts conjugués du Gouvernement et du Parlement permettront d'obtenir une solution satisfaisante, je n'en doute pas.

Madame le ministre d'État, votre projet de loi est bon et courageux. J'aurai des amendements mineurs à vous proposer mais je peux, d'ores et déjà, vous annoncer que je voterai ce texte, tout en insistant sur la prévention qui, en France, n'est pas suffisamment développée.

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