Depuis la réforme du Règlement de l'Assemblée nationale du 27 mai 2009, une nouvelle possibilité a été ouverte aux présidents de groupes d'opposition ou minoritaire. En vertu de l'article 141 du Règlement, chacun d'eux peut demander en Conférence des Présidents, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle précédant le renouvellement de l'Assemblée, l'inscription d'office d'un débat sur une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête.
C'est dans ce cadre, défini par notre Règlement, qu'il revient à la commission des Lois d'examiner la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les études commandées et financées par la Présidence de la République. Cette proposition a en effet été renvoyée à la commission des Lois par le Président de l'Assemblée dès le 23 juillet 2009, lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, sans que personne n'ait à l'époque contesté ce renvoi.
Avant tout examen en opportunité de la proposition de résolution, la commission doit examiner la recevabilité de ladite proposition, tel un juge qui est d'abord tenu d'examiner la recevabilité d'une requête.
Une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doit remplir les conditions fixées par les articles 137 à 139 du Règlement. À ce titre, elle doit :
― déterminer précisément les faits devant donner lieu à enquête ou les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion, conformément à l'article 137 du Règlement ;
― ne pas avoir le même objet qu'une commission d'enquête, ou qu'une mission d'information bénéficiant des prérogatives d'une commission d'enquête, qui a rendu ses travaux dans les douze mois qui précèdent, conformément à l'article 138 du Règlement ;
― ne pas porter sur des faits pour lesquels des poursuites judiciaires sont en cours, conformément à l'article 139 du Règlement.
Chacune de ces trois conditions de recevabilité est remplie par la proposition de résolution : son objet est précis ; il n'y a pas eu de commission d'enquête sur le même objet au cours de l'année passée ; et enfin, comme Madame la garde des Sceaux l'a fait savoir au Président de l'Assemblée nationale par une lettre du 5 novembre 2009, il n'y a pas de poursuites judiciaires en cours.
Toutefois, pour la première fois, Madame la garde des Sceaux invoque dans cette même lettre d'autres motifs d'irrecevabilité de la proposition de résolution, au regard de la Constitution :
― elle ne respecterait pas l'article 51-2 de la Constitution, issu de la révision du 23 juillet 2008, selon lequel la création de commissions d'enquête au sein des assemblées parlementaires ne peut intervenir que dans le cadre du contrôle de l'action du Gouvernement ou de l'évaluation des politiques publiques ;
― elle ne respecterait pas le principe de l'autonomie financière de la présidence de la République ;
― elle ne respecterait pas le régime particulier de responsabilité du Président de la République, prévu par les articles 53-2, 67 et 68 de la Constitution.
Nous devons examiner attentivement chacun de ces motifs d'irrecevabilité.
Jusqu'à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les commissions d'enquête parlementaire étaient régies par les seules dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par les dispositions propres au règlement de chacune des deux assemblées.
L'article 51-2 a été introduit par la voie d'un amendement de M. Gérard Charasse et de ses collègues radicaux, présenté à l'Assemblée nationale lors de l'examen en deuxième lecture en séance du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Une lecture restrictive de l'article 51-2 de la Constitution pourrait conduire à encadrer très sévèrement la faculté pour les deux chambres de créer des commissions d'enquête.
Mais votre rapporteur, attaché à la conception traditionnellement large des pouvoirs d'enquête du Parlement, considère que le Parlement n'a point entendu se lier de la sorte. Des commissions d'enquête ont été créées, avant l'introduction de l'article 51-2 dans la Constitution, sur la situation du Crédit lyonnais en juillet 1994, sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib en juin 2003, sur les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau en juin 2006, pour ne citer que quelques exemples. Demain, la création de telles commissions d'enquête doit demeurer possible.
Les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle vont d'ailleurs également en ce sens. M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur au nom de la commission des Lois du Sénat, avait ainsi expliqué que « la définition du champ de compétence des commission d'enquête qui figure à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 n'est en rien modifié par la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale [pour le nouvel article 51-2] ».
À ce titre, l'invocation de l'article 51-2 de la Constitution ne saurait avoir pour conséquence de rendre irrecevable la présente proposition de résolution.
Venons-en au deuxième argument de Madame la garde des Sceaux, selon lequel, en proposant d'enquêter sur les dépenses de la Présidence de la République en matière d'études d'opinion, la proposition de résolution ne respecterait pas le principe d'autonomie financière de la Présidence de la République.
L'argument ne semble pas pertinent à votre rapporteur. En effet, le principe d'autonomie financière ne s'oppose pas au fait que la commission des Finances de chacune des deux assemblées désigne chaque année un rapporteur spécial en charge des crédits de la mission « Pouvoirs publics ». Ce rapporteur spécial chargé, à l'instar de tous les rapporteurs spéciaux, de suivre et de contrôler l'utilisation des crédits, dispose à cette effet d'un pouvoir de contrôle sur pièces et sur place, et de la faculté de se faire communiquer tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'il demande, en vertu de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances.
Demeure le troisième motif d'irrecevabilité : pouvons-nous enquêter spécifiquement sur des faits ayant pour objet ou pouvant avoir pour conséquence de mettre en cause la responsabilité du Président de la République ?
La réponse à cette question est clairement négative. En effet, comme le prévoit le premier alinéa de l'article 67 de la Constitution : « Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. »
Le régime particulier de responsabilité du Président de la République, qui ne peut qu'être traduit devant la Cour pénale internationale ou être destitué par le Parlement constitué en Haute Cour en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat, s'oppose à ce qu'une commission d'enquête parlementaire mette en cause ou puisse conduire à mettre en cause la responsabilité du chef de l'État.
Or, de ce point de vue, l'objectif des auteurs de la proposition de résolution est très clairement de s'en prendre au Président de la République, alors que le directeur de cabinet du Président de la République a récemment présenté à la commission des Finances de l'Assemblée nationale, lors d'une audition publique le 13 octobre 2009, tous les éléments d'informations relatifs aux études commandées par la Présidence de la République.
Je vous invite par conséquent à constater que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les études commandées et financées par la Présidence de la République est manifestement, et probablement volontairement, contraire à la Constitution. Dès lors, il n'y a pas lieu de poursuivre les travaux de la commission des Lois non plus que de présenter un rapport.
Le 19/11/2009 à 09:25, Robert S. a dit :
C'est un véritable feuilleton cette histoire! Maintenant c'est le bureau de l'Assemblée qui doit se réunir la semaine prochaine avant décision finale de Bernard Accoyer, puis éventuellement un vote solennel des députés... Ils sont conscients que si c'est refusé après qu'on en aie autant parlé ca sera encore pire pour eux???
Le 18/11/2009 à 17:10, Zouze (citoyen) a dit :
Donc si je comprends bien à 11H10 la commission nomme un rapporteur, et a 11h20 le rapport est déjà écrit et le rapporteur le lit? Y a un gros malaise quand même non? Ca montre bien que Thierry Mariani était comme souvent en service commandé, que le vote est organisé et sans autre issue possible. Ahlal quelle belle ploutocratie. Selon Mediapart, il serait effectivement arrivé avant même le vote avec le document sous le bras...
Banana Republique revenez, c'est loin d'être fini la Sarkozye...
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