Ces calculs se fondent sur des études de longue haleine, avec des cohortes nombreuses. Or nous ne disposons pas de ces études pour la France. C'est en vain que l'on invoque l'échelle de psychopathie de Hare ou le test VRAG : ils sont tous anglo-saxons et ne permettent pas de dire avec une certitude scientifique que telle ou telle personne est dangereuse.
Bien plus, nous ne disposons que d'études portant sur des cohortes de personnes étrangères – canadiennes, américaines, suédoises ou finlandaises –, puisque c'est à partir de ces populations qu'ont été élaborés les tests. Or – et je ne voudrais pas que mes propos soient mal interprétés – la façon de commettre des crimes est toujours culturellement déterminée, c'est-à-dire que la délinquance américaine ou canadienne n'est pas la même que la délinquance française. De même, la façon de passer à l'acte n'est pas la même pour un délinquant américain ou canadien que pour un délinquant français. La supposée prédictivité de ces tests n'est donc absolument pas assurée, puisque nous les importons dans des systèmes qui ne sont, à l'origine, pas les leurs.
Ce que je vous dis là, je ne l'invente pas : c'est ce que dit le rapport Lamanda, selon lequel les études criminologiques ne sont pas suffisamment développées en France.
Votre texte ne prend pas non plus en compte le réel parce qu'il méconnaît les difficultés du suivi socio-judiciaire. Celui-ci, lors de son adoption en 1998, avait fait l'objet d'un consensus assez large. Tout le monde avait alors jugé intéressant de mettre en place des mesures de nature à éviter que la sortie de prison soit une « sortie sèche », que le suivi socio-judiciaire était le complément de la libération conditionnelle, qu'il s'agissait d'une peine acceptable – elle était prononcée par le tribunal et le condamné savait, au moment de sa condamnation, quel risque il courait en cas de violation – et que cela permettait d'exercer une surveillance à partir de l'injonction de soins prononcée à son encontre.
Ce suivi socio-judiciaire était aussi une révolution dans nos façons d'appréhender la peine et nécessitait des moyens importants. J'ai bien entendu, tout à l'heure, qu'on ne peut pas en permanence mettre en avant la question des moyens. Il faut néanmoins se poser un certain nombre de questions à ce propos. Le suivi socio-judiciaire suppose, notamment en ce qui concerne les condamnés atteints de pathologies relativement graves, la mise en place de médecins coordonnateurs. Ceux-ci sont au nombre de 213, alors qu'il en faudrait, nous dit-on, 500 pour que le système fonctionne bien. Votre prédécesseur, madame la garde des sceaux, nous avait promis que ce chiffre serait atteint sous peu ; elle n'est plus ministre de la justice, et les médecins coordonnateurs sont toujours 213. Cela signifie que nous ne nous sommes pas donné les moyens de mettre en place le suivi socio-judiciaire qui, de l'aveu de tous, permettrait de prévenir la récidive.
Je ne vous livre pas, ici encore, une réflexion personnelle. Cela ressort du rapport de notre collègue Blanc, qui a fait un travail très sérieux sur la prévention de la récidive et le traitement des détenus souffrant de pathologies diverses, qu'il s'agisse d'affections psychiatriques ou d'addictions, notamment l'addiction à l'alcool.
Vous ne prenez pas non plus suffisamment en compte le réel parce que vous ne faites qu'effleurer une question extrêmement difficile : celle de la relation entre la peine, la détention et le soin. Historiquement, la contention des individus dangereux se faisait, dans notre pays, par le biais de la psychiatrie et de l'hospitalisation d'office. La découverte, dans les années 1950, des neuroleptiques, qui permettaient d'abraser le délire et de faire cesser tous les symptômes délirants, a entraîné une révolution dans la façon de traiter les malades mentaux, laquelle a abouti à la création, dans les années 1960, du secteur psychiatrique et à l'ouverture des hôpitaux psychiatriques. En conséquence, on a fermé de multiples lits. Selon les estimations, leur nombre est ainsi passé de 120 000 à environ 40 000.
Les psychiatres se sont par ailleurs détournés de la contention et refusent aujourd'hui, dans leur immense majorité, de prendre en charge la gestion de ces individus qui pourraient être dangereux. Nous en sommes donc réduits, aujourd'hui, à incarcérer des gens qui sont principalement des malades.
Cette question est très difficile – je ne prétends pas le contraire, je ne prétends pas non plus que nous ayons, au bout de notre plume, une solution à proposer – mais vous ne la traitez pas, sinon en créant la mesure de sûreté. Nous devons vous concéder, monsieur le rapporteur, que vous faites preuve, sur le sujet, de constance et de cohérence intellectuelle, mais cela ne suffit pas, à notre sens, car vous ne traitez pas la question pour l'ensemble des personnes posant un problème. D'autres que celles condamnées à plus de 15 ans de prison seront effectivement des cas problématiques.
Mes collègues n'ont donc pas tort de déclarer que, demain, il faudra de nouveau légiférer parce qu'une personne condamnée à une peine de dix ans de prison aura posé beaucoup de problèmes. Après-demain, se posera la question des maris violents. Ne prenons pas même le cas du mari qui menace de tuer son épouse, tenons-nous-en au mari violent, celui que l'on trouve dans tous les tribunaux et dont on ne sait trop quoi faire lorsqu'il a purgé sa peine. Autrefois, il était contenu grâce à l'intervention psychiatrique ; aujourd'hui, il ne l'est plus. C'est effectivement une difficulté, mais on ne saurait la traiter uniquement, comme vous le faites, monsieur le rapporteur, au moyen d'une mesure de sûreté qui s'appliquerait à partir d'une certaine hauteur de peine.
Vous ne prenez pas non plus en compte le réel dans l'analyse des faits divers. Certes, ceux-ci suscitent une émotion partagée – personne ne peut rester insensible au spectacle de victimes injustement agressées ou de victimes mourant sous les coups d'un homme qui a déjà été condamné – mais les deux faits divers qui nous servent de base doivent être un peu mieux analysés. Peut-être gagnerait-on d'ailleurs, si l'on se fonde sur des faits divers, à connaître l'intégralité des dossiers au lieu de nous référer à des coupures de presse.
Sauf erreur de ma part, lorsque M. Evrard sort de prison, il n'y a pas de trou législatif.