Vous pourrez me répondre ensuite, madame. Je ne me suis pas permis de vous interrompre lorsque vous vous êtes adressée à nous. Nous sommes le pouvoir législatif, vous représentez le pouvoir exécutif et vous êtes invitée ici.
Je récuse donc l'utilisation de ce terme car il permet de jouer sur les fantasmes et de préparer l'opinion à l'ultime dérive, celle de la castration physique.
À l'appui de ce huitième motif de renvoi en commission, citons de nouveau le rapport Lamanda, qui expose ce que vous omettez de dire sur la castration chimique : « Les prises en charge médicales des psychopathes, et plus particulièrement des auteurs de violences sexuelles, sont de deux ordres. À coté des médicaments psychotropes, il est aussi recouru à des traitements anti-androgènes qui, permettant à l'intéressé de mieux maîtriser ses pulsions et ses désirs sexuels, diminuent le risque de passage à l'acte.
« Ces médicaments, administrés régulièrement, diminuent l'activité stimulante de la testostérone sur certaines zones du cerveau et viennent ainsi compromettre, par des mécanismes différents, les actes sexuels masculins, la libido et la capacité d'érection. Ces traitements ont cependant des effets limités et temporaires. » Vous qui faites de la politique depuis longtemps, vous savez très bien que quand vous parlez de castration chimique, l'opinion comprend qu'elle est irréversible. Mais à la tribune de cette assemblée, vous n'avez pas osé reprendre cette formule. Vous avez parlé d'un traitement qui permettait d'inhiber la libido. Vous savez très bien qu'il s'agit de traitement réversible, et non irréversible, comme vous le laissez entendre lorsque vous parlez de castration chimique et lorsque vous avez osé évoquer le débat sur la castration physique. Fort heureusement, revenant sans doute à la raison, vous êtes revenue sur cette proposition scandaleuse d'ouvrir un tel débat indigne de notre démocratie.
Le rapport Lamanda le dit : « Ces traitements ont cependant des effets limités et temporaires. Leur efficacité n'est donc pas totale et ils ne peuvent se suffire à eux-mêmes. L'effet de ces substances est en outre réversible et s'interrompt avec l'arrêt de la prise du médicament.
« Enfin, comme pour tout traitement anti-androgène, l'administration de ces substances peut provoquer, en une année ou deux, une déminéralisation osseuse, de sorte qu'elle doit être accompagnée d'un suivi médical rigoureux, impliquant des radiographies périodiques. L'acétate de cyprotérone est de plus contre-indiqué chez les personnes souffrant de psychose ou d'épilepsie. Il peut aussi entraîner des effets secondaires, peu compatibles avec le traitement des troubles du comportement sexuel. »
Le rapport Lamanda conclut que « l'utilisation de ces médicaments ne peut donc être envisagée dans tous les cas, ni à très long terme ».
Il poursuit : « La seconde catégorie de prise en charge relève de la psychiatrie et de la psychologie. Elle regroupe les thérapies fondées sur un travail de type ou d'inspiration psychanalytique, et les thérapies cognitivo- comportementales. Il convient donc de ne pas nourrir trop d'illusions sur l'aptitude de ces traitements, pris isolément, à diminuer sensiblement le risque de récidive. »
Voilà ce que dit le rapport Lamanda, et vous ne cessez de nous répéter que votre projet de loi n'est que la traduction de ce rapport ! Apparemment, nous n'en avons pas fait la même lecture.
Pourtant, par démagogie, le débat public va tourner, nous le savons bien, autour de ces questions et évidemment déraper, car vous avez agité devant l'opinion la castration physique, qui n'est qu'un leurre : bien évidemment, on ne peut l'introduire dans la loi. C'est facile mais c'est malsain. Si vous mettez le doigt dans cet engrenage, les limites du droit et de la responsabilité éthique seront vite transgressées.
Neuvième motif de renvoi en commission : l'absence totale d'alternative à la castration et à l'augmentation des durées de la peine. Réduire les risques de récidive des délinquants sexuels passe par l'évaluation, le traitement et le suivi de ces derniers. Ils forment un groupe hétérogène qu'il faut évaluer et traiter en conséquence. Par exemple, les recherches menées au Canada ont démontré que les agresseurs d'hommes ou de femmes nécessitent des traitements différents. Il faut une approche cognitivo-comportementale dans les traitements permettant aux pédophiles de reconditionner leurs comportements sexuels déviants, de leur apprendre à maîtriser leurs pulsions. Si au lieu de mettre l'accent sur ces traitements complexes, on se borne à une surveillance de sûreté, on compromettra la réinsertion du délinquant. La dimension thérapeutique, en l'espèce, ne se limite pas aux remèdes de la médecine. Elle s'élargit à un ensemble de soins délivrés par une équipe pluridisciplinaire, dont la composition doit pouvoir varier selon les cas, en faisant appel aux compétences d'un psychiatre, d'un psychologue, d'un criminologue clinicien, d'un éducateur, d'un assistant social et d'un infirmier psychiatrique. Le suivi des personnes exécutant une peine hors de l'établissement carcéral – en cas de sursis avec mise à l'épreuve, de suivi socio-judiciaire, de surveillance judiciaire – se heurte au nombre insuffisant de médecins coordonnateurs. Sans ces médecins, dont le statut résulte de la loi du 17 juin 1998, l'injonction de soins ne peut être mise en oeuvre. Il est donc presque impossible d'appliquer un traitement médical efficace à un criminel pervers au sens psychiatrique du terme. Il apparaît, en l'état des données actuelles de la science, qu'il serait hasardeux de faire reposer les programmes de prévention de la récidive uniquement sur ce type de prise en charge médicale.
Nous préférerions mille fois avoir un débat sur ces sujets complexes que sur le délire de la castration physique qui sert en fait, comme l'ADN en son temps, à faire diversion à la question centrale de l'utilité réelle de la loi.
Dixième et dernier motif de renvoi en commission : les lois sur la récidive font de la prison un modèle unique de la peine, au détriment des peines alternatives ou des aménagements de peine. Ce texte est dangereux et va à rencontre d'une justice moderne et responsable. Toutes les études scientifiques montrent que la récidive est toujours plus importante chez ceux qui ont purgé en totalité leur peine de prison qu'après une peine alternative à la détention ou une sortie de détention anticipée et préparée. Les « peines plancher », expérimentées depuis une quinzaine d'années aux États-Unis et au Canada, n'ont pas eu les effets escomptés. Au vu de leur totale inefficacité dissuasive, de leur coût exorbitant pour les finances publiques, et de la désorganisation dont elles ont été la cause dans les administrations pénitentiaires des pays concernés, elles sont partout en voie de démantèlement : la Grande-Bretagne permet au juge d'y déroger très facilement, l'Australie et plusieurs États américains les ont supprimées par divers moyens. Nous savons que le premier foyer de récidive, c'est la prison. Elle est, dit le proverbe, l'école du crime. L'expérience le confirme. Ce texte va accroître la surpopulation carcérale. Il le fera d'autant plus que les juges ne pourront pas appliquer ces dispositions lors d'une procédure de comparution immédiate, laquelle est ordinairement privilégiée dans les cas de récidive. Le tribunal devra alors renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir sans juger l'affaire et une enquête de personnalité, confiée à un juge d'instruction ou reprise en préliminaire par le procureur, recherchera s'il existe des garanties de réinsertion.
Le projet de loi se traduira donc par un allongement spectaculaire des délais de jugement en matière pénale et un surencombrement ingérable des cabinets d'instruction.
Avec ce projet de loi, madame la garde des sceaux, vous vous transformez en incendiaire. Là où il faudrait de la concertation entre professionnels de divers métiers, vous produisez des textes qui masquent votre démission en matière de réinsertion, comme on l'a vu avec celui relatif aux prisons. Lutter contre le phénomène de la récidive suppose avant tout des moyens pour réussir la réinsertion, certainement pas la création de nouveaux foyers de délinquance là où il faudrait de la volonté politique.
Nous sommes d'accord pour dire qu'il faut prévenir les crimes et les atteintes aux droit des victimes, tout en maintenant les libertés fondamentales. Mais lorsqu'on légifère trop vite, on ne peut mettre en place les outils nécessaires et les renforcer ; on est donc dans la fuite en avant, comme l'illustre ce texte mal ficelé, qui ne tient pas compte de la panoplie des lois et dispositifs déjà existants : vous ajoutez, à des fins idéologiques, une couche de texte inapplicable.
En réalité, le sens de votre projet, comme celui du débat relatif à l'identité nationale, c'est le Front national qui nous le révèle. Conséquent avec lui même et ne voulant pas faire l'objet d'une OPA inamicale sur son électorat, il demande la « castration de la tête » des pédophiles, donc le rétablissement de la peine de mort. Il révèle ainsi le message à peine voilé que vous adressez à l'électorat : nous ne punirons pas les délinquants sexuels, nous les éliminerons, nous les éradiquerons. Alors qu'il faudrait se pencher sur l'échec de l'institution judicaire et sur la signification de la récidive, vous faites le jeu des plus bas instincts et « surfez » allègrement sur eux. Votre texte n'est donc pas seulement inutile, il est dangereux pour la République.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de voter, avec le groupe de la gauche démocrate et républicaine, la présente motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)