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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 17 novembre 2009 à 15h00
Réduction du risque de récidive criminelle — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

…car il met à mal le secret médical. En effet, vous modifiez l'article 3711-3 du code de la santé publique en obligeant le médecin traitant à partager des données relevant du secret médical avec le juge d'application des peines, le médecin coordonnateur et le conseiller de probation.

Vous passez ainsi de la possibilité à l'obligation et ajoutez même l'expression « sans délai ». Vous prévoyez la rupture du lien de confiance entre le malade et le médecin, contrevenant ainsi à l'article R. 4127-4 du code de la santé publique, à l'article 4 du code de déontologie médicale et à l'article 226-13 du code pénal qui punit la trahison du secret médical.

Même la première loi sur la rétention de sûreté de 2008 n'avait pas osé remettre en cause ce secret comme vous le faites maintenant ! Elle avait seulement prévu des « échanges d'informations opérationnelles » entre l'administration pénitentiaire et les personnels soignants et ne souhaitait pas aller plus loin.

Ce texte est dangereux, encore, à cause de l'article 5 quater, qui étend l'interdiction de paraître pour le condamné, après sa libération, dans les lieux où réside et travaille la victime.

Sur le principe, pourquoi pas ? Mais vous ne devez pas ignorer les nombreuses difficultés d'application. Souhaitez-vous imposer à la victime, quinze ans après les faits, de déclarer sa nouvelle adresse, voire sa nouvelle identité si elle s'est mariée entre-temps et a changé de nom, au risque de rendre son agresseur destinataire de ces informations ? Si l'on dit, par exemple, à celui-ci qu'il ne doit pas passer rue de l'Université, il comprendra aisément que sa victime d'il y a quinze ans habite maintenant dans cette rue ! Il me semble qu'il manque de ce point de vue quelque chose à votre raisonnement.

Plus grave, il est prévu, en cas d'infraction à l'interdiction de paraître, de rendre possible l'arrestation de la personne par les services de police ou de gendarmerie à leur seule initiative, sans instruction d'un magistrat. Cela n'est pas acceptable. Sur quoi se fondera une retenue de vingt-quatre heures, en l'absence d'un mandat d'arrêt ? L'inconstitutionnalité est ici manifeste.

Paraissent également dangereuses, parce qu'imprécises et pleines de chausse-trappes, les dispositions relatives au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, à l'article 5 quinquies du projet de loi. Nous y reviendrons plus tard dans la discussion.

Et puisque le débat sur cette question a été relancé dans la presse, évoquons la proposition d'amendement – d'ailleurs adoptée très rapidement ce matin, dans les conditions prévues par l'article 88 du règlement – de cent quatre-vingts députés UMP, qui veulent créer un nouveau fichier municipal des condamnés ! (M. Noël Mamère s'exclame.)

On pourrait ironiser sur le fait que, au moment où les ressources des collectivités locales vont être soumises à une cure d'austérité à cause de la suppression abrupte de la taxe professionnelle, nos collègues inventent un nouveau fichier qui, par son importance – on enregistre plus de 100 000 sorties par an –, sa confidentialité, la charge émotive dont il est porteur et son coût, nécessiterait une organisation sécurisée et une maintenance très fine pour actualiser les données.

La troisième et dernière partie de mon propos aura pour but de vous expliquer, mes chers collègues, que ce projet de loi est inutile.

L'arsenal législatif prévu pour contrôler les criminels dangereux lors de leur sortie de prison, et ainsi limiter le risque de récidive – ce qui est un objectif louable –, s'est développé au fil des années. Des dispositions allant dans ce sens se complètent et se combinent entre elles.

Parlons d'abord de la libération conditionnelle. L'article 729 du code de procédure pénale dispose qu'elle tend à « la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive ». La loi du 17 juin 1998 a institué le suivi socio-judiciaire pour tenir compte de la spécificité de certains types de délinquance. Cette loi de 1998 a vu son champ élargi à deux reprises. La loi du 12 décembre 2005, vous l'avez dit, a étendu le suivi socio-judiciaire, non seulement aux infractions sexuelles, mais aussi à toutes les atteintes criminelles à la vie, aux enlèvements et séquestrations, aux actes de torture et de barbarie. Même la destruction volontaire de biens par explosif ou incendie y figure, ce qui est sans doute trop ! Enfin, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a étendu la peine de suivi socio-judiciaire aux actes de violence intra-conjugale, ce qui est sans doute une bonne chose.

La généralisation du suivi socio-judiciaire, après des débuts timides, touchait quelque 1 300 condamnés en 2007. Elle concerne surtout les crimes et délits sexuels sur mineurs. En effet, 96 % des personnes condamnées à une mesure de suivi socio-judiciaire en 2007 avaient commis une infraction sexuelle. La loi de 1998 a donc presque – quoique pas tout à fait, et j'expliquerai pourquoi – trouvé son régime de croisière. Il ne s'agit pas d'une mesure légère ou accessoire, car sa durée moyenne est actuellement de près de six ans.

Si l'application de ces dispositions, bien qu'elle monte en puissance, est encore modeste et se heurte à des difficultés importantes, c'est d'abord, comme vous le savez, mes chers collègues, en raison du manque de médecins coordonnateurs. Deux cent treize postes sont pourvus, alors que le minimum pour couvrir la France métropolitaine et l'outre-mer devrait être de cinq cents.

En 2009, quarante ressorts de TGI et dix-sept départements restent dépourvus de médecins coordonnateurs. M. Lamanda, dans son rapport, estimait que « les injonctions de soins ne peuvent être mises en place, de façon satisfaisante, dans plus de la moitié des juridictions. » Je vous signale, par exemple, que le Pas-de-Calais a accueilli son premier médecin coordonnateur au début de l'année 2009, onze ans après la création par la loi de cette fonction et cinq ans après l'affaire d'Outreau !

Pour assurer ce suivi et la réinsertion socioprofessionnelle des personnes sortant de prison, nous avons plus besoin de médecins, de conseillers de probation et de travailleurs sociaux que de surveillants et de maires détenteurs de fichiers dont nous ne saurons d'ailleurs que faire ! Mes chers collègues, il manque, selon une estimation réaliste, mille conseillers d'insertion et de probation pour que le travail de suivi post-pénal soit assuré.

Enfin, il s'agit de traiter sur le plan psychiatrique, pendant leur temps de détention – comme le réclame d'ailleurs le Conseil constitutionnel – les détenus susceptibles de faire l'objet d'une rétention de sûreté.

Vous le savez, de ce point de vue, la situation est très préoccupante. Selon notre collègue sénateur Nicolas About, le pourcentage de détenus présentant des troubles psychiatriques est évalué à 40 % de la population carcérale. En prison, le recours aux soins psychiatriques est dix fois supérieur à ce qui est observé dans la population générale. Ces informations sont reprises dans le rapport d'information de notre collègue Étienne Blanc, qui est tout à fait précis sur ces questions. Un quart des détenus sont atteints de troubles psychotiques, dont la schizophrénie, qui toucherait plus de 7 % de la population carcérale, soit environ huit fois plus que dans la population générale. Et il s'agit d'une population à haut risque, comme en témoigne le nombre dramatique de suicides en prison ou d'agressions sortant des canons habituels – vous évoquiez tout à l'heure, madame la garde des sceaux, l'épisode de cannibalisme à Rouen.

Face à cette marée de malades psychotiques, le dispositif des services médico-psychologiques régionaux, les SMPR, installés dans les établissements pénitentiaires et assurant les soins psychiatriques courants, est une bonne chose. Hélas ! il n'y a que vingt-six SMPR pour cent quatre-vingt-quatorze prisons. Cela est insuffisant, du fait de l'ampleur des besoins en prison, du manque de structures d'hospitalisation complète, des réticences des hôpitaux psychiatriques dits « civils » à recevoir des détenus en hospitalisation d'office et surtout du manque de psychiatres intervenant en milieu pénitentiaire. Seules les quatre unités pour malades difficiles – les UMD – procurent un cadre sécurisé pour accueillir ce type de public. Rendez-vous compte : il n'en existe que quatre en France ! Le nombre des détenus nécessitant une hospitalisation d'office en UMD a d'ailleurs augmenté de 50 % depuis trois ans.

Je vous rappelle également la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, qui avait prévu la mise en place d'unités hospitalières spécialement aménagées – les UHSA – pour l'hospitalisation complète des détenus atteints de troubles mentaux. Sept cents places devaient être créées dans dix-sept UHSA. Nous avons d'ailleurs la liste des hôpitaux psychiatriques où elles devaient être créées. Il s'agit d'unités fermées, dont la garde périmétrique doit être assurée par l'administration pénitentiaire. Elles répondent d'ailleurs à l'objectif de la règle pénitentiaire européenne 47-1. Sept ans après, aucune de ces dix-sept UHSA n'est ouverte ! La première, annoncée comme imminente depuis deux ans au sein de l'hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon, devrait ouvrir ses soixante places au printemps 2010 !

Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, ce que l'agitation présidentielle et les réunions interministérielles annoncées à grand fracas dissimulent aux yeux de nos concitoyens.

Pour prévenir la récidive, il faudrait commencer par faire ce qui a été décidé depuis dix ans.

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