En préambule, je rappellerai, comme l'a fait M. Hervé Gaymard devant la commission des affaires européennes, que la présente proposition de résolution constitue en quelque sorte le prolongement du rapport sur le bilan de santé de la PAC, que notre commission avait réalisé conjointement avec la commission des affaires européennes en juin 2008. Nous avons donc cette fois également conduit ensemble les auditions préalables à l'élaboration de la proposition de résolution.
Pourquoi une résolution européenne sur la crise laitière ? Pour comprendre, il faut revenir quelque peu en arrière et se souvenir de ce que fut l'organisation commune du marché du lait à ses débuts. L'OCM lait a été l'une des premières organisations communes de marché mises en place, en 1968. Elle reposait à la fois sur un dispositif de gestion des marchés, avec des mesures de stockage public et privé et des mécanismes de restitution aux exportations et d'aides à la consommation activés en cas de surproduction, et sur un dispositif de prix administré, composé en réalité de trois prix :
– le prix indicatif, qui correspondait au prix estimé par le Conseil européen comme devant être versé aux producteurs ;
– le prix d'intervention, un prix de réserve payé à l'occasion de la mise en oeuvre du stockage public ;
– et le prix de seuil, prix minimum d'exportation.
En ignorant complètement les évolutions sur le marché, ce système a fini par entraîner à la fin des années 1970 la constitution de stocks considérables de beurre et de poudre de lait conduisant à la création, en 1984, des quotas laitiers dont le principe avait, à l'époque, suscité une levée de boucliers de la part des organisations syndicales, les mêmes qui réclament aujourd'hui leur maintien.
D'autres décisions vont ensuite profondément modifier ce dispositif, à commencer par la réforme de l'« Agenda 2000 », en 1999, qui supprime le prix de seuil et encadre le prix indicatif et le prix d'intervention, avec pour conséquence une première baisse du prix du lait. En 2003, lors de la réforme de la PAC à mi-parcours, la mise en oeuvre des mécanismes d'intervention sur le beurre et la poudre de lait est encadrée : elle ne peut avoir lieu que sur une période donnée et sur un volume prédéterminé. En 2008, enfin, dans le cadre du bilan de santé de la PAC, le prix indicatif est supprimé.
S'agissant des quotas laitiers, leur suppression a été proposée dès 1999, lors du sommet de Berlin. Le gouvernement français avait évidemment défendu le principe du maintien des quotas mais il était minoritaire au Conseil : je me souviens d'ailleurs que M. Pierre Moscovici, ministre des affaires européennes et conseiller régional de Franche-Comté, comme moi, m'avait appelé au petit matin pour me tenir au courant des résultats de la négociation. La suppression des quotas laitiers devait avoir lieu à l'horizon 2012, mais grâce à un accord politique franco-allemand, ceux-ci ont pu bénéficier en 2003 d'une rallonge supplémentaire jusqu'en 2015. La formule prônée par la Commission européenne d'un « atterrissage en douceur » des quotas, consistant en fait en leur augmentation progressive tous les ans jusqu'en 2015, a ensuite été retenue dans le cadre du bilan de santé de la PAC.
Face à la situation du secteur laitier aujourd'hui, chacun essaie de comprendre les origines de la crise. Beaucoup d'explications sont avancées qui s'avèrent souvent erronées. A cet égard, si au sein de la commission des affaires économiques, les parlementaires ont toujours eu à coeur de lutter contre les excès de la grande distribution, Jean-Paul Charié en tête, il faut reconnaître que les pratiques de la grande distribution ne sont pas à l'origine de la crise que traverse aujourd'hui le secteur laitier. Cette crise est d'ailleurs généralisée dans toute l'Union européenne, preuve s'il en était que la grande distribution française n'est pas la raison principale des difficultés de nos producteurs.
Si on observe ce qui s'est passé ces trois dernières années, on se rend compte que sur les dix-huit premiers mois, il y a eu une surchauffe et une incitation à la production dans un contexte de crise alimentaire et de flambée des prix des denrées agricoles. Je rappelle d'ailleurs que la Commission européenne promettait à l'époque que la situation allait perdurer avec des prix durablement élevés, justifiant la suppression des mécanismes d'intervention existant au niveau communautaire. Cette prédiction a été démentie peu de temps après avec une chute rapide des prix qui a conduit à la situation de détresse actuelle des producteurs.
Les principales raisons de la crise sont au nombre de trois :
– c'est tout d'abord le contrecoup de la surchauffe des dix-huit premiers mois : à une hausse excessive a succédé une baisse elle aussi excessive ;
– c'est ensuite la baisse de la demande, notamment en provenance des pays émergents ;
– enfin, c'est surtout l'affaiblissement des instruments de gestion du marché au niveau communautaire, qui n'ont pas réussi à réguler ces excès.
70 % des produits laitiers sont consommés localement sous forme transformée (yaourts, fromages, etc…) et 30 % sont commercialisés sous la forme de poudre. Au total, seuls 6 à 7 % de la production laitière sont échangés sur le marché international, essentiellement de la poudre. Or, ce sont ces quelques pour-cent qui cassent le marché, en raison des exportations à bas prix en provenance en particulier de Nouvelle-Zélande, et qui fabriquent artificiellement le prix mondial du lait. La Nouvelle-Zélande n'a pas du tout la même conception de l'organisation de la production laitière sur le territoire que l'Europe, la seule fonction de l'exploitant laitier néo-zélandais étant de produire du lait à bas coût pour l'exportation.
Que faire ? Il convient d'agir à la fois sur la gouvernance européenne du secteur laitier et sur l'organisation des relations entre producteurs et industriels du lait. Je tiens à cet égard à saluer les efforts du ministre de l'agriculture français au niveau communautaire pour oeuvrer en faveur d'une nouvelle régulation européenne de la production. Les États membres de l'Union européenne ont toutefois des positions très divergentes sur les quotas laitiers : un premier groupe d'États membres souhaitent pouvoir s'organiser librement sans quota ; un deuxième groupe d'États membres, emmené par la France, y est plutôt favorable ; le dernier groupe est composé d'États membres qui n'ont jamais très bien supporté les quotas car ceux-ci ne leur permettaient pas de produire à hauteur de leur consommation. La discussion risque donc d'être difficile.
Même si certains se bercent encore d'illusions, on ne peut faire autrement qu'envisager la suppression des quotas. Le rapport sur le bilan de santé de la PAC soulignait en revanche l'impossibilité de supprimer à la fois les quotas et les mécanismes d'intervention sur le marché et la nécessité de mettre en place des nouveaux systèmes de régulation au fur et à mesure de la disparition des quotas. Il nous faut également réfléchir à la conclusion de contrats entre producteurs et transformateurs, même si cela risque d'être compliqué juridiquement car dans ce domaine, il n'y a pour le moment pas de contrat écrit et la facture est établie par l'acheteur : c'est la « paie du lait ». Enfin, il nous faut conserver notre conception de la production laitière, à la fois facteur de production, élément de l'équilibre de nos territoires et activité générant un revenu décent pour les agriculteurs.
C'est pourquoi il vous est proposé aujourd'hui d'adopter une proposition de résolution. Au travers de quatre considérants, celle-ci rappelle tout d'abord les principaux éléments de contexte que sont :
– le rôle du secteur laitier dans notre modèle agricole, à la fois en termes de production et en termes de répartition équilibrée de l'activité sur les territoires ;
– la sensibilité du marché du lait aux fluctuations conjoncturelles ;
– la nécessité d'un cadre stable qui permette de garantir la pérennité de la filière ;
– la mise en place impérative d'un système rénové de gestion de l'offre.
La proposition de résolution se décline en quatre points :
– le premier concerne les instruments de gestion du marché laitier au niveau communautaire et leur utilisation par la Commission européenne. Leur mise en oeuvre a été progressivement restreinte et ne permet plus une réelle fluidification du marché qui est cependant leur raison d'être. C'est pourquoi le point 1 insiste sur la nécessité de faire évoluer ces instruments dans le cadre de l'OCM unique ;
– le deuxième point de la proposition de résolution s'attache à la question du droit de la concurrence et de sa nécessaire modification, pour permettre aux producteurs de mieux s'organiser, aux producteurs et aux transformateurs d'établir un cadre stable et prévisible pour leurs relations commerciales et, éventuellement, à la puissance publique d'intervenir pour une meilleure régulation du système ;
– le troisième point porte sur la suppression des quotas laitiers. S'il est aujourd'hui impossible d'envisager qu'une majorité qualifiée d'États membres se dégage pour revenir sur la suppression des quotas programmée pour 2015, augmenter automatiquement chaque année les quotas dans une proportion fixée à l'avance n'a pas de sens, comme cela avait été souligné dans le cadre de la résolution sur le bilan de santé de la PAC ;
– enfin, le quatrième point de la proposition de résolution concerne la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement de la suppression des quotas. La France a déjà obtenu un certain nombre d'avancées dans le cadre du bilan de santé de la PAC avec l'adoption de l'article 68 qui permet désormais aux États membres de compenser les difficultés de production rencontrées dans certaines régions défavorisées notamment dans le secteur du lait et des produits laitiers. Une enveloppe de 45 millions d'euros sera ainsi consacrée à la production de lait de vache en montagne à travers une aide couplée à hauteur de 20 euros1 000 litres à partir de 2010. Il faut aller plus loin maintenant pour conforter véritablement les équilibres du secteur laitier, améliorer sa productivité et valoriser ses produits.
De la sorte, la proposition de résolution me paraît balayer l'ensemble des enjeux actuels qui se font jour dans le secteur laitier : c'est la raison pour laquelle je vous propose de l'adopter conforme.