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Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 10 novembre 2009 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Je remercie le rapporteur pour son travail – la complexité du sujet impose d'avancer avec précaution – et pour sa clarté : la proposition de loi porte bien sur l'euthanasie, ou plus exactement le suicide assisté, si l'on peut faire cette distinction.

Au contraire de notre collègue Danièle Hoffman-Rispal, je ne suis pas sûr que les citoyens attendent une législation qui dépasse les dispositions de la loi Leonetti. Je ne vois pas non plus la nécessité, évoquée par le rapporteur, de franchir un nouveau pas.

Seraient-ce certains États voisins, ayant légiféré sur ce sujet, qui nous inviteraient à cette nouveauté ? Jean Leonetti a rappelé que les évolutions législatives dans ces pays n'étaient couronnées de succès, ni en termes d'efficacité médicale, ni en termes de normes de droit.

S'agirait-il de répondre à une attente des populations ? Membre d'un comité d'éthique et d'un réseau de soins palliatifs, je ne suis certain que de la très grande circonspection des soignants envers l'expression des demandes tant des personnes souffrantes que de leurs proches – et je suis moi-même circonspect devant des enquêtes d'opinion qui peuvent être inspirées par ce que relate la télévision plutôt qu'exprimer une volonté profonde.

La nouveauté que constitue la proposition de loi de notre collègue Manuel Valls ressortit à une volonté d'aller, non pas plus loin, mais ailleurs. Les lois successives ont maintenu une frontière étanche entre faire mourir activement et reconnaître que, chez un patient, la vie a « perdu la partie ». Cette distinction en commande une autre, sémantique, entre ce qu'il est improprement convenu d'appeler euthanasie active et euthanasie passive, ou encore entre l'euthanasie proprement dite et l'arrêt des soins, le refus de l'acharnement.

La législation doit maintenir le caractère infranchissable de cette frontière. La franchir, comme le propose la proposition de loi, nous exposerait à divers dangers. Vouloir traiter les situations complexes est compréhensible. Bien sûr, une fois accepté le franchissement de la limite dont je viens de parler, instituer une mécanique d'encadrement et de régulation éthique extrêmement précise, comportant des comités, des juges, des médecins, est indispensable. Mais que serait un corpus de droit intégrant un droit, une permission de donner délibérément la mort à quelqu'un d'autre que soi ? Pour avoir essayé de traiter diverses grandes difficultés dans la vie quotidienne des services hospitaliers, je pense que le plan symbolique du droit serait amputé de manière irréversible.

Ensuite – j'en ai souvent discuté avec Jean Leonetti –, l'équilibre de la loi du 22 avril 2005 est fragile. Comme tout ce qui est en équilibre, cette loi est en danger permanent. De façon à la fois très rassurante et très inquiétante, elle repose sur une confiance très grande, et fondée, dans l'exercice par le corps médical de son propre art, et nous confronte, quelle que soit notre position – législateurs, patients, spectateurs extérieurs à la relation entre le médecin et son patient –, à la limite, à l'incertitude, à la possibilité de l'erreur inhérentes à l'appréciation d'une situation par un ou plusieurs membres du corps médical : lorsqu'une question lui est posée, un médecin peut être sûr de son diagnostic, et sûr par exemple que la personne examinée ne recouvrera jamais ses facultés de conscience, mais parfois ce n'est pas le cas. Cette incertitude, qui reste l'un des noeuds gordiens de la loi du 22 avril 2005, doit être maintenue. Rationaliser, encadrer les pratiques et les décisions médicales en recherchant le moindre risque possible est une limite à l'exercice de l'art médical en tant que tel. L'encadrement de l'art médical ne doit pas être excessif. La loi ne peut pas régler cette situation imparfaite ; elle perdrait à le tenter.

Ce n'est pas non plus la première fois qu'une législation à caractère bioéthique, au sens large, tente de mettre en place des modalités d'encadrement ; les actuelles « lois bioéthiques » en regorgent. Or, jamais aucune de ces modalités d'encadrement n'a pu empêcher les dérives que nous craignons tous. Les situations dans ces domaines sont d'ailleurs tellement tendues que, malheureusement, à peu près aucune disposition ne pourrait en limiter la possibilité et donc la réalisation. Pour cette raison encore, et pour paraphraser le philosophe du XVIIIe siècle, le système actuel est le meilleur possible dans le moins pire des mondes possibles.

Enfin, je me souviens avoir rencontré les époux Pierra, dont le fils inconscient est décédé dans de très grandes souffrances. Je n'ai rien pu faire d'autre pour eux que les écouter. Ce que ces situations extrêmes, impossibles, de fin de vie interrogent, c'est notre propre capacité à y apporter une réponse collective. Avant de penser à faire partir le malade, il reste beaucoup à faire pour l'accueil et l'accompagnement, de toute nature, des familles concernées.

Pour ces raisons, je souhaite le maintien en vigueur du dispositif actuel ; je ne voterai donc pas la proposition de loi présentée par nos collègues.

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