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Intervention de Manuel Valls

Réunion du 10 novembre 2009 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuel Valls, rapporteur :

Avec la présente proposition de loi « relative au droit de finir sa vie dans la dignité », nous abordons, une fois encore, la question délicate de la fin de vie. Le sujet, en effet, n'est pas nouveau. Depuis la loi du 9 juin 1999, visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, jusqu'à la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, de très nombreuses avancées ont été réalisées, qui témoignent d'une prise de conscience toujours plus grande en cette matière difficile.

Aujourd'hui, par l'instauration d'une aide active à mourir et la consécration d'un droit à mourir dans la dignité, nous vous proposons d'accomplir un pas supplémentaire en prenant en compte des demandes récurrentes, qu'elles proviennent de personnes en fin de vie qui jugent leurs souffrances insupportables, de médecins, laissés seuls face à leur conscience et à la détresse de leurs patients, ou encore de familles, qui ne savent pas toujours vers qui se tourner. Depuis plusieurs années, l'écart se creuse entre les attentes de ceux qui souffrent en fin de vie – qu'ils restent anonymes ou qu'ils se trouvent placés, du jour au lendemain, au coeur de l'actualité – et les réponses apportées par les pouvoirs publics. C'est pour réagir à cette situation que le groupe SRC souhaite soumettre à l'Assemblée nationale la présente proposition de loi, dans le cadre de l'une de ses séances d'initiative parlementaire.

Sur cette question de la fin de vie, des progrès incontestables ont, comme je l'ai dit, été réalisés depuis une vingtaine d'années. Après la loi du 9 juin 1999 sur les soins palliatifs, la loi du 22 avril 2005, issue d'une proposition de loi présentée par notre collègue Jean Leonetti et adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, a apporté des outils juridiques nouveaux, consacrant le refus de l'« obstination déraisonnable », régissant la situation dans laquelle l'application d'un traitement peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie, et ouvrant la possibilité à une personne – notamment en fin de vie – de refuser ou d'arrêter un traitement. S'il faut saluer cet acquis, un certain nombre d'éléments plaident cependant aujourd'hui pour que soient reconsidérées la législation sur la fin de vie et la question de l'euthanasie – nous aborderons, si vous le souhaitez, au cours de la discussion, la question des définitions, mais il est clair en effet que notre proposition sur l'aide active à mourir est un dispositif sur l'euthanasie.

Je l'ai dit aussi : le décalage entre les attentes des Français et les réponses qui leur sont faites dans ce domaine par les pouvoirs publics est de plus en plus important. Premièrement, de nombreuses personnes, anonymes ou non, souffrent en fin de vie et ne trouvent pas de réponse à leur situation dans le seul cadre juridique de la loi du 22 avril 2005 – et nous avons tous à l'esprit de tels témoignages, directs ou indirects. Deuxièmement, en cas de contentieux, les solutions retenues par les juridictions, souvent clémentes, parfois inattendues, ne sont pas toujours comprises. Troisièmement, le dépôt récurrent de propositions de loi sur ce sujet, issues de personnalités de toutes sensibilités politiques, atteste aussi de la prégnance, par-delà les clivages partisans, d'une même préoccupation. Enfin, l'existence d'enquêtes d'opinion aux résultats constants confirme l'attente de l'opinion publique – même si ces résultats doivent être nuancés, les personnes interrogées n'étant, par hypothèse, pas toujours directement confrontées à la question.

Face à ces attentes, que proposer ?

Les travaux récents de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 ont, certes, permis de dégager des pistes de réflexion intéressantes, examinées dans cette même salle il y a quelque temps. La mission a insisté, avec justesse me semble-t-il, sur la nécessité de favoriser une véritable « culture palliative » en France. Le développement des soins palliatifs est, en effet, indispensable et doit constituer une priorité des pouvoirs publics, car nous savons tous, par exemple, que perdurent de fortes inégalités d'une région à l'autre. Dans le même temps, ces propositions restent insuffisantes, car elles ne modifient pas l'équilibre général de la législation sur la fin de vie. Et c'est tout le débat que nous avons eu avec Jean Leonetti.

Quant à la proposition de loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, présentée par l'ensemble des groupes politiques de l'Assemblée, elle a été, à la suite des travaux de la mission précitée, examinée par l'Assemblée nationale le mardi 17 février 2009. On ne peut que saluer cette initiative qui va, à l'évidence, dans le bon sens, même si on en connaît les limites. Elle prévoit que l'allocation ne peut être versée que pendant une durée maximale de trois semaines ; cette durée est-elle suffisante ? En outre, 25 % seulement des personnes prises en charge par un dispositif de soins palliatifs le sont à domicile : que faire pour les 75 % qui se trouvent à l'hôpital ou en établissement spécialisé, et dont les proches ont également besoin d'être aidés dans leur accompagnement ? Mais surtout, on peut s'interroger – je le dis sans esprit de polémique – sur la volonté du Gouvernement de voir adopté ce texte qui, même de portée restreinte, constituerait une avancée. Les deux heures de discussion, de très grande qualité, en première lecture dans l'hémicycle ont eu lieu il y a maintenant presque neuf mois ; depuis, cette proposition de loi n'a toujours pas été examinée par le Sénat. Nous espérons qu'elle sera prochainement inscrite à son ordre du jour.

Pour en revenir au fond, ces éléments révèlent combien il est nécessaire de mettre en oeuvre aujourd'hui une volonté politique et de franchir un nouveau pas. C'est là où il y a débat. J'avais moi-même, à l'occasion de la réunion commune des commissions des affaires sociales et des lois, considéré qu'il faudrait légiférer à nouveau. L'exemple des législations sur l'euthanasie de trois de nos voisins européens nous y invite : la Belgique, les Pays-Bas, ou encore le Luxembourg avec la récente loi du 16 mars 2009, ont montré que, même si cette question est délicate à tous points de vue, ce n'était pas impossible. Il a également éclairé sur la palette des garanties dont doit être assortie la consécration juridique d'une aide active à mourir.

Le législateur ne saurait se dérober à sa responsabilité et se défaire de ses compétences, en laissant la jurisprudence dire le droit au cas par cas : il doit donc encadrer strictement l'aide active à mourir – et nous le proposons à un moment où il n'y a pas de cas médiatisé. Dans ce débat, un certain nombre de propositions ont été faites, en particulier celle d'une formule d'« exception », qui a été défendue par Gaëtan Gorce. Cette solution n'a cependant pas notre préférence, car trop de questions pratiques ne manqueraient pas alors de se poser ; nous y reviendrons probablement au cours de la discussion. À cette solution, doit être préféré le dispositif équilibré de la présente proposition de loi, avec l'institution d'une aide active à mourir, que je vais maintenant vous présenter brièvement pour conclure.

Cette aide peut bénéficier à toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et que cette personne juge insupportable. Nous avons fait ce choix après de nombreux mois de travail, d'auditions, parallèlement aux travaux de la mission menée par Jean Leonetti avec trois de nos collègues.

La personne concernée s'adresse à son médecin traitant, qui réunit un collège composé d'au moins quatre praticiens, lui compris. Si ce collège constate la situation d'impasse dans laquelle se trouve la personne, et le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande, l'intéressé sera appelé à confirmer celle-ci, en présence de sa personne de confiance. L'aide active peut ensuite avoir lieu, au plus tôt deux jours après la confirmation de la demande par la personne concernée. La demande est révocable à tout moment.

Le médecin adresse à une commission régionale de contrôle des pratiques relatives au droit de finir sa vie dans la dignité un rapport exposant les conditions du décès, dans les quatre jours.

En outre, la proposition de loi ouvre cette même possibilité aux personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, qui se trouvent de manière définitive dans l'incapacité d'exprimer une demande libre et éclairée, sous réserve que la personne en ait exprimé la volonté au préalable dans des directives anticipées.

C'est, dans ce cas, la personne de confiance de la personne concernée qui saisit le médecin traitant de la demande. Un collège d'au moins quatre médecins se prononce sur l'état de la personne, après consultation de l'équipe médicale et de ceux qui assistent l'intéressé au quotidien. La personne de confiance doit aussi confirmer la demande, en présence de deux témoins. L'aide active ne peut intervenir avant l'expiration d'un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande. Le médecin adresse un rapport sur les conditions du décès à la commission régionale précitée.

Dans tous les cas, les commissions régionales qui estiment que les garanties prévues par la loi n'ont pas été respectées transmettent le dossier en cause à une commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de finir sa vie dans la dignité, instituée auprès du garde des sceaux et du ministre chargé de la santé ; cette commission dispose de la faculté de transmettre le dossier au Procureur de la République.

Enfin, la proposition reconnaît à tout professionnel de santé le droit de refuser son concours à la mise en oeuvre d'une aide active à mourir. Dans un tel cas, le médecin doit orienter l'auteur de la demande vers un autre praticien, susceptible de déférer à cette demande.

Pour que le débat puisse être le plus riche possible, j'ai tenu à ce que vous puissiez tous être destinataires d'un document procédant à une première analyse du dispositif proposé, et ce dès la semaine dernière, conformément aux nouvelles dispositions du Règlement de l'Assemblée nationale. Sur un sujet aussi essentiel, il est nécessaire d'examiner, jusque dans le détail s'il le faut, les garanties prévues, pour les ajuster si cela apparaît nécessaire.

Considérant que le législateur devait user de ses prérogatives, la loi de 2005 et les conclusions de la mission d'évaluation de cette loi laissant encore dans l'ombre un certain nombre de sujets, nous avons souhaité franchir cette étape, avec la présente proposition, sur laquelle ont été déposés un certain nombre d'amendements. Place, donc, au débat.

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