Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il est paradoxal que l'examen et le vote de la mission « Engagements financiers de l'État » aient à nouveau lieu un lundi soir, soit à un moment où ni l'audience médiatique ni la présence parlementaire ne sont à leur apogée, même si – que chacun des présents soit rassuré – je peux attester que la qualité supplée à la quantité.
Paradoxal, car cette mission est importante à bien des égards. Par son objet, tout d'abord, puisqu'il s'agit de la dette de l'État et de son coût. Par son volume, ensuite : 44,2 milliards d'euros de crédits sont en jeu, dont le programme « Charge de la dette et trésorerie de l'État » représente 96 %, soit 42,5 milliards, ce qui le place au deuxième rang des masses budgétaires. Par son actualité financière, d'autre part, puisqu'à la dérive du déficit budgétaire font écho des émissions de dettes si massives que la dette publique française représentera au moins 84 % du PIB en 2010, soit près de 25 700 euros par habitant. Par son opportunité politique, surtout : nous débattons de la dette de l'État quelques jours à peine avant que celui-ci n'annonce un grand emprunt dont nous entendons les dissensions qu'il suscite au sein de la majorité et dont nous ignorons l'ampleur et les conditions de remboursement, si bien que notre Assemblée se prononce en réalité sur un programme de financement de l'État totalement virtuel. Cette mission est donc au coeur de la crise comme de l'actualité.
Le programme « Charge de la dette » m'inspire quant à lui cinq constats. Tout d'abord, le besoin de financement de l'État – constitué du déficit budgétaire et du montant des amortissements de titres arrivés à échéance – atteint un niveau historique. Pour 2009, il s'élève à 252,8 milliards, soit, mes chers collègues, un montant supérieur à lui seul à la somme des besoins de financement des trois années 1998, 1999 et 2000. Chacune de ses deux composantes connaît du reste une croissance rapide : en 2009, le déficit budgétaire est 3,7 fois plus élevé celui de 2007, atteignant 141 milliards d'euros contre 38 à l'époque ; quant aux amortissements de dette à moyen et long terme, ils ont augmenté de plus de 40 milliards d'euros par rapport à 2007, passant de 69 à 110 milliards.
Le besoin de financement étant toujours sous-estimé en prévision, qu'en sera-t-il en 2010 ? Ainsi, alors que la loi de finances initiale pour 2008 l'évaluait à 147 milliards d'euros, l'exécution budgétaire s'est soldée par un besoin de financement de 164 milliards d'euros. Pour 2009, 180 milliards d'euros étaient inscrits en loi de finances initiale ; on annonce désormais un montant de 252,8 milliards.
La crise est bien entendu passée par là ; mais j'observe qu'elle s'ajoute à une pratique déjà existante de la dérive. Puisque la crise n'est pas finie, ainsi que le Gouvernement ne cesse de le répéter et les conjoncturistes de le souligner, peut-on vraiment croire sincère la prévision de 212 milliards d'euros pour 2010 ?
Surtout, nous devons prendre conscience du fait que le besoin de financement n'est pas près de décroître : d'après les projections, il devrait dépasser 200 milliards d'euros en 2011 et 2012 !
Dès lors, mes chers collègues, comment ne pas être pris de vertige face à la masse globale des besoins de financement de l'État au cours de ce quinquennat, proprement ahurissante même si l'on accepte les prévisions du Gouvernement ? Reprenons les chiffres : 164 milliards en 2008, 253 en 2009, 212 annoncés pour 2010 et au moins 200 en 2011 et 2012. Au total, le Gouvernement a dû et devra lever plus de 1 000 milliards d'euros – au moins, faut-il malheureusement ajouter étant donné les incertitudes qui pèsent sur les années à venir. Plus de 1 000 milliards d'euros de nouveaux emprunts en cinq ans ! Pour financer leur politique, les gouvernements de la présidence Sarkozy – le gouvernement actuel et ceux qui lui succéderont jusqu'à la fin du mandat présidentiel – emprunteront au moins 17 200 euros par habitant. Il s'agit d'une réalité financière majeure.
Je n'aurai pas l'impudence ou la cruauté de comparer ces chiffres aux résultats des politiques menées. Ce n'est l'objet ni de ce débat ni de mon rapport, même si je laisse parfois échapper un désabusé « tout ça pour ça »… Mais il m'appartient en revanche, comme rapporteur, d'examiner l'autre face de cette réalité financière que sont les charges d'intérêts que ces 1 000 milliards d'emprunts vont coûter au budget de l'État, donc aux Français. J'y viens dans un instant.
Auparavant, un deuxième constat s'impose : l'État finance de plus en plus à court terme ses besoins. Certes, le programme d'émission de titres à moyen et long terme – BTAN et OAT – atteint des niveaux sans précédent : 128 milliards d'euros en 2008, 165 en 2009, puis 175 en 2010. Mais l'essentiel est que l'encours de la dette à court terme – les bons du Trésor à taux fixe, ou BTF – s'envole plus fortement encore : après une très forte augmentation – de 59,8 milliards d'euros – en 2008, il continuerait de progresser en 2009, de 69 milliards, et en 2010, de 30 milliards.
À la fin 2010, la dette à court terme de l'État s'établirait à environ 237 milliards d'euros contre 78 milliards à la fin 2007, soit trois fois plus. Les titres à court terme représenteraient ainsi environ 18 % de l'encours total de dette, encore un niveau sans précédent.
Cela motive de ma part trois observations :
La première, c'est que même au plus fort de la récession de 1992-1993, jamais un tel pourcentage n'avait été atteint.
La deuxième, c'est qu'à 18 %, on s'approche dangereusement du seuil de 20 % que l'Agence France Trésor elle-même considère comme le seuil à ne pas franchir, eu égard à la fois aux capacités du marché et à la confiance faite à l'emprunteur. Compte tenu de ses propres contraintes de financement de trésorerie, comment comprendre que l'État puisse, entre autres, intervenir pour financer les billets de trésorerie de l'ACOSS à court terme ?
La troisième observation est la plus terrible : l'État finance de plus en plus ses déficits structurels de moyen et long terme avec des financements de court terme. Cela l'expose à un double risque : un risque de rupture de liquidité de ses sources de financement ; un risque de brutale remontée des taux d'intérêt. Mais c'est déjà en venir à mon troisième constat.
Ce troisième constat est que la charge de la dette est aujourd'hui contenue grâce à des taux d'intérêt encore bas et une faible inflation. D'un montant de 38,5 milliards d'euros avant swaps en 2009, la charge des intérêts serait inférieure d'environ 4,5 milliards d'euros aux crédits votés en loi de finances initiale : sur ce plan, madame la secrétaire d'État, le Gouvernement a eu de la chance en 2009.
Toutefois, cette situation ne va malheureusement pas durer indéfiniment. Selon les prévisions même du Gouvernement, la charge de la dette augmentera en 2010 de 4 milliards d'euros pour atteindre 42,5 milliards. En 2011, elle progresserait de nouveau, de 4 à 6 milliards d'euros, selon les mêmes estimations. De telles augmentations sont d'autant plus inquiétantes que les taux d'intérêt demeurent modérés dans les prévisions gouvernementales, et qu'elles sont calculées avant même tout grand emprunt.
Les chiffres ont cependant une conséquence mécanique très lourde : si l'État doit consacrer beaucoup plus d'argent à payer les intérêts de sa dette, comment en trouvera-t-il encore pour financer les politiques publiques et les services publics ? Ne risque-t-il pas d'être privé très vite, peut-être dès demain, de l'essentiel de ses marges de manoeuvre budgétaires ?
Les chiffres sont implacables. Il y a un problème majeur de soutenabilité de la charge de la dette et ce problème sera d'autant plus fort, d'autant plus dur à vivre en cas de hausse des taux. À titre indicatif, il faut savoir qu'une hausse globale et pérenne des taux d'un point entraînerait, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des intérêts de la dette d'environ 2,5 milliards dès la première année, de 4,2 milliards l'année suivante, de 6,3 milliards la troisième année, jusqu'à environ 15 milliards à un horizon de dix ans. C'est ahurissant !
Si dans les deux années qui viennent, les taux d'intérêt remontent de 2 % – est-ce si peu probable, après leur brutal décrochage l'an dernier ? –, la charge de la dette pourra être augmentée de 13 à 14 milliards et approcher les 60 milliards, talonnant le budget de toute l'éducation nationale. La France de Nicolas Sarkozy consacrera alors plus d'argent à payer ses banquiers qu'à éduquer ses enfants dans ses écoles !
Il est un quatrième constat que je me dois malheureusement aussi de faire. Au-delà de la question de la charge de la dette, c'est plus généralement le problème de l'emballement de l'endettement public qui se pose aujourd'hui. C'est le problème de la dérivée première, cher aux mathématiciens : une augmentation, mais marquée en outre par une terrible accélération. Après 63,8 % du PIB en 2007 et 67,4 % en 2008, la dette publique devrait, selon les prévisions du Gouvernement, atteindre 77,1 % en 2009, puis 84 % en 2010. Le montant de 100 % du PIB n'est plus si éloigné. Quand l'atteindra-t-on ? Vers 2014 ? 2015 ? Certains l'imaginent même avant.
Or cet endettement incontrôlé pourrait bien être source de multiples effets d'éviction. Il limitera à l'évidence les marges de manoeuvre des pouvoirs publics en matière de dépenses publiques. Il risque bien de détourner l'épargne privée du financement de l'économie au détriment de l'investissement des entreprises. Il pourrait bien encourager une épargne de précaution chez les ménages qui anticiperaient de futures augmentations des prélèvements obligatoires. Enfin, qui peut exclure qu'il conduise à l'augmentation des taux d'intérêt à long terme, dissuadant durablement l'investissement du secteur privé et nous éloignant même, à terme, de notre chemin de croissance potentielle ?
Pour l'heure, les politiques monétaires sont expansionnistes et l'inflation est basse : tant mieux ! Mais lorsque s'engagera un relèvement des taux courts et que le trésor public ne pourra plus se financer à court terme, les besoins cumulés pousseront mécaniquement à la hausse les taux à long terme. Et cela renchérira d'autant la charge de la dette. Bis repetita.
Loin d'être un mouvement vertueux, l'évolution actuelle installe la France sur une spirale cumulative dont les conséquences financières, d'ores et déjà inéluctables, hypothéqueront lourdement et durablement les comptes publics et l'économie française.
En outre, est-on certain que la confiance de nos prêteurs ne viendra pas à nous manquer à un moment ou un autre ? Je n'entends pas jouer les Cassandre, mais doit-on pour autant s'interdire d'être attentif et réaliste ?
Car un cinquième et dernier constat doit être fait. Notre gestion de la dette n'est pas exempte d'une certaine fragilité, même si, je le concède volontiers, ce n'est pas une fragilité certaine, du moins pas encore. Un fait notable doit être pris en considération ou, à tout le moins, ne peut être négligé : les non-résidents détiennent maintenant près des deux tiers de la dette française : en 2008, 65,6 % exactement, près de 60 % de la dette à court terme, plus de 68 % de la dette à long terme et près de 90 % de la dette à moyen terme, les BTAN. Même s'il n'y a pas lieu de se plaindre, bien sûr, que l'épargne étrangère finance les besoins financiers nationaux, il est évident que cela crée une forme de dépendance, surtout lorsqu'on voit l'extrême rapidité avec laquelle la part de la dette financée par les non-résidents se développe : elle a augmenté de près de 25 points depuis 2002, partant de 41,9 % en 2002 pour atteindre, comme je l'ai dit, 65,6 % en 2008.
Alors, me direz-vous, cela prouve que la signature de la France est respectée et crédible. C'est vrai, c'est toujours le cas, je le reconnais. Mais pour combien de temps encore ? Il n'est que de voir la décision des agences de notation de dégrader, il y a peu, la note du Trésor britannique, compte tenu de la dérive de ses comptes, la dette britannique dépassant les 100 % du PIB. De fait, nous n'en sommes plus si loin. Or, une note moins favorable, ce sont des conditions de prêt plus onéreuses, des charges d'intérêt plus lourdes, et donc l'accentuation de l'auto-entretien cumulatif de la dette.
Ce spectre est d'autant inquiétant, mes chers collègues, que tous ces chiffres n'intègrent pas, et pour cause, le grand emprunt. Quelles en seront les conséquences financières ? Votre appréciation, vos informations sur ce point nous seraient précieuses, madame la secrétaire d'État.
Les calculs auxquels je me suis livré dans mon rapport ne sont pas rassurants. Un grand emprunt de 50 milliards d'euros augmenterait de 2,5 points de PIB la dette publique totale et porterait l'endettement public à près de 90 % du PIB dès 2011. L'augmentation totale de la dette sous cette législature, de près de 26 points de PIB, augmenterait encore de près de 2 milliards d'euros par an la charge de la dette.
Je n'ose même pas imaginer les conséquences qu'aurait un grand emprunt de 100 milliards, mais chacun comprendra qu'il suffit de doubler les chiffres que je viens de donner. En outre, cela accentuerait les problèmes d'effets d'éviction, d'assèchement, de taux d'intérêt, et pour tout dire de confiance des prêteurs, que j'ai déjà évoqués.
Alors, madame la secrétaire d'État, qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. Je n'ignore pas la crise et je n'en rends pas responsable le Gouvernement. Mais l'examen de cette mission « Engagements financiers de l'État » et de ses perspectives ne peut que m'amener à dénoncer le bateau ivre que notre dette et ses intérêts sont en train de devenir. C'est surtout l'absence de toute perspective crédible de remise sous contrôle de l'endettement public dans les prochaines années que je déplore. Face à l'inexorable insoutenabilité de la dette publique, il y a en effet un déni de conscience gouvernemental, à moins qu'il ne faille dire présidentiel, qui pose la question soit du cynisme, soit de la compétence du décideur.
Les sujets que j'ai évoqués sont graves et justifiaient, me semble-t-il, que je leur consacre la majeure partie de mon intervention. Je serai beaucoup plus bref au sujet des autres programmes de la mission, qu'il me faut cependant présenter.
Le programme « Appels en garantie de l'État » bénéficierait de 247,8 millions d'euros de crédits en 2010. Les principales dépenses concernent deux domaines : des garanties de prêts de l'Agence française de développement pour 134 millions d'euros ; des garanties d'aides à l'exportation de la Coface.
D'un montant de 86 millions, les crédits de l'action « Développement international de l'économie française » progressent sensiblement depuis 2008 mais cette augmentation est partiellement imputable aux réformes des procédures de garanties de la Coface. Et puisque nous avons la chance de bénéficier de votre présence, madame la secrétaire d'État au commerce extérieur, pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure les garanties Coface ont permis, ces derniers mois, de soutenir nos exportations dans une conjoncture bien difficile ?
Il se pose une autre question liée aux garanties. L'année dernière, le collectif budgétaire d'octobre 2008 avait accordé la garantie de l'État à la société de prise de participation de l'État, la SPPE, afin qu'elle puisse lever des fonds et aider à la recapitalisation du secteur bancaire. À la différence de la garantie donnée à la Société de financement de l'économie française, la SFEF, cette garantie à la SPPE n'est pas bornée dans le temps. Quel est donc le devenir du dispositif SPPE dans un contexte marqué par le remboursement anticipé des aides de l'État par plusieurs banques ? Il me semble qu'il s'agit d'une question de forte actualité.
Enfin, après avoir pris le soin de signaler que le programme « Majoration de rentes » n'appelle pas de remarque particulière, il me reste à dire quelques mots au sujet du programme « Épargne ». La situation de sous-budgétisation structurelle de ce programme est désormais bien connue. Principalement affectés au paiement des primes payées par l'État aux détenteurs de comptes d'épargne logement et de plans d'épargne logement par l'intermédiaire du Crédit foncier de France, les crédits de ce programme ne couvrent pas leurs charges depuis 2006.
Depuis désormais quatre ans, les crédits ouverts par les lois de finances initiales se sont systématiquement révélés insuffisants. Les ouvertures complémentaires en lois de finances rectificatives ou par décret d'avance n'ont jamais permis de couvrir la totalité des primes effectivement payées par le Crédit foncier au nom et pour le compte de l'État. En conséquence, le découvert de l'État auprès du Crédit foncier n'a cessé de croître : 495 millions d'euros fin 2006, 623 millions fin 2007 et 963 millions d'euros à la fin de l'année dernière.
Les crédits votés pour 2009 ne permettent pas de mettre fin à cette situation. Au mieux, ils réduiraient le découvert d'environ 100 millions, sur un total de près d'un milliard d'euros. Les crédits proposés pour 2010, soit 1 250 millions d'euros, se bornent à compenser l'augmentation attendue de la charge de l'État l'année prochaine et n'autoriseront pas de résorption du découvert de l'État auprès du Crédit foncier. En d'autres termes, le déficit budgétaire réel de l'État continuera à être sous-évalué l'année prochaine et le Crédit foncier demeurera un banquier occulte de l'État. Pourtant, ce n'est pas faute pour la Cour des comptes ou pour moi-même de l'avoir dénoncé. Mais le Gouvernement écoute-t-il ? Ou plutôt entend-il ?
Le programme « Épargne » se caractérise également par l'importance des dépenses fiscales qui y sont rattachées. Elles ont augmenté ces dernières années, passant de 4,9 milliards d'euros en 2007 à plus de 6 milliards en 2010. Mais l'évaluation tant de leur montant que de leurs effets reste largement défaillante.