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Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 3 novembre 2009 à 17h00
Commission élargie des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et des finances

Frédéric Mitterrand :

ministre de la culture et de la communication. Certes, mais je voudrais juste rappeler quelques questions de méthodologie.

Le musée ou la maison de l'histoire de France veut tenir compte à la fois de la perte de la chronologie par les jeunes générations – c'est donc le retour du célèbre manuel de Malet et Isaac – mais aussi du grand souffle de Michelet, ainsi que de l'École des Annales. C'est parce que l'histoire de France n'est pas seulement l'histoire de la monarchie que je suis assez réticent à installer ce musée dans l'un des anciens palais de celle-ci. J'ai peur que la force des lieux ne puisse chaque fois réduire le concept. L'histoire de France, c'est à la fois Clovis, Pasteur, les chemins de fer, l'évolution de l'école, la peur de la Grande Peste…

La nomination de M. Jean-François Hébert pour travailler à la préfiguration de l'institution est incontestable. C'est pour lui un enjeu majeur. Il est l'homme qu'il faut pour cette tâche : the right man in the right place. Plusieurs grands historiens, Pierre Nora, Marc Ferro, Max Gallo, vont travailler sur le concept.

Le site ne sera défini qu'après la réflexion de Jean-François Hébert sur la faisabilité et celle du groupe de travail sur le concept. Contrairement à ce qui est parfois estimé, le projet progresse de façon très satisfaisante. Simplement, nous conduisons une réflexion approfondie. Nous avons pour ce musée l'ambition qu'il passionne les générations futures et, pour réussir, nous devons nous entourer de toutes les réflexions nécessaires.

Des sites ont cependant déjà été présélectionnés ; nous pensons soit à une construction dans un lieu fort du XXIe siècle, par exemple dans le cadre du Grand Paris, soit, éventuellement, à un remodelage du château de Vincennes, site certes marqué par l'histoire de la monarchie, mais au fond assez neutre. Par ailleurs, l'existence d'un moyen de transport pour s'y rendre directement est incontournable.

J'attache une très grande importance au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, le MUCEM. Je me suis déjà rendu sur les lieux, et j'y retourne prochainement. De même que le musée des Arts premiers évoque les travaux de Claude Lévy-Strauss – pardonnez-moi cette évocation d'un triste moment d'actualité –, l'idée pour un musée implanté à Marseille est celle d'un musée « braudélien », racontant, à l'exemple de Fernand Braudel, l'histoire de la Méditerranée. Le MUCEM a pour atouts une conception architecturale superbe, oeuvre du grand architecte Rudy Ricciotti, une volonté politique consensuelle – Marseille est pourtant une ville complexe ; des difficultés avec les riverains sont désormais en cours de règlement ; une dernière décision du tribunal administratif est encore attendue – et une préfiguration, dont est chargé M. Bruno Suzzarelli, en phase avec le bâtiment. Il s'agit de mettre en place une maison de nouvelle génération, comportant à la fois une exposition permanente et des expositions temporaires. Le premier coup de pioche devrait être donné à la fin de l'année. Rien ne permet de penser que le MUCEM n'ouvrira pas à la date prévue.

Pourquoi ne pas rattacher le Musée de Tokyo au centre Georges Pompidou ? Cette option avait un sens dans le cas où la fonction des deux institutions aurait été identique. Mais tel ne sera pas le cas. Le Palais de Tokyo doit pouvoir donner à des créateurs en plein essor le tremplin qui leur manque. L'une des lacunes du marché de l'art en France est que les artistes qui, ayant atteint la quarantaine, se sont déjà fait reconnaître ou méritent d'être reconnus, ne disposent pas du lieu d'exposition qui leur serait nécessaire.

Le rattachement du Palais de Tokyo au Centre Georges Pompidou n'aurait pas permis la mutualisation : les emplois ne sont pas les mêmes. En revanche, il lui aurait fait courir le risque d'être dévoré par Beaubourg et d'en devenir une annexe. Le but recherché n'aurait donc pas été atteint. Le dossier progresse. La préfiguration a été confiée à Olivier Kaeppelin, l'ancien délégué aux arts plastiques.

Pour ce qui concerne la restauration du Panthéon, où le risque d'écroulement de la coupole évoque, en plus grave, le « syndrome du Grand Palais », le chiffre de 100 millions d'euros a été évoqué. J'ai demandé une évaluation pour vérifier ce chiffre. Pour l'heure, 8 millions d'euros de travaux de consolidation ont déjà été engagés. Le transfert au Panthéon des cendres d'une personnalité importante de la société française serait une bonne occasion de faire sentir l'importance de cet élément de notre patrimoine et de notre histoire républicaine. Plusieurs propositions sont actuellement à l'étude, dont je vous réserverai la primeur le moment venu.

La numérisation est l'un des enjeux essentiels du ministère de la culture et de la communication. Nous avons déjà engagé plusieurs opérations de numérisation du patrimoine de certains établissements, comme l'Institut national de l'audiovisuel ou la Bibliothèque nationale – avec le site Gallica. Comme l'a confirmé la directrice de la bibliothèque nationale allemande, qui est aussi l'animatrice de l'opération Europeana, la participation de la France à cette opération est essentielle. Tous les établissements publics sont appelés à numériser tôt ou tard leur patrimoine.

Trois questions se posent : celles de la technique, du financement et du guide – la dernière, qui est peut-être la plus importante des trois, englobant les deux autres. En effet, face à la liberté et à l'enrichissement fantastiques dont nous disposerons dans les années prochaines avec le plus grand musée du monde, la plus grande encyclopédie et la plus grande possibilité de savoir, le problème consistera à savoir comment visiter ce musée et qui en sera le guide. Ce guide répondra-t-il à nos questions et à nos désirs, ou décidera-t-il de ce qui est intéressant ? S'il est gratuit, n'aura-t-il pour autant rien à nous vendre, ou ne demandera-t-il pas de pourboire à la sortie ? Ne risque-t-il pas non plus d'être remplacé par un autre ? Ces questions sont fondamentales et sous-tendent celle du recours à la société Google.

Sans antiaméricanisme primaire – manger des « Mac Do » ou porter des jeans ne me semble pas devoir empêcher de lire Stendhal – et, en raisonnant comme un Américain « libéral », au sens que l'on donne à ce mot outre-Atlantique, je me demande si Google ne tombera pas un jour sous le coup de la législation antitrust. Pour l'heure, je constate que cette entreprise ne respecte pas le droit d'auteur lorsqu'elle numérise les fonds des grandes bibliothèques américaines et met à la disposition du public les ouvrages européens qui s'y trouvent sans payer de droits. Une cascade de procès ont déjà été engagés aux États-Unis et d'autres l'ont été en France. C'est là, je le répète, un enjeu essentiel.

Une réflexion française s'impose sur le sujet, qui touche à notre patrimoine. J'ai du reste été interpellé à ce propos dès mon arrivée au ministère par la direction du patrimoine, à laquelle son directeur, M. Michel Clément, avait donné beaucoup de rayonnement et de force. Je n'ai jamais pensé que les éléments de notre patrimoine écrit ou visuel puissent nous échapper au profit d'un système dans lequel aucune indexation ne nous permettrait de nous y retrouver et de réfléchir comme nous le faisons. Par ailleurs, face au dynamisme fantastique de Google, qui présente chaque jour une initiative nouvelle, une réponse européenne s'impose et est très attendue, notamment en Allemagne. Un comité de travail présidé par Marc Tessier et réunissant Emmanuel Hoog et trois autres personnalités nous permettra de disposer dès le 15 décembre d'une véritable « shocking list » des nombreuses questions qui se posent. On découvre ainsi que les clauses négociées par Google avec des bibliothèques telles que celles de Lyon, de Bavière ou d'Oxford sont secrètes et, même s'il s'agit d'un secret de Polichinelle car on finit toujours par les connaître, cette pratique de Google fait perdre beaucoup de temps et instaure une mauvaise ambiance.

En un mot, donc, la numérisation est un grand sujet, qui concerne nos enfants, notre cadre de vie et notre pratique culturelle, et qui représente des montants considérables, à propos desquels j'ai approché les responsables du « grand emprunt ». Ce sujet sera, je n'en doute pas, examiné avec beaucoup d'attention dans cette enceinte.

Monsieur Rogemont, le Conseil de la création artistique, animé par Marin Karmitz, rassemble des personnalités de très grande qualité, comme M. Laurent Bayle, patron de la Philharmonie. L'agitation qui entoure ce Conseil, pour légitime qu'elle soit, me semble un peu hors de proportion. En 2009, le Conseil de la création artistique a coûté au ministère de la culture moins de 5 millions d'euros. Les 5 millions d'euros qui n'ont pas été dépensés pour 2009 sont ajoutés au fonds des DRAC et, pour 2010, il n'est pas prévu que le ministère de la culture abonde le fonctionnement du Conseil. Un montant de 638 000 euros, prévu pour le fonctionnement du Conseil, devrait rester à la charge du ministère de la culture en 2010, mais je ne désespère pas de parvenir à le glisser dans le budget du Premier ministre ou à l'intégrer dans l'enveloppe de 10 millions, auxquels cas nous n'aurions pas à le payer.

Quant à la finalité du Conseil, je rappelle que cet organisme a jusqu'à présent proposé des initiatives très intéressantes, qui constituent une « boîte à outils » dans laquelle nous trouvons des idées et qui nous permet de fédérer diverses énergies. Pourquoi le ministre de la culture et de la communication se priverait-il de cet organisme qui ne devrait rien coûter au ministère l'an prochain ?

On verra bien comment évoluera le Conseil de la création artistique et s'il doit être pérenne. Étant donné qu'il réunit des acteurs culturels et que ses idées ont vocation à être mises en oeuvre en lien avec les institutions du ministère de la culture, je n'ai aucune raison de m'inquiéter, et je dois bien au contraire me féliciter de son existence, fidèle à ma tendance à voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Je trouve intéressant de pouvoir parler avec Marin Karmitz et les membres de ce Conseil, qui m'apportent des propositions.

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