Vous êtes un homme du livre, monsieur le ministre, de 1'écrit. Vous connaissez le sens des mots – Des mots pour le dire, pour reprendre un titre célèbre. Mais à voir votre budget, le livre et la lecture sont devenus les parents pauvres de l'action culturelle du gouvernement.
Ainsi la dotation générale de décentralisation stagne-t-elle malgré les besoins des communes en matière d'ouvertures de nouveaux équipements ou de restructurations. Pourtant, l'accès aux mots, aux livres ou aux supports numériques est primordial dans une société en perte de repères, un monde où la communication, faute de mots, recourt aux coups. Seul geste du ministère : un crédit de 200 000 euros pour expérimenter l'extension des horaires d'ouverture d'une dizaine de bibliothèques – et encore l'aide sera-t-elle dégressive sur trois ans. Une véritable politique de lecture publique l'aurait généralisée à l'ensemble des bibliothèques municipales.
Quel dommage de restreindre ainsi l'action du ministère ! Lire et écrire constituent pourtant l'essence de notre rapport au monde. Comme l'a dit Marguerite Duras, « Ecrire, c'est aussi ne pas parler, c'est se taire. C'est hurler sans bruit ». Comment transmettre cet héritage, ces modèles aux jeunes si les bibliothèques ne sont pas soutenues, et alors que l'on constate en outre un vieillissement du lectorat ? Comment aider les plus jeunes à se construire, à comprendre leur histoire personnelle et collective ?
Par ailleurs, l'augmentation de 10 % des moyens destinés aux services déconcentrés de l'Etat, les DRAC, bénéficie surtout aux crédits du patrimoine, et plus particulièrement du patrimoine géré par l'Etat. Or, pour une véritable démocratisation de la culture, les financements croisés de l'Etat et des collectivités doivent rester prioritaires. Le label « Ville d'art et d'histoire » par exemple, décerné aux communes pour leurs actions de conservation du patrimoine et de transmission des savoirs locaux et qui permet de valoriser le patrimoine architectural des régions, accessible à tous, aurait mérité un soutien bien plus affirmé. Si le budget correspondant n'est pas pérennisé, la démarche ne réussira pas.
Enfin, l'ensemble du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » est en stagnation, malgré vos annonces répétées sur l'accès à la culture pour tous. On observe des baisses de crédits dont certaines sont tout à fait justifiables, comme les 4,6 millions alloués à la Cité de l'histoire et de l'immigration pour des travaux désormais achevés, mais dont d'autres concernent des actions décisives.
Ainsi, quelque 4 millions sont retirés du budget des « pratiques amateur », que vous affirmez pourtant indispensables dans un souci de diversification des publics. Ont également disparu 1,5 million pour l'accès à la culture de publics spécifiques – personnes handicapées ou hospitalisées, jeunes sous main de justice –, alors que la transmission culturelle devrait aider chacun à se construire et à devenir autonome et responsable ; et la même somme pour les nouvelles pratiques des jeunes et les nouvelles technologies, alors que des crédits pérennes sont indispensables pour faire émerger ce que vous appelez « la culture de demain ».
Enfin, les politiques spécifiques en faveur du cinéma subissent elles aussi une réduction de 1,5 million. Dans ce secteur, les seules augmentations budgétaires proviennent de taxes diverses – y compris sur le prix des places. Et pourtant, l'acculturation cinématographique du plus grand nombre suppose là encore un effort constant de votre ministère. Comme l'a dit un grand cinéaste disparu, la transmission des savoirs n'est pas dans un seul rêve, mais dans de nombreux rêves d'accès à la culture pour tous.