Je tiens au préalable à remercier de son invitation la commission du développement durable devant laquelle je me présente pour la première fois. C'est toujours une fierté de s'exprimer devant le Parlement.
Il faut souligner à quel point le projet de loi constitue une innovation dans la conduite de tels projets – et je parle ici avec l'expérience d'un membre du corps préfectoral : de telles ambitions font rarement l'objet d'un débat parlementaire et c'est, je pense, un pas en avant dans le sens de la revalorisation institutionnelle de l'Assemblée nationale. Le projet de loi, cependant, ne saurait être trop précis à ce stade puisque ce sont bien des principes qu'il revient au législateur de poser. Je le répète, c'est une procédure tout à fait particulière, en rupture avec l'organisation classique des projets de transport public.
La décentralisation en matière de transports en Ile-de-France demeure perfectible. D'autres textes législatifs en ont d'ailleurs traité récemment. Le syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) joue un rôle fondamental : autorité organisatrice des transports franciliens, il choisira dès 2010 les opérateurs des nouvelles lignes conformément au règlement communautaire dit « OSP ».
La création d'un Grand Paris dépasse le seul cadre des transports. Je l'affirme au nom de la RATP, qui avec ses dix millions de passagers quotidiens et ses infrastructures, se place au troisième rang mondial. Le projet me semble indispensable pour la Nation entière, car on ne peut pas détacher Paris du reste de la France, et des études macro-économiques ont montré que les emplois créés bénéficieraient autant à l'Ile-de-France qu'à la province. La légitimité de l'État à agir ne souffre par conséquent d'aucune contestation.
Le défi consiste à restructurer le paysage urbain. A l'heure actuelle, Paris intra muros est privilégié en termes de transports en commun. Je ne crains pas d'affirmer que la capitale dispose du meilleur service au monde. En revanche, la situation des transports en banlieue ne répond ni aux exigences du développement durable ni à celles du XXIe siècle : elle n'offre qu'un taux d'accès aux transports en commun de l'ordre de 20%. Nous vivons une congestion consécutive à une absence historique de planification urbaine et à la présence d'ensembles de logements éloignés des bassins d'emploi.
Ainsi, deux villes cohabitent en Ile-de-France : d'un côté Paris, de l'autre son agglomération. La réponse apportée passe par les transports collectifs. Elle a du sens. Il serait bon pour une fois que le réseau de transports publics soit créé avant que les activités ne s'installent et non qu'il doive se greffer au sein de structures urbaines préexistantes.
Je pense que le projet devra accorder un soin particulier au stationnement intermodal, y compris en matière automobile. Il est impossible et irrationnel de souhaiter que les transports en commun couvrent la totalité du territoire sans considération de la démographie. Nous devrons nous attacher à prévenir les saturations.
A cet égard, il ne faut pas oublier les effets bénéfiques attendus du développement d'une nouvelle offre de transports en commun en rocade autour de Paris qui seraient principalement de soustraire de 150 à 160 000 véhicules automobiles en heure de pointe sur le réseau routier.
S'agissant des gares, point sur lequel Mme Annick Lepetit m'a interrogé, je dirais que leur intermodalité est une des clés du succès de toute l'opération, et qu'en ce domaine la RATP a pour avantage de savoir exploiter directement tous les modes de transport (métro, bus, tramway, RER). Quant à l'implantation des gares, il me semble que le Parlement est dans son rôle en définissant les grands principes qui doivent la régir. Ensuite, le débat public, qui à mes yeux constitue une phase déterminante du processus, devra éclairer le choix du tracé et de la localisation des nouvelles gares, en accord avec ces principes. A titre personnel, je suis favorable à ce que la Commission nationale du débat public (CNDP) soit pleinement associée à ce débat mais dans des délais encadrés. C'est une autorité administrative extrêmement professionnelle et qui doit remplir pleinement sa fonction d'instance de régulation.
Par ailleurs, l'un des avantages du pilotage du dispositif « Grand Paris » par l'État réside dans sa capacité à réduire les délais de réalisation, dans le respect du fonctionnement démocratique de notre société. En effet, si la première phase du processus est législative – c'est l'objet du débat d'aujourd'hui auquel tous les acteurs concernés devront participer -, la seconde phase sera de nature réglementaire puisque des décrets d'utilité publique (DUP) devront être pris par le Gouvernement. On aurait pu imaginer que le Parlement intervienne une seconde fois mais, dans l'esprit de la Vème République, il revient au pouvoir exécutif de fixer les modalités.
Je voudrais insister sur le fait que le projet du Grand Paris est compatible avec le plan de mobilisation des transports en Ile-de-France. J'en prendrais pour exemple le métro en rocade dit « Grand Huit » : il est tout à fait conforme à la façon dont les habitants de l'Ile-de-France se déplacent, puisque 70 % des trajets effectués en transport mécanisé s'effectuent de banlieue à banlieue. Il répond à l'une des faiblesses de notre réseau de transports, à savoir la prédominance des liaisons radiales en étoile, comme le RER A qui est la première ligne au monde pour le nombre de voyageurs transportés par jour (1 million), sur les liaisons en rocade.
En réponse à la question sur les délais de réalisation du réseau de transport public décrit dans le projet de loi, je dirais que la question du phasage est véritablement décisive et je prendrais comme exemple la ligne 14 du métro. Avant le dépôt du projet de loi, nous avions décidé, en accord avec le STIF, accord que son président vient de confirmer par écrit à la RATP, de lancer son prolongement vers la porte de Saint-Ouen et la mairie de Saint-Ouen, dans une zone dont le développement économique se révèle très dynamique. Or le Secrétariat d'État pour la région capitale a inclus dans son projet deux prolongements de la ligne 14 : l'un au Nord à destination de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, l'autre au Sud vers Orly. La première extension de ligne passe par Saint-Ouen. Les deux projets sont donc complémentaires et la démarche du Grand Paris bénéficiera de notre action en amont, tout en permettant de soulager à terme de 10 à 15 % le trafic sur la ligne 13, qui souffre d'une réelle saturation.
Concernant le schéma d'ensemble, il est primordial que les liaisons radiales soient connectées à la rocade, notamment dans les zones proches des dessertes de métro. La difficulté est que plus on s'éloigne de Paris intra muros, plus cette interconnexion sera difficile. A cet égard, il ne faut pas omettre d'intégrer, dans cette perspective, les différentes lignes de tramway exploitées par la RATP, car elles constituent des radiales tout à fait complémentaires. Ce schéma devra également intégrer le réseau maillé des bus, dont les lignes devront être nécessairement redéployées, en accord avec le STIF, pour offrir de nouvelles dessertes. La réflexion sur le schéma serait incomplète sans mentionner la prolongation d'Eole, qui aurait l'avantage de constituer une autre liaison ferroviaire est-ouest enterrée sous la capitale, éventuellement partagée avec des TGV, et d'ouvrir une porte vers la Normandie et le Havre, dont le Président de la République a affirmé le rôle de port maritime du Grand Paris.
La RATP et la SNCF ne sont pas en position de concurrence, et leurs relations se sont très sensiblement améliorées. Notre collaboration, qui a été évoquée tout à l'heure par M. Yves Albarello, est nécessaire sur le projet du Grand Paris car le nouveau réseau devra être interconnecté avec le réseau à grande vitesse, relié à l'ensemble du territoire national, et au delà avec le reste de l'Europe ferroviaire. En conséquence, de nouvelles gares TGV seront créées, notamment sur le site de Pleyel car ce territoire constitue un enjeu de transport exceptionnel.
En matière de technologies, le métro sur pneu entièrement automatisé, modulable et souple, s'impose comme le meilleur moyen en terme de rapport qualité - prix. L'expérience de la ligne 14 est tout à fait probante : le métro sur pneu est d'une très grande souplesse ; il permet, notamment aux heures de pointe, d'introduire sur le réseau des rames ou de les retirer, quasiment à la demande, ce qui permet d'envisager le passage à un service en continu 24 heures sur 24, qui fera peut-être l'objet d'une demande adressée à l'avenir à la RATP. Si le pneu a été choisi sur cette ligne, c'est en raison de la limitation induite des vibrations issues des bruits solidiens dans un environnement de bâti ancien prédominant. Son principal défaut, notamment par rapport au fer, est une consommation légèrement supérieure en énergie. Mon sentiment personnel est que, au moins sur cette ligne, il n'apparaît pas réaliste de changer de technologie, le matériel roulant ayant une durée de vie supérieure à quarante ans.
En conclusion, je dirais que la RATP maîtrise aussi bien le fer que le pneu, et surtout, ce qui constitue une de ses particularités, qu'elle dispose d'un savoir-faire dans le domaine du « contrôle-commande », c'est-à-dire les logiciels de gestion et de sécurisation du trafic. Elle a été pionnière - en rencontrant parfois, je le reconnais, quelques difficultés - depuis des années dans les tests de ces logiciels sécuritaires dans l'exploitation des réseaux ferrés urbains.