Je comprends bien, sauf que les enfants repèrent plus facilement un défenseur des droits des enfants clairement identifié, dont, en outre, l'action spécifique porte plus sur la médiation que sur l'injonction.
La seconde partie du rapport permet de mettre en lumière la grave situation des jeunes en grande exclusion, dont peu de rapports se font l'écho – ceux que nombre d'associations appellent en conséquence les jeunes « invisibles ».
Je commencerai par citer trois éléments préoccupants : le taux de chômage pour les moins de vingt-cinq ans est passé en un an de 18,7 à 23,9 %, taux à comparer à celui de 9,1 % pour l'ensemble de la population ; un million de jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans, soit plus de 20 % d'entre eux, sont considérés comme pauvres ; en quarante ans, enfin, le taux de pauvreté des personnes âgées a été divisé par deux, mais celui des jeunes a doublé.
En période de crise, ces derniers jouent souvent le rôle de variable d'ajustement en termes d'emploi : 25 % des moins de 30 ans en emploi ont des emplois précaires – CDD et postes d'intérim – et le risque d'un basculement très rapide, soit dans une forme d'exclusion, soit dans la pauvreté doit être souligné.
Face à cette situation, les conclusions de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, mise en place par M. Martin Hirsch à la demande du Président de la République, et dont je salue les travaux, ne semblent pas véritablement destinées à ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi. En effet, le plan qui en a découlé repose sur la mise en oeuvre de dispositifs déjà existants, l'idée étant d'aller vite. Or, quel bilan peut-on tirer des différentes expériences passées ?
S'agissant du plan de cohésion sociale lancé en 2004 par M. Jean-Louis Borloo, l'objectif de 500 000 apprentis est loin d'avoir été atteint. Concernant les contrats de professionnalisation, on en comptait 195 000 fin 2008 alors que les contrats de qualification, d'orientation et d'adaptation, qu'ils ont pourtant remplacés, étaient 224 000 en 2001. Quant au plan de M. de Villepin en 2005, le dispositif Défense deuxième chance devait prendre en compte 20 000 jeunes par an : en 2008, à peine 3 000 ont bénéficié de cette mesure.
La situation est encore plus préoccupante concernant le premier impact des mesures mises en oeuvre au printemps 2009, fondées sur l'activation de dispositifs classiques : on compte, en août 2009, 15,5 % de jeunes en moins qui bénéficient d'une de ces mesures qu'un an plus tôt. Ces dernières sont, c'est le moins que l'on puisse dire, boudées par les jeunes, et il convient donc de s'interroger sur la qualité et la durée des contrats proposés.
Bien entendu, la situation des jeunes est extrêmement diverse. Si personne ne sous-estime les difficultés rencontrées par les étudiants, ces derniers ont cependant une capacité relativement forte à pouvoir exprimer leurs problèmes. Il en va de même des jeunes dans l'entreprise, par l'intermédiaire des structures syndicales. En revanche, tous ceux qui se trouvent dans la frange invisible et qui sont surreprésentés dans les chiffres de la pauvreté, mais sous-représentés dans les différentes enquêtes, doivent être aidés prioritairement.
Tout le monde s'accorde à dire que le phénomène d'exclusion est multifactoriel, et que l'on ne peut donc qualifier celle-ci à partir d'un seul indicateur. La plupart des acteurs de terrain, que nous avons auditionné, ont cependant insisté sur la rencontre, à l'origine de l'exclusion, de situations de précarité matérielle et de précarité relationnelle.
Concernant la pauvreté matérielle, près de 2,4 millions de mineurs, soit près de 18 % d'entre eux, vivent dans des foyers où le revenu par unité de consommation est inférieur à 60 % du revenu médian. Aujourd'hui, si vous naissez dans une famille en précarité, le risque d'être demain dans la même situation s'est accru, c'est-à-dire que l'ascenseur social ne semble plus fonctionner pour nombre de nos concitoyens.
Pour ce qui est de la pauvreté relationnelle, une enquête lancée par une association auprès de jeunes venant vers elle a montré que la plupart de ces derniers ne pouvaient identifier plus de cinq « personnes ressource » autour d'eux. En outre, les chiffres indiquent que les jeunes les plus marginalisés ont très souvent été l'objet de mesures judiciaires ou administratives de protection auprès, soit de l'aide sociale à l'enfance, soit de la protection judiciaire de la jeunesse.
L'échec scolaire, qui est corrélé à la pauvreté et aux difficultés familiales, constitue un autre facteur d'exclusion ultérieure.
Enfin, les jeunes en situation de grande exclusion, qui combinent généralement pauvreté, situation familiale difficile et échec scolaire, restent mal connus. La question du repérage est donc importante, même s'il convient de faire attention à l'effet de mode que constitue la lutte contre le décrochage scolaire. Il existe déjà dans l'Éducation nationale un dispositif de suivi et de relance des élèves. Avant d'imaginer de nouveaux dispositifs, sans doute faut-il que l'Éducation nationale se penche, pour la part qui est la sienne, sur le problème, sachant que le repérage n'est pas aisé à mettre en oeuvre : le décrochage scolaire est un phénomène progressif, qui ne se manifeste pas forcément dans un premier temps par de l'absentéisme.
Aujourd'hui, le discours ambiant porte sur l'équilibre des droits et des devoirs qu'il faut inscrire dans un contrat. Or, les jeunes en question sont à ce point déstructurés, qu'ils ne sont pas en capacité d'entrer dans une démarche contractuelle. Toutes les associations sans exclusive prônent la démarche d'aller d'abord vers les jeunes, avant de les amener dans des dispositifs contractuels. Les jeunes dont je parle ne sont ni idiots ni ignorants. Simplement, ils ne disposent pas des repères nécessaires pour saisir la main qui leur est tendue.
Au cours des auditions, le message a été fréquemment donné de la nécessité de politiques s'inscrivant dans le temps, sans annonces permanentes de nouvelles mesures. Les accompagnateurs n'arrivent plus eux-mêmes à se repérer dans la jungle des dispositifs et peuvent donc encore moins être à la disposition de ceux qui en ont le plus besoin.
Il convient aussi de s'interroger sur la durée des dispositifs, par exemple du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS), d'un an renouvelable. Personne n'imagine que l'on peut en un an réinsérer des jeunes qui, au contraire, ont besoin d'une perspective beaucoup plus longue.
Par ailleurs, plutôt que de recourir sans arrêt à de nouveaux opérateurs, il conviendrait de renforcer les acteurs existants, notamment l'Éducation nationale et sa mission générale d'insertion (MGI), dont l'objectif est de prévenir les sorties du système scolaire sans diplôme. De même, les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) pourraient sans doute intégrer davantage le « aller vers ».
Enfin, les écoles de la deuxième chance, qui ont pour objet de proposer, pour neuf mois à un an, une formation à des jeunes sans qualification professionnelle, devraient voir leurs moyens d'accueil renforcés.
La précarité et, en fin de compte, la vie de SDF semble aujourd'hui pour certains jeunes un destin quasi inéluctable. Cette situation, que soulignent les différentes associations, justifie que nous nous mobilisions, afin de donner de la clarté et de la durée aux politiques publiques, en nous appuyant sur celles et ceux qui ont propension à les accompagner. De ce point de vue, le RSA jeunes ne paraît pas, lui non plus, correspondre aux jeunes dont j'ai parlé. Ils sont aujourd'hui « invisibles ». Faisons en sorte qu'ils deviennent visibles et qu'ils aient des perspectives.