L'année 2008 s'est achevée sur un déficit de l'État de 56,3 milliards d'euros, en augmentation de près de 47 % par rapport à 2007. Comme le faisait remarquer le premier président Séguin en commission, cette somme, qui équivaut à un quart des recettes annuelles de l'État, n'est due que pour une très faible part à la crise mondiale.
C'est ce point qui nous inquiète car cela montre que la dégradation du résultat est bien structurelle. En fait, elle est due à deux tendances lourdes : une diminution des recettes, qui n'est imputable que très partiellement à la crise, et un défaut de maîtrise des dépenses qui – pour citer la Cour des comptes – « ne doit rien aux mesures du plan de relance ».
Il n'y a donc pas de déficit conjoncturel lié à la crise et encore moins de bon déficit. Bien au contraire, la baisse des recettes fiscales est due, selon la Cour, en bonne partie à la loi TEPA dont les seules dispositions fiscales ont coûté 3,2 milliards d'euros et les dispositions d'exonérations de charge 4,3 milliards d'euros. À ce boulet fiscal, que nous dénonçons depuis le début de la mandature, est venue s'ajouter la crise qui ne serait, selon les estimations de la Cour, responsable que de moins de 4 milliards d'euros dans la diminution des recettes. Or le Gouvernement va ajouter à ce boulet fiscal deux autres mesures lourdes qui vont encore faire diminuer ces recettes : la baisse de la TVA dans la restauration et la réforme de la taxe professionnelle soit, selon notre rapporteur général, 10 milliards d'euros d'abandon de recettes pour l'État.
Dans le même temps, les dépenses n'ont pas été contrôlées : elles ont augmenté de 2,8 milliards en valeur par rapport aux prévisions en raison, principalement, d'une inflation plus importante que prévue. Enfin, la Cour souligne à juste titre que la norme d'évolution des dépenses ne concerne pas la dépense fiscale qui, elle, a augmenté de 7 %. Le plafonnement de la dépense fiscale a animé le débat en commission et j'aurai l'occasion d'y revenir.
Là encore, la Cour des comptes souligne que la crise et la réponse qui y a été apportée par le plan de relance ne sont en rien responsables de cette augmentation des dépenses puisque cela ne pèsera que sur l'exercice 2009.
Enfin, deux critiques récurrentes sont mises en exergue par la Cour des comptes : d'une part, le résultat affiché dans la loi de règlement ne prend pas en compte certaines dépenses et dettes pourtant exigibles, dont une dette de 3,6 milliards d'euros à l'égard de la sécurité sociale ; d'autre part, certains « errements » – suivant le mot de la Cour – frisent l'insincérité budgétaire : c'est le cas notamment de la sous-budgétisation tout à fait consciente des dotations en loi de finances initiale, qui obligent à des ouvertures conséquentes en loi de finances rectificative.
Le cas de l'exécution budgétaire en 2008 de la mission « Outre-mer » sur laquelle je me suis penché, me semble offrir une très bonne illustration de ces observations : dette cachée et sous-dotation chronique.
Tout d'abord, le principal défaut de la mission « Outre-mer », persistant depuis plusieurs exercices, est celui des impayés, pour un montant global identifié de 536 millions d'euros au 31 décembre 2008, c'est-à-dire plus du quart de l'ensemble des crédits ouverts pour la mission. Il s'agit pour l'essentiel de dettes exigibles à l'égard des organismes sociaux, au titre du remboursement des exonérations de charges sociales outre-mer.
Ces impayés sont essentiellement dus à des sous-dotations dans les lois de finances initiales successives et ils mettent en lumière, pour citer la Cour, de « graves anomalies au regard des règles budgétaires en vigueur » : obligations de l'État vis-à-vis de tiers non couvertes à due concurrence par la consommation d'autorisations d'engagement ; insuffisance de crédits de paiement au regard des autorisations d'engagement consommées ; report de charges d'un exercice sur le suivant ; annulation, en cours d'exercice, de crédits qui n'étaient pas devenus sans objet, ce qui a encore aggravé les impayés.
Pour l'essentiel, cette situation résulte de ce que les crédits demandés par le ministère de l'outre-mer pour mettre l'État en situation de s'acquitter de ses obligations n'ont pas été ouverts à un niveau suffisant lors de la préparation du budget. Ainsi, suivant le jugement sévère de la Cour, « la sincérité de la prévision budgétaire est singulièrement brouillée par des pratiques récurrentes de sous-budgétisations massives [...] organisées en toute connaissance de cause ».
Au sein de la mission « Outre-mer », quatre dotations sont régulièrement insuffisantes.
Les sous-dotations au titre de l'exonération des charges sociales sont les plus manifestes. L'État compense « à guichet ouvert » – et d'ailleurs strictement sans aucun contrôle sur l'exactitude des sommes facturées par les organismes sociaux – mais à ces dépenses à caractère obligatoire ne sont pas affectés des crédits suffisants. Ainsi, à la fin de l'année 2008, l'État restait redevable de 486 millions d'euros aux organismes sociaux, dont 451 millions au titre des exercices postérieurs à 2004. Face à cette situation, la dotation correspondante en loi de finances pour 2009 a été sérieusement réévaluée – 155 millions d'euros supplémentaires – mais, surtout, c'est l'ensemble du système d'exonérations de charges outre-mer qui a été revu, en loi de finances puis dans la loi pour le développement économique des outre-mer, pour une économie en année pleine de 138 millions d'euros. Curieuse gestion qui consiste, pour pouvoir apurer les dettes, à rogner sur un outil somme toute efficace outre-mer.
Au titre du logement social outre-mer, les dettes s'accumulent aussi en raison d'une insuffisance de crédits de paiement ouverts annuellement au regard des autorisations d'engagement consommées.
Dans le cadre de la politique contractuelle avec les collectivités locales, la dette de l'État envers celles-ci, dont vous connaissez pourtant la grande fragilité financière, est de 63 millions d'euros, dont 35 millions sont exigibles, c'est-à-dire qu'ils correspondent à des travaux réalisés dont les services déconcentrés peuvent attester le service rendu. Là encore, la Cour constate l'insuffisance des crédits de paiement délégués aux préfectures et hauts-commissariats.
Enfin, au titre de la dotation globale de développement économique pour la Polynésie française – la « dette nucléaire » – la sous-dotation en autorisations d'engagement est de 15,77 millions, et de 5,3 millions en crédits de paiement. J'ajoute que, depuis la chute de Gaston Flosse, cette dotation n'est plus considérée comme une dotation non conditionnée, ce dont on peut se féliciter, même si l'on peut s'interroger sur la coïncidence entre ce changement de doctrine fiscale et ce changement politique à la tête du territoire.
J'ajoute que la régulation budgétaire a constitué un facteur aggravant puisque les annulations ont été non seulement peu opportunes, pour reprendre les termes de la Cour, mais également irrégulières puisque portant non sur des crédits sans objet mais, au contraire, sur des crédits destinés à payer des dépenses obligatoires, ce qui n'a fait qu'aggraver la difficulté budgétaire due au défaut de sincérité des dotations initiales. Ainsi, près de 20 % des impayés au titre du programme 123 – conditions de vie outre-mer, dont les CPER – sont dus à des annulations.
En outre, je constate que la régulation se fait carrément brutale dans ce projet de loi de règlement puisque ce sont 118 millions d'euros d'engagements qui sont annulés sur le programme 123 par l'article 4. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner quelques explications ? J'ai eu droit à une réponse de la part de quatre collègues de la commission des finances, mais elle n'était pas très convaincante : s'agit-il, comme je le crains, d'un ajustement entre les AE et les CP sur le programme 138, pour réduire ce que l'ancien ministre de l'outre-mer, M. Jego, nommait « dette virtuelle » ? Il avait inventé une véritable catégorie budgétaire ?
Enfin, je ne peux pas évoquer la mission outre-mer sans rappeler le paradoxe de ce que j'appelle « la politique de la dette » du ministère de l'outre-mer.
Je le répète, les dettes non payées correspondent à un quart des crédits de cette mission tandis que les deux tiers des crédits de cette mission sont intégralement consacrés à la compensation aux organismes sociaux et ne sont pas des crédits d'intervention. De plus, le montant des dépenses fiscales, près de 3 milliards d'euros, dépasse les dépenses budgétaires de la mission elle-même – un peu moins de 2 milliards d'euros – ce qui nous amène au débat sur la transformation en dépenses fiscales de ce qui pourrait ou devrait, à notre sens, être une dépense budgétaire et à son implication en ce qui concerne l'effort de maîtrise des dépenses.
L'exemple de la défiscalisation des investissements productifs permet d'illustrer mon propos. Ce dont a besoin l'outre-mer, c'est d'investissements. Nous préférerions naturellement qu'il soit public et qu'il résulte donc d'une dépense budgétaire. L'État étant impécunieux, les banques frileuses et les collectivités locales étranglées, il ne nous reste que l'argent des riches, donc la défiscalisation. Il n'est ainsi pas anodin que la Cour l'analyse comme une « subvention publique à l'investissement ». Or, et nous retrouvons là la discussion sur le plafonnement des dépenses fiscales, « l'intégration de ces dépenses dans une norme globale de progression des dépenses de l'État est juridiquement difficile compte tenu de l'automaticité de la dépense fiscale dès lors que les conditions d'octroi sont réunies : fixer une norme indépassable à leur progression au cours d'un exercice soulèverait de sérieuses difficultés au regard de la stabilité de la loi fiscale et de l'égalité des contribuables devant l'impôt ».
Pourtant, nous savons qu'une enveloppe est fixée en loi de finances initiale, à savoir 800 millions d'euros pour 2009, en ce qui concerne la défiscalisation des investissements productifs. C'est donc dans une certaine opacité que des critères d'octroi des agréments sont appliqués par Bercy. Le raisonnement est en pratique très simple : soit une opération pour laquelle un agrément est demandé apparaît économiquement viable, et Bercy aura quelque réticence à la « subventionner » ; soit l'opération apparaît risquée économiquement, et Bercy, là encore, aura du mal à aider à sa réalisation. C'est la quadrature du cercle.
Il y a donc dans ce domaine, vital pour les outre-mer puisque le problème du financement des investissements y est essentiel, une véritable difficulté. Là encore, comme pour le système d'exonération de charges, la solution qui consiste à rogner l'outil, comme nous l'avons fait lors de la dernière loi de finances eu égard à cette difficulté, ne nous semble pas pertinente au regard de l'objectif que nous devrions partager, à savoir le développement des outre-mer.