Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, la loi de règlement nous doit une vérité : la vérité budgétaire de l'année écoulée. Cette vérité, rien ni personne ne devrait pouvoir la rendre plus aboutie que dans le projet de loi de règlement qui nous est présenté. Cette vérité a ses raisons : la loi de règlement est une façon, pour le Gouvernement, de rendre des comptes à nous, parlementaires, qui avons entendu les objectifs de politique générale du Gouvernement lors de la loi de finances initiale et qui, en conséquence, l'avons majoritairement autorisé et à percevoir des deniers publics, et à les dépenser pour mettre en oeuvre les politiques publiques préalablement énoncées.
C'est donc un exercice de transparence et de vérité. Mais il ne rencontre pas le même écho que la loi de finances initiale. C'est bien regrettable car nous savons tous que la loi de règlement recèle une vérité nettement plus incontestable que celle que l'on recherche, parfois en vain, dans les lois de finances initiales, voire dans les lois de finances rectificatives. Il va de soi que, comme pour toutes les lois de finances, certains principes constitutionnels doivent être respectés dans le cadre de la perception et de la dépense des deniers publics. Il ne s'agit pas de s'attacher à quelque formalisme, car le respect de ces principes n'a qu'un but : affirmer et assurer la transparence du Gouvernement en matière de perception et d'utilisation des deniers publics, à l'égard de la représentation nationale dans cette enceinte et des représentants des collectivités locales dans la Haute assemblée.
Or, monsieur le ministre, parmi ces principes, pourtant réaffirmés avec force, il y a quelques années, dans la loi organique relative aux lois de finances et dans la révision constitutionnelle l'année dernière encore, un certain nombre n'ont pas été respectés comme ils auraient dû l'être lors de l'exécution budgétaire en 2008. Ne serait-ce qu'à cause de cet irrespect – qui, dans trop de cas, n'est évidemment pas le fruit du hasard –, je crois inévitable la saisine du Conseil constitutionnel afin que celui-ci énonce sa doctrine, notamment au regard du nouvel article 47-2 de la Constitution. Cet article prévoit que les administrations publiques se doivent de donner « une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».
L'aspect constitutionnel de l'exécution du budget 2008 sera donc le premier élément que je vais aborder dans cette motion de rejet préalable. Je le répète : puisque certains principes constitutionnels ont été réaffirmés lors de l'adoption de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, puis à nouveau lors de la révision constitutionnelle, on est en droit de se demander s'ils ont vraiment été respectés lors de l'exécution budgétaire en 2008. Et poser la question, c'est déjà y répondre, non pas de manière exhaustive, en indiquant tous les exemples qui prouvent que ces principes constitutionnels n'ont trop souvent pas été respectés, mais en citant quelques exemples révélateurs figurant dans ce projet de loi de règlement.
Le premier exemple, c'est celui de l'épargne logement. En 2005, le Parlement a modifié le régime fiscal et social de l'épargne logement. À cet égard, on peut trouver scandaleux sur le plan des principes, mais admissible sur un plan plus pragmatique, qu'en 2006, le Gouvernement et le Parlement aient nettement sous-budgété la ligne relative à l'épargne logement. En cette première année d'application du nouveau régime, la sous-évaluation fut de 500 millions d'euros ; on peut imaginer qu'une période de rodage était nécessaire. Le problème est que l'erreur s'est renouvelée en 2007 pour un montant nettement plus important – 830 millions d'euros –, ce qui était déjà beaucoup moins admissible. La chose est franchement inacceptable en 2008, puisque la sous-budgétisation atteint 950 millions d'euros.
À cette occasion, on constate que certains principes ne sont pas respectés, en premier lieu celui de sincérité budgétaire. Cette dépense largement prévisible n'a pas été inscrite au compte de l'État. Ce dernier a demandé lui-même au Crédit foncier de France de faire l'avance de la somme, contrevenant ainsi clairement à l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances qui impose la sincérité budgétaire lors de l'examen des comptes de l'État.
Cette façon de faire contrevient également à l'article 6 de la même loi organique prévoyant que toutes les dépenses de l'État dans l'année à venir doivent être retracées. Nous constatons qu'il n'en a rien été pendant trois années de suite. Encore une fois, c'était peut-être admissible la première, voire la deuxième année, compte tenu de la nouveauté de l'exercice qui s'imposait ; c'est inacceptable la troisième année.
Le principe de l'annualité budgétaire est également violé. Même si l'on peut estimer qu'il ne s'agit pas d'une règle absolue, le Gouvernement devrait s'attacher à la respecter car il y va de la transparence de sa gestion à l'égard notamment de la représentation nationale. Or, le principe de l'annualité budgétaire n'a pas été respecté : comme prévu et comme nous vous l'avions indiqué, monsieur le ministre, la totalité de la ligne budgétaire était consommée dès le mois de janvier, puisqu'elle a été utilisée pour apurer celle de l'année précédente ; le Crédit foncier de France a assumé non pas l'essentiel, mais la totalité de l'exercice budgétaire pour l'année 2008.
Trois principes budgétaires violés en une seule action, cela fait beaucoup. En la matière, le point de vue du Conseil constitutionnel devrait être intéressant. En tout cas, on peut espérer que cette méthode cesse, au moins pour l'année 2010.
Deuxième exemple : le remboursement de la dette de l'État à l'égard de la sécurité sociale, que le rapporteur général a mentionné, et auquel vous-même, monsieur le ministre, avez fait référence tant en commission des finances qu'en séance. Tout le monde vous en donne acte : en 2007, l'État a remboursé 5,1 milliards d'euros de dettes à la sécurité sociale. Tout à fait nécessaire, ce remboursement n'a pourtant pas éteint le passif. Fin 2007, le passif de l'État à l'égard de la sécurité sociale était encore de 6 milliards d'euros ; il a atteint 7,4 milliards d'euros à la fin de l'année 2008, c'est-à-dire qu'il s'est aggravé de 1,4 milliard d'euros.
La sécurité sociale était en droit d'exiger 3,6 milliards d'euros de l'État, à la fin de l'année 2008. Ce montant fait l'objet d'un report de charges sur 2009 qui, pour être classique n'en est pas pour autant admissible. Vous semblez douter de la réalité de ces chiffres, mais je me permets d'indiquer qu'ils sont tirés du rapport de la Cour des comptes, dont on peut critiquer certaines méthodes à l'occasion, mais dont on ne peut pas contester le raisonnement sur les dettes exigibles par les organismes sociaux à l'égard de l'État. La Cour des comptes dénonce un report de charges de 3,6 milliards d'euros ; elle estime qu'il devra être réglé sur l'exercice 2009 alors qu'il aurait dû l'être en 2008.
On relève également des « sous-dotations » chroniques. Sous le contrôle de notre collègue Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial pour la défense, je rappelle qu'à la fin de l'année 2008, 1,95 milliard d'euros était exigible. Ce montant n'a pas été payé comme il se devait ; il s'agit donc « d'impayés », selon l'expression de la Cour des comptes.
On peut rajouter des sommes qui peuvent paraître dérisoires au regard de celles que je viens d'annoncer : 130 millions d'euros pour le logement, 322 millions d'euros pour l'agriculture. Année après année, on constate d'ailleurs que le budget du Fonds national de garantie des calamités agricoles est systématiquement sous-évalué, comme si, à chaque fois, le Gouvernement pensait que les agriculteurs ne seraient touchés par aucune calamité cette année-là. Ce pari est systématiquement perdu. Systématiquement, en loi de finances rectificative ou en report de charges, il faut doter le Fonds national de garantie des calamités agricoles. Peut-être dans un exercice de sincérité, de transparence, de lucidité, pourrait-on en finir avec cette « sous-budgétisation » chronique.
La Cour des comptes a relevé d'autres travers dans l'exécution budgétaire, notamment une erreur d'imputation pour les frais d'assiette et de recouvrement que l'État prélève – 4,1 milliards d'euros tout de même ! – qui fut déjà sanctionnée par le Conseil constitutionnel en 1996. Vous estimez, comme certains, qu'il s'agit d'une redevance pour services rendus, alors qu'il s'agit d'un impôt, ni plus ni moins. Les deux critères permettant de définir une redevance pour services rendus ne s'appliquent pas.
D'abord, le coût de 4,1 milliards d'euros pour frais d'assiette et de recouvrement est sans commune mesure avec la réalité du service rendu, sauf à imaginer, monsieur le ministre – vous qui avez désormais la tutelle sur les fonctions publiques, si j'en crois la presse –, que ce coût est à la fois efficace et efficient pour établir les frais d'assiette et de recouvrement. Ensuite, ce ne sont pas les collectivités qui acquittent ces 4,1 milliards d'euros, mais bien le contribuable. Il s'agit donc bien d'un impôt, et il est regrettable que cette erreur d'imputation se répète année après année.
Enfin, je citerai un quatrième travers – si vous me permettez cette typologie – dénoncé par la Cour des comptes : la contraction de dépenses et de recettes contrevenant au principe d'unité budgétaire. Je pense d'abord à la taxe sur les véhicules de société sur laquelle je reviendrai. Je pense ensuite à l'Agence française de développement dont les dividendes n'ont pas été versés à l'État comme prévu, mais ont servi directement à assurer certaines dépenses – on ignore d'ailleurs lesquelles. Un de nos collègues avec lequel je discutais tout à l'heure s'étonnait de voir ladite Agence française de développement postuler pour le rachat de sociétés immobilières, notamment dans les départements et territoires d'outre-mer.
Ces deux erreurs n'entraînent ni mort d'homme ni péril pour le pays, mais elles violent des principes budgétaires constitutionnels et contreviennent à l'exigence de sincérité et de transparence à laquelle l'exercice budgétaire doit pourtant souscrire.
Au total, les reports de charges représentent 6 à 7 milliards d'euros pour 2009 et, en toute logique, ils doivent majorer le déficit budgétaire officiel établi à 56,4 milliards d'euros. En fait, le déficit se situe entre 62 et 64 milliards d'euros en 2008, un montant nettement supérieur à celui de 2007.
Monsieur le ministre, une question se pose donc : cette aggravation considérable – non pas par rapport à la loi de finances initiale de 2008 mais par rapport au solde budgétaire de 2007 – est-elle, comme vous semblez vouloir l'affirmer, due à la crise, ou à une mauvaise gestion, ou à des politiques erronées, voire aux trois à la fois ?
Effectivement, un déficit budgétaire de 62 ou 63 milliards d'euros, alors que les effets les plus graves de la crise ne se sont pas encore fait sentir dans notre pays a de quoi inquiéter. De ce point de vue, les propos du président de la commission des finances comme ceux du rapporteur général ont été assez éclairants ; ils ont recueilli l'assentiment de tous les présents, peu nombreux mais de qualité.
Quand on se demande si la crise est à l'origine de l'aggravation considérable du déficit budgétaire, il faut regarder ce qui se passe ailleurs, et essayer de comprendre les raisons de cette dérive des comptes qui n'existe pas en Allemagne, par exemple, un pays auquel nous avons l'habitude de nous comparer.
Le président de la commission des finances l'a très bien dit : l'Allemagne est pratiquement à l'équilibre budgétaire en cette fin d'année 2008, à 0,1 point de PIB près. La France enregistre 3,4% de PIB de déficit, et encore s'agit-il d'un déficit structurel, pas ou très peu lié à la crise. Cela suffit à montrer que les commentaires flatteurs de certains membres du Gouvernement comparant la situation de notre pays à celle de l'Allemagne n'avaient pas lieu d'être, même si les déclarations enflammées peuvent emporter la conviction sur certains bancs.
La crise est-elle à l'origine de ce déficit budgétaire supérieur à 60 milliards d'euros ? Regardons les recettes et les dépenses en 2008.
S'agissant des recettes, le rapporteur général et vous-mêmes estimez que les recettes fiscales ont baissé d'un peu moins de 12 milliards d'euros par rapport aux estimations. En réalité la situation est plus inquiétante. En loi de finances initiale, 283 milliards d'euros de recettes globales étaient prévus ; en exécution, elles s'élèvent à 260 milliards d'euros ; nous constatons donc un écart de 23 milliards d'euros qu'il s'agit de comprendre et que la Cour des comptes a tenté d'analyser.
Cet écart de 23 milliards d'euros peut s'expliquer de manière relativement simple. Il y a d'abord 5 milliards d'euros de surestimation manifeste de certaines situations, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu ou de la prime pour l'emploi. Nous pourrons y revenir dans le détail, mais les annexes de la Cour des comptes fournissent des explications éclairantes en la matière.
Ensuite, sur les 12 milliards de perte de recettes fiscales, 7,8 milliards s'expliquent par des mesures proposées par le Gouvernement et acceptées par le Parlement – par votre majorité, monsieur le ministre. Ces 7,8 milliards d'euros de perte fiscale ne doivent rien à la crise et tout aux mesures que vous avez proposées au Parlement et que votre majorité a adoptées.
Puis, il y a des transferts de charges : 1,3 milliard d'euros, à ma connaissance, pour les collectivités locales, et de l'ordre de 4,3 milliards d'euros pour les organismes de sécurité sociale.
Quand on additionne 5, 7,8 et 5,6, on obtient entre 18 et 19 milliards d'euros. L'écart par rapport aux recettes initialement espérées étant de 23 milliards d'euros, cela signifie qu'il manque quelque 4 milliards d'euros. Oui, monsieur le ministre, ces 4 milliards sont probablement imputables à la crise.
Mettre le déficit budgétaire de l'année 2008 – 62 ou 63 milliards d'euros – sur le compte de la crise est une commodité. C'est un argument de séance ou de circonstance qui ne peut convaincre. En tout cas, il n'a pas convaincu – loin s'en faut – les magistrats de la rue Cambon, comme il ne convainc pas davantage les membres de la commission des finances.
Il en ira différemment pour l'année 2009, mais le déficit budgétaire de 60 à 63 milliards d'euros de 2008 doit peu ou très peu à la crise : 4 milliards d'euros selon la Cour des comptes ; 6 milliards selon le rapporteur général ; 11 milliards d'euros selon vous. Je pense que le rapporteur général et probablement d'autres collègues sont dans la vérité en l'estimant à 6 milliards d'euros. Comparez les chiffres : 63 milliards d'euros de déficit dont 6 milliards d'euros dus à la crise. Ils prouvent que le déficit budgétaire de 2008 – 3,4 % de PIB à la fin de l'année – est bien structurel et non pas dû à la crise.
Examinons maintenant les dépenses. À vous entendre, monsieur le ministre – même si vous avez tenu des propos différents en commission et en séance –, vous auriez respecté la norme « zéro volume » et vous en êtes très fier. Au préalable, vous stipulez que l'inflation a été nettement plus élevée que prévu. Il est vrai que si l'on retient le chiffre définitif de l'inflation, les choses sont totalement différentes. Pour autant, la norme de dépenses a-t-elle été tenue ? Je ne le crois pas, et je vais vous donner deux exemples montrant qu'il n'en fut rien.
D'abord, la taxe sur les véhicules de société – une dépense de l'État – a été affectée directement aux collectivités. Elle aurait dû apparaître dans cette comptabilisation, faisant monter la norme de dépense au-delà de 2,8 % : l'objectif « zéro volume » que vous aviez vous-même édicté n'est alors plus respecté.
Deuxième exemple : l'épargne logement et les 950 millions d'euros que vous demandez au Crédit foncier de France d'assurer en lieu et place de l'État. En toute logique, ce montant doit être réintégré dans la dépense budgétaire.
Je vous cite ces deux éléments, mais il y en a d'autres. À cet égard aussi, le rapport de la Cour des comptes est tout à fait édifiant : la norme de dépenses n'a pas été de 2,8 % et n'a pas respecté l'objectif de « zéro volume » ; les magistrats de la rue Cambon – et je pense qu'ils ont raison – l'estiment à 3,4 %. Bref, vous n'avez même pas respecté la norme de dépenses que vous vous étiez fixée.
S'agissant de la dépense fiscale, le président de la commission des finances a anticipé sur mes propos, mais puisqu'il m'y a invité, j'en dirai quelques mots. Entre 2002 et 2008, la dépense fiscale est passée de 50 à 73 milliards d'euros – sans compter les 3 milliards de baisse de TVA dans la restauration. Une augmentation de 23 milliards d'euros de la dépense fiscale entre 2002 et 2008, c'est déjà beaucoup !
En outre, 486 dispositifs ont été créés, au rythme d'une quinzaine par an en moyenne depuis 2003, contre quatre ou cinq pendant vingt-cinq ans. La dépense fiscale, qui a augmenté de 7 % par rapport à 2007, représente plus d'un cinquième de la dépense budgétaire, ce qui est considérable. Aucun discours sur la norme de dépense budgétaire, aussi sévère que soit cette norme, n'aura la moindre once de crédibilité tant que la dépense fiscale sera, pour l'exécutif – comme elle l'est, certes depuis longtemps mais de façon accrue depuis quelques années –, un moyen d'échapper à la norme de dépense budgétaire que vous avez fixée en vous drapant dans les vertus du bon gestionnaire.
Rien, ni dans les recettes ni dans les dépenses, ne permet donc d'affirmer que la crise est à l'origine de la dérive budgétaire, alors même, je le répète, que les effets de cette crise ne se feront sentir, et de manière redoutable, qu'en 2009. Or pour 2009, précisément, rien, dans ce projet de loi de règlement, n'est vraiment encourageant. Que l'on en juge : l'État va devoir emprunter cette année 250 milliards d'euros, dont 100 milliards pour rembourser en capital, 120 à 125 milliards pour équilibrer le budget de l'État, 20 milliards au moins pour couvrir le déficit de la sécurité sociale et 10 milliards pour couvrir celui des collectivités locales. Ces 250 milliards d'euros équivalent à peu près au budget efficace, c'est-à-dire une fois retranchés les prélèvements sur recettes que constituent les dotations aux collectivités locales et le budget alloué à l'Union européenne. Bref, l'État aura emprunté cette année l'équivalent de son budget, ce qui, rapporté à son déficit de 120 à 125 milliards d'euros, signifie que, sur deux euros dépensés, il en empruntera un : l'affaire est donc inquiétante. Jamais, dans notre histoire économique et financière pourtant mouvementée, nous n'avions abordé, même en temps de guerre, une période de récession avec un déficit structurel et un état des finances publiques aussi préoccupants.
L'année 2009 s'annonce donc sous de très mauvais auspices. Sans doute impressionné par l'ampleur du déficit, quelqu'un – j'ignore qui – a décidé qu'il fallait le diviser par trois : un déficit structurel, un déficit de crise et un « déficit d'avenir », expression aussi terrible que révélatrice. S'agit-il d'un lapsus freudien ? Toujours est-il qu'elle me paraît en effet appropriée : il aura fallu attendre jusqu'à la mi-mandat pour que le Gouvernement et sa majorité consentent à parler de dépenses d'avenir, ce qui revient à dire que celles engagées depuis plus de deux ans ne l'étaient pas.
L'imagination semble donc prendre le pouvoir sur les bancs de la majorité. Vous avez dû, mes chers collègues, lire les propos tenus hier par le président du groupe UMP, très attaché à la coproduction législative et à son rôle à la tête du groupe majoritaire. J'ai relevé, dans cette interview, trois points essentiels. En premier lieu, le président du groupe UMP estime nécessaire de faire des économies. Bienvenue au club ! Il propose 1 milliard d'euros, à rapporter à un déficit prévisionnel de 120 milliards : c'est bien, mais évidemment très insuffisant, à moins que le président du groupe UMP et ses collègues de la majorité n'acceptent de juger de l'efficacité de toutes les mesures. À cet égard nous vous suggérons de revenir sur l'une d'entre elles, aussi inefficace que coûteuse : le paquet fiscal décidé en août 2007. Cela nous permettrait d'économiser non pas 1, mais 8 à 10 milliards d'euros. C'est autant que les générations futures n'auraient pas à rembourser puisque, comme vous le savez, mes chers collègues, le paquet fiscal reste intégralement financé par l'emprunt, pas un euro n'ayant été prévu pour ce financement, que ce soit en recettes supplémentaires ou, cela va de soi, en économies.
Or, probablement impressionné par l'économie de 1 milliard d'euros qu'il demande à l'État, M. Copé fait deux propositions, qu'il présente étrangement comme des mesures d'économie, alors qu'elles s'apparentent plutôt, me semble-t-il, à des recettes supplémentaires : fiscaliser les indemnités journalières des accidents du travail – on maintiendrait donc le bouclier fiscal tout en imposant les victimes d'un accident du travail : il fallait y penser ! –, et augmenter les cotisations chômage des fonctionnaires, estimant sans doute qu'il serait équitable de les aligner sur celles des salariés du privé, qui leur sont supérieures : puisque vous êtes aussi en charge de la fonction publique, monsieur le ministre, j'aimerais avoir votre sentiment sur ce second point.
Bref, M. Copé propose, d'une part, une économie dérisoire en oubliant l'essentiel, à savoir les mesures les plus coûteuses et les moins efficaces, et, d'autre part, deux mesures qui sont en réalité des recettes supplémentaires, lesquelles entraîneront une augmentation des prélèvements obligatoires. Or l'une des rares choses que nous ayons apprises lors du Congrès à Versailles, qui a coûté la bagatelle de 500 000 euros à l'État, est que le Président ne souhaitait pas augmenter les impôts et qu'il lancerait un grand emprunt national : 500 000 euros pour ces deux seules nouvelles, c'est quand même un peu cher payé ! Manifestement, la coproduction législative avance à grands pas et c'est avec intérêt que, depuis les bancs de l'opposition, nous jugerons qui, du groupe parlementaire ou de l'Élysée, l'emportera sur les deux suggestions au demeurant intéressantes de M. Copé.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous interroger sur un ton tout aussi amical que le président de la commission des finances : dites-vous vraiment tout au maître de l'Élysée et à ses collaborateurs ?