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Intervention de René Ricol

Réunion du 15 septembre 2009 à 17h00
Commission des affaires économiques

René Ricol, médiateur national du crédit, président du comité exécutif de la médiation :

Monsieur le président, je tiens d'abord à vous remercier car le soutien de votre commission, comme celui de son homologue du Sénat, nous a été essentiel. Quelle que soit la couleur politique des parlementaires, nous avons réglé ensemble des dossiers sur le terrain. Nous avons même évité un suicide. Mon départ correspond à l'engagement que j'avais pris de consacrer un an à ces fonctions, après avoir déjà travaillé pendant neuf mois sur la crise financière ; il est temps que je revienne à mon métier.

Dans le rapport que j'avais remis au Président de la République, résultat d'un travail accompli en collaboration avec 150 personnes dans le monde, avaient été dégagées quatre problématiques jusque-là complètement ignorées.

Tout d'abord, nous avions souligné la nécessité, au niveau européen, de recréer du dialogue autour de l'ECOFIN : c'est fait. Il fallait faire en sorte que les ministres ne soient pas informés uniquement par les régulateurs, et que l'on débatte de la qualité de cette régulation. A cet égard, les débats qui s'ouvrent sur Solvency II seront très utiles pour éviter que se produise demain dans le secteur de l'assurance une crise financière bien plus grave encore que celle qui s'est produite dans le secteur bancaire.

Ensuite, nous avions évoqué les systèmes de rémunération. Nous avons été les premiers à dire qu'une telle crise financière venait du fait que des individus avaient un intérêt personnel, lié au système de rémunération, à tomber dans des excès : quand les taux d'intérêt sont bas et que l'on veut faire en trading de gros profits, il faut jouer des masses colossales. S'ajoute à cela le concept fou, qui s'est développé dans le monde entier et que je dénonce depuis des années, d'« administrateur indépendant » : nous avons avant tout besoin d'administrateurs compétents. Dans le rapport, nous avons ainsi cité le cas d'une grande banque internationale dans laquelle un homme, mondialement connu pour les fonctions de régulation qu'il a exercées, m'a avoué avoir cru qu'on lui fournissait des chiffres de trading en valeur brute ; ils présentaient déjà des risques à ses yeux et pourtant, il s'agissait de chiffres en valeur nette : autrement dit, au lieu de jouer dix fois le bilan de la banque, on le jouait mille fois !

En troisième lieu, nous avions appelé de nos voeux la transparence. Si on ne règle pas à la fois le problème des places dites off-shore et celui de la transparence des opérations hors bilan, on régulera à l'aveugle.

Enfin, nous avions insisté sur le caractère contracyclique que doit avoir la régulation. Quand une institution financière voit ses résultats s'envoler, il faut lui demander plus de capitaux ; cela évite à l'inverse qu'apparaisse en période de crise un besoin de recapitalisation.

Je constate que ces quatre idées ont été reprises partout, chacun ayant pu se les approprier.

La médiation de crédit a été pour moi une expérience formidable mais, je le répète, son succès est collectif. De la réunion que vous aviez organisée, monsieur le président, nous sommes sortis plus forts, les banquiers ayant constaté le soutien que vous nous apportiez.

Les banquiers ont-ils joué le jeu ? La réponse est oui. Nous avons pu faire aboutir deux dossiers sur trois. Mais bien sûr, notre rôle ne s'est pas limité à la médiation de crédit : nous avons constitué des réseaux de compétences, apportant du conseil, de la stratégie, de l'argent, et parfois des capitaux propres. La réussite des opérations tient à ce que j'appelle une chaîne de solidarité intelligente.

Hier dans Les Echos, je me suis opposé à Laurence Parisot, qui m'a d'ailleurs appelé ensuite pour me dire que la presse avait mal compris ses déclarations. On ne peut pas laisser dire en effet que le crédit aux entreprises a violemment chuté : la chute constatée entre mai et juillet est liée à celle du financement des institutions financières ; mais pour les entreprises non financières, l'augmentation a été de 2,6 %, et sans doute un peu supérieure pour les PME car les grandes entreprises ont recommencé à aller directement sur les marchés financiers. Telle est la réalité, il faut savoir la reconnaître : les banques jouent le jeu, même s'il faut continuer à les surveiller.

Désormais, la question est de savoir ce que les entreprises vont faire de l'argent obtenu. Je crois à la médiation, qu'il me paraît nécessaire de poursuivre, mais le sujet essentiel est maintenant celui des stratégies d'entreprise. Il va bien falloir, comme je l'ai déjà dit à de nombreuses reprises, se préoccuper des filières. Cela suppose de faire entrer les syndicats dans le jeu. Dans certains dossiers de médiation, on voit bien qu'en mettant de l'argent dans une entreprise, on risque d'affaiblir un concurrent qui est en meilleure position pour être un champion demain ; il peut être alors plus intelligent de fermer cette entreprise et de procéder à un regroupement avec une autre, mais souvent, l'attitude du chef d'entreprise s'explique par la caution bancaire. Le système la médiation peut ainsi devenir pervers s'il aboutit à sauver toutes les entreprises. C'est pourquoi, nous avons dans certains cas convoqué plusieurs chefs d'entreprise pour leur proposer une solution globale, et nous avons fait de la restructuration sans le dire. Le moment est venu que le patronat s'occupe de cette restructuration. Si nous voulons passer d'une reprise technique à une reprise durable, le sujet prioritaire pour les douze mois qui viennent n'est pas tant celui des crédits bancaires ou celui des capitaux propres que celui de la stratégie industrielle.

Le deuxième sujet que la médiation a eu à traiter était celui, dramatique, de l'assurance crédit, dont, sur le terrain, on entendait parler davantage encore que des banques. Nous avons réussi à obtenir une révolution culturelle, à savoir la transparence à l'égard des notés, et par ailleurs l'accord d'un délai d'un mois non seulement aux vendeurs, mais aussi aux acheteurs, avant de supprimer les lignes, pour que l'on ait le temps de mettre en place un dispositif de substitution. Nous souhaitions que ce soit Cap +, dont on peut aujourd'hui constater l'efficacité. Il faut maintenant mettre en place Cap Export.

Mais il faut maintenant pousser les assureurs crédit à repenser leur modèle, partout dans le monde. Le modèle actuel ne leur laisse en effet que peu de marge de manoeuvre. En 2008, deux des trois assureurs crédit que compte la France ont perdu de l'argent, le troisième étant juste à l'équilibre ; si l'Etat n'avait pas été là pour intervenir puissamment à leurs côtés, nous aurions connu une catastrophe économique. Je vous invite donc à susciter la réflexion sur ce sujet car il faut éviter ces effets pervers procycliques : l'assurance crédit, avec peu de capitaux propres et beaucoup d'encours assurés, est très efficace quand la conjoncture est bonne ; mais quand celle-ci se retourne, la faiblesse des capitaux propres et de la réassurance peut entraîner un effet boule de neige. La question qu'il faut se poser est la suivante : est-ce que c'est au vendeur de s'assurer et de payer les risques pris avec des acheteurs, ou est-ce qu'il revient aux acheteurs de proposer des garanties au fournisseur ? Je suis en tout cas un chaud partisan d'une intervention de la médiation dans le champ du crédit interentreprises.

Je terminerai par deux observations.

Nous avons créé une chaîne de solidarité intelligente, nous avons demandé des prises de risque, mais nous n'avons jamais demandé l'impossible. Nous avons demandé aux institutions de désigner, pour être nos interlocuteurs, des tiers de confiance ; nous en avons aujourd'hui 800, il y en aura bientôt 1200. Ils font du conseil au quotidien, en aidant les entreprises à bien diagnostiquer leurs problèmes et à les résoudre. Pour que l'argent obtenu des banques soit efficace, ce conseil est indispensable. C'est vrai non seulement pour les petits dossiers, mais aussi pour les grands groupes. L'accord avec les TPG et les préfets a extrêmement bien fonctionné.

Cette chaîne de solidarité compte cependant un absent : les grands donneurs d'ordre, c'est-à-dire les grands acheteurs, qu'il faudrait y faire entrer. Certains sont exemplaires, d'autres le sont moins. Nous avons vu par exemple des groupes, pour respecter la LME et réduire de 30 jours leurs délais, prendre un escompte de 2, 3 ou 4 % – alors que si une banque prend 5 % pour un projet d'investissement, la médiation le lui reproche. Nous avons également vu apparaître la « retenue sur facture »… Plus grave encore, s'est développée une modélisation du système d'achat, qui produit les mêmes effets que la modélisation du produit financier. Nous avons donc ouvert une discussion avec les grands acheteurs, qui se sont dits prêts à revoir leur mode de fonctionnement. Il serait essentiel que vous puissiez accompagner ce mouvement.

Après les banques et les assureurs crédit, ce sont donc les entreprises elles-mêmes qui doivent faire l'objet de nos réflexions, sur le thème des filières et sur celui des grands donneurs d'ordre. Là encore, il n'y a pas à demander l'impossible, mais on pourrait poser comme principe que, en respectant les contraintes de la globalisation, les contraintes d'implantation des grands groupes et les contraintes financières, on recherche à chaque fois ce qui est le plus intelligent pour aider les PME sous-traitantes.

Un mot encore pour illustrer l'aide que vous nous avez apportée : deux jours après la réunion que vous aviez présidée, monsieur le président, à l'occasion de laquelle les banquiers ont senti votre commission déterminée à avancer sur le « soutien abusif », nous avons signé avec eux un papier disant que plus jamais, le soutien abusif ne serait évoqué dans nos discussions – et tel a bien été le cas. De telles réunions peuvent être très efficaces et éviter de passer par une loi. Je vous renouvelle donc mes remerciements.

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