Je remercie le président Ollier de me permettre de présenter un dossier déterminant pour les pays d'outre-mer. J'ai volontiers accepté cette mission car il s'agit d'un dossier qui traite d'une situation catastrophique mais qui n'est pas pour autant sans perspectives. Je tiens à remercier M. Frédéric Eymard, du secrétariat d'État chargé de l'outre-mer, Mme Nancy Bouché, ancienne directrice générale à l'équipement, Mme Hélène Schutzemberger, ainsi que mon collaborateur, M. William Beauvallet.
J'ai souhaité ne pas traiter la question sous l'angle de la plainte ou de la complainte, ni sous celui exclusif des besoins financiers et budgétaires ; la situation est difficile et nécessite une refonte de la politique de résorption de l'habitat insalubre (RHI).
Ce sont 50 000 à 60 000 logements insalubres abritant plus de 150 000 personnes qui sont concernés, soit entre 7 et 10 % du patrimoine bâti dans les DOM. En Guyane, la situation est extrêmement grave : ce chiffre s'élève à 25–27 %, en raison de l'explosion démographique et de la « bidonvilisation ». À titre de comparaison, en métropole, 600 000 habitations sont concernées, soit 2,5 % du patrimoine actuel contre 15 % en 1984.
J'ai été frappé par la méconnaissance de ces problèmes. Il y a aujourd'hui de graves lacunes dans la gouvernance de la politique de l'habitat et du logement : les politiques ministérielles comme locales à tous les échelons ne sont pas coordonnées.
On constate un découragement généralisé car de nombreuses opérations sont bloquées du fait de l'inadéquation de la législation et des politiques conduites. Ainsi, certaines opérations sont en cours depuis 25 ans, ce qui les rend financièrement peu viables. Sur le plan urbain et humain, l'obsolescence de telles opérations est désastreuse et l'on passe, selon l'expression consacrée « de la case à la durcification ».
Le télescopage des législations successives a conduit à aborder la question avec une logique datant des années 1960 et pensée pour la métropole : on a ainsi mené des opérations « bulldozer » de simple démolition. Pendant plus de trente ans, la confusion a régné entre une logique financière et une logique opérationnelle. La résorption de l'habitat insalubre (RHI) s'est résumée à l'attribution de subventions dont le montant était évalué en fonction de critères d'insalubrité relevant du code de la santé publique. C'est une formulation liée stricto sensu à l'insalubrité et au bâti. Les communes se sont engouffrées dans le dispositif pour demander des moyens permettant de réaliser des opérations de suppression massive d'habitations insalubres. Entre-temps, l'habitat urbain a évolué et la législation du code de la santé (loi Vivien) n'a pas évolué parallèlement.
Il ne s'agit donc pas de proposer une approche uniquement budgétaire, ni une série de mesures éclatées. Il s'agit de choisir une orientation fondamentale. Le caractère indigne de l'habitat nie les droits de l'homme et des individus. C'est anormal et inacceptable. La responsabilité de l'État n'est pas seule en cause ; il y a aussi une responsabilité locale et collective qu'il faut assumer pleinement.
Je vais résumer devant vous les propositions auxquelles ont abouti nos travaux :
Le comité interministériel de l'outre-mer doit faire de la lutte contre l'habitat indigne et la résorption de l'insalubrité une priorité absolue de la politique du logement.
Nous proposons d'instituer un pilotage national, départemental, et communal de la politique de lutte contre l'habitat indigne. Je rappelle que la question de l'habitat indigne en outre-mer est peu prise en compte au sein du pôle national de lutte contre l'habitat indigne. La dynamique ainsi créée permettrait des échanges d'expertise et d'expérience entre les DOM et l'Hexagone, et inversement.
Sur le plan départemental, nous proposons d'aller plus loin que l'inscription dans le plan départemental d'aide au logement des personnes défavorisées (PDALPD) du volet de l'habitat indigne, et de faire en sorte que chaque département ait un plan d'action avec des moyens précis dans le cadre d'un pôle départemental de lutte contre l'habitat indigne et insalubre. Il faut que cela soit précis et contractualisable. Dans la plupart des départements, il n'y a pas de pilotage alors qu'ils gèrent la politique d'insertion, de développement de la ville et celle du logement, dans la mesure où certains présidents de conseils généraux président le conseil départemental de l'habitat (CDH). Nous proposons de sortir de la logique du comité technique départemental de coordination des politiques départementales de RHI, sous la tutelle du préfet : il faut un co-pilotage, faute de quoi le processus d'intervention est déresponsabilisé, dans un contexte dramatique.
Au niveau communal, nous proposons que soit institué un plan communal de RHI. L'expérience est faite à la Réunion de manière extrêmement intelligente, dans chaque commune où il y a concentration de population, et notamment dans les capitales, mais également dans le diffus et en milieu rural. La situation de la police administrative y est cependant extrêmement réduite en termes d'appréhension et de mise en oeuvre. Ce plan communal serait lié à une incitation financière de l'État, à l'image de la dotation financière de développement rural. Une commune qui signerait une convention et s'engagerait dans un processus pluriannuel recevrait une dotation d'incitation et un accompagnement dans ces opérations compliquées.
Nous proposons aussi revoir la conception même d'habitat indigne et insalubre. Aujourd'hui, étant donné l'évolution de l'habitat, il n'y a plus de périmètres précis d'insalubrité totale. Dans un quartier, on trouvera des maisons à démolir, à maintenir, à améliorer ou des familles à déplacer. Il peut y avoir télescopage entre un projet urbain et une procédure administrative et financière. On a laissé se développer cette situation pendant plus de trente ans, ce qui est anormal. Je propose qu'on ne s'arrête pas une procédure de type RHI, qui est une procédure financière, mais qu'on tienne compte aussi de la nature de l'habitat. Nous proposons la création d'une nouvelle procédure de résorption de l'habitat « spontané ». Nous proposons une typologie des interventions, en fonction de la typologie urbaine. Il y aurait ainsi une opération de RHI s'agissant du traitement de bidonvilles permettant la bonne application de la loi Vivien. Ensuite, nous proposons un périmètre, beaucoup plus large, de RHS pour résorber l'habitat « spontané ». Dans ce périmètre-là, on modifierait le code de la santé publique, afin de permettre l'obtention d'une déclaration d'insalubrité et des financements, même s'il n'est pas nécessairement utile d'exproprier tout le monde au sein de ce périmètre. Nous proposons aussi qu'il y ait des opérations légères, sans recours à la RHI ou à la RHS, pour réhabiliter les maisons. Enfin, les interventions les plus ouvertes pourraient se faire dans le cadre des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) de renouvellement urbain (RU) ou dans le cadre des OPAH rurales ou dans le cadre des projets d'intérêt général (PIG), pour traiter les risques majeurs, tout en favorisant une meilleure utilisation des fonds Barnier. Il faudra également que la police administrative des immeubles soit adaptée et devienne beaucoup plus cohérente.
Nous proposons de redéfinir l'habitat indigne et d'élargir le champ de l'observatoire de l'habitat indigne en outre-mer, à l'habitat informel. D'aucuns pourraient considérer que le périmètre est trop large mais la situation nécessite cette révision.
Ces opérations posent la question de l'indemnisation des habitants et des propriétaires de ces quartiers informels, en raison de la dissociation entre la propriété du bâti et la propriété du terrain : 80 % de ces quartiers comprennent en effet des maisons bâties sur des terrains appartenant à autrui (que ce soit sur la zone des cinquante pas géométrique, sur le domaine public maritime, sur le domaine public fluvial ou sur le domaine public communal). Pire : un tiers de ces 80 % sont des terrains appartenant à des personnes privées. Nous proposons donc une réforme de fond de l'expropriation en milieu urbain pour permettre d'indemniser le propriétaire du bâtiment tout en tenant compte de la lutte contre les marchands de sommeil. Il est hors de question d'avaliser le comportement de ceux qui exploitent la misère des autres, mais l'on peut, en revanche, indemniser l'auto-construction sur des terrains communaux, consécutive à l'exode rural. La loi Vivien permet d'aller vite en matière d'expropriation mais sans déposséder le locataire de ses droits. Il convient donc de maintenir la responsabilité du marchand de sommeil à l'égard de ses locataires.
J'aurais encore quelques observations à formuler avant de conclure. La première concerne les opérations de RHI dans la zone dite des « cinquante pas géométriques ». Avec la législation actuelle, des quartiers populaires insalubres bien connus comme Volga Plage à Fort-de-France ou Boissard en Guadeloupe ne peuvent en effet pas faire l'objet d'opérations de RHI.
Ensuite, il faut réécrire certains textes, notamment afin de définir les périmètres insalubres contenant des maisons à maintenir, afin de lutter contre les marchands de sommeil ou afin de permettre aux maires d'intervenir correctement lors de la procédure d'arrêtés de péril. Si la responsabilité relève de l'État pour les arrêtés d'insalubrité et du maire pour les arrêtés de péril, la prise en charge n'est pas claire et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) devrait pouvoir intervenir s'agissant des propriétaires privés.
Sur le plan opérationnel, il faut clarifier le pilotage technique des opérations en nommant un coordinateur – un OPC (ordonnancement, pilotage, coordination) - et en organisant la prise en charge technique de ces opérations en trois volets : un volet « convention entre l'État et le département » pour la réalisation des opérations ; un volet « réalisation par tranches opérationnelles » ; et un volet « incitation financière » – l'objectif étant la désignation d'un coordinateur technique susceptible d'avoir une vue globale de l'opération et de permettre une bonne participation de la population.
Enfin, quelques modifications importantes doivent également être apportées sur le plan financier. Il ne faut pas oublier que l'on se situe dans des zones à risques, qu'il s'agisse de tremblements de terre, de tsunamis ou de cyclones. Or, on constate que les fonds Barnier ne sont que très peu utilisés et finalement peu adaptés. Le rapport propose donc de relever de 25 à 40 % le plafond applicable aux actions préventives finançables par ces fonds. S'agissant du relogement des familles résidant dans des quartiers insalubres, il convient de prendre en compte le relogement transitoire dans le cadre du bilan de l'opération et d'autoriser le relogement définitif à bénéficier du financement du LES (logement évolutif social) alors qu'aujourd'hui ce dispositif n'est pas tout à fait adapté aux familles totalement démunies.
Il faut également introduire plus de cohérence dans la gouvernance locale des politiques publiques en faveur du logement et de l'habitat par le biais de la création de groupements d'intérêt public (GIP) regroupant l'ensemble des financements. En effet, la multiplicité des financeurs, aussi bien au niveau local qu'au sein de l'État, complique le montage des opérations de RHI.
Avant de conclure, je voudrais également insister sur la nécessité de prendre en compte trois données essentielles :
- tout d'abord, la prise en compte de la présence de populations migrantes, notamment en Guyane où plus de 50 % de la croissance des quartiers « bidonvillisés » dans ce département est le fait de ces populations, auxquelles il convient d'apporter des solutions au-delà des mesures prises au titre de la lutte contre l'immigration ;
- ensuite, une attention particulière doit être portée aux personnes les plus fragiles, notamment les personnes âgées, qui ont investi dans l'auto-construction dans les années soixante et qui aujourd'hui ne sont plus solvables. C'est un des enjeux de la RHI qui dépasse la seule question des infrastructures ;
- enfin, la situation des personnes handicapées doit également être prise en considération.
En conclusion, l'habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d'Outre-mer doit être traité comme une question d'intérêt national et bénéficier à cet égard d'une programmation pluriannuelle. C'est en effet un enjeu de société que d'être à même de donner à chacun la chance d'entrer dans le progrès avec sa propre richesse. Or, dans ces quartiers, cette richesse, c'est la possibilité que les habitants se sont donnés à eux-mêmes de se constituer un patrimoine. La régularisation de la situation des occupants sans titre, en leur donnant de vrais titres de propriété, paraît indispensable. Il ne faut pas considérer ces quartiers comme des zones de non-droit parce que difficiles, et s'efforcer d'intégrer leurs habitants dans un dispositif républicain et citoyen où ils aient aussi la possibilité de s'épanouir. Enfin, l'enjeu est également de donner à la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion de vraies perspectives en matière de dynamique de réhabilitation et d'exportation d'un modèle de traitement des quartiers populaires vers l'Amérique du Sud ou la Caraïbe.