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Intervention de Jean-Paul Garraud

Réunion du 8 septembre 2009 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Garraud, rapporteur :

Nous attendons tous ce texte depuis un temps certain ! J'ai moi-même été désigné rapporteur il y a plus de deux ans. Dans cette introduction, je vous présenterai l'état d'esprit dans lequel j'ai mené mes travaux ainsi que les principaux amendements que je m'apprête à vous soumettre.

Le présent projet de loi pénitentiaire répond à une triple exigence.

Une exigence morale d'abord : les conditions de détention ne sont aujourd'hui pas satisfaisantes. Ce n'est pas l'administration pénitentiaire qui est en cause, elle qui a su évoluer et améliorer les conditions offertes aux détenus. La prison cristallise les reproches visant toutes les carences d'un système dont elle n'est pas seule responsable. Les défis auxquels elle est confrontée sont particulièrement lourds : l'accroissement de la population carcérale, son vieillissement et la dégradation globale de sa santé, notamment mentale.

Si les conditions générales de détention se sont améliorées au cours des années récentes, grâce aux fermetures d'établissements vieillissants et à l'ouverture ou à la réhabilitation, depuis 2002, de près de 10 000 places de détention, trop de personnes détenues sont encore incarcérées dans des cellules vétustes et surpeuplées. La prison a aujourd'hui besoin d'un second souffle. Une réponse du législateur est nécessaire, notamment pour proposer des alternatives à l'incarcération et pour mettre fin à l'encellulement collectif subi dans des cellules d'une surface inadaptée au nombre de personnes qui y sont hébergées.

Deuxième exigence : l'adaptation du cadre juridique des prisons à l'exigence juridique de respect de la hiérarchie des normes. En l'état actuel du droit, la plupart des normes régissant les droits et obligations des personnes détenues sont de nature réglementaire, alors même que l'article 34 de la Constitution donne compétence exclusive au législateur pour définir les règles relatives à l'exercice des libertés publiques. Les restrictions apportées aux droits fondamentaux induites par la privation de liberté doivent être fixées par le législateur. L'élévation de ces dispositions au niveau législatif doit être également l'occasion d'une réécriture d'ensemble assurant plus de lisibilité aux dispositions relatives au service public pénitentiaire.

La troisième exigence est d'ordre international : la loi pénitentiaire doit permettre à la France de mettre ses règles pénitentiaires en conformité avec un cadre juridique européen et international de plus en plus contraignant. Les recommandations du Conseil de l'Europe sur les règles pénitentiaires européennes, dont un certain nombre sont déjà mises en pratique par l'administration pénitentiaire, doivent encore être traduites dans notre droit.

Le texte qui nous est soumis est celui qui a été adopté par le Sénat le 9 mars dernier. Profondément enrichi grâce au remarquable travail de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur Jean-René Lecerf, le texte comprend désormais 91 articles, contre seulement 59 dans le projet de loi initial.

J'ai fondé ma réflexion sur la question des fonctions qu'une société décide de donner à la peine d'emprisonnement.

D'abord une fonction rétributive, punitive bien évidemment. La prison sert à punir la commission d'une infraction pénale d'une certaine gravité. C'est la philosophie de la théorie des délits et des peines de Cesare Beccaria. La punition est justifiée par ce que la société considère comme des manquements graves aux valeurs et aux règles de la vie en commun, permettant la mise à l'écart des criminels et des délinquants.

Mais la prison ne se limite évidemment pas à une telle fonction : sa mission est aussi de préparer à la réinsertion des personnes détenues : c'est un des objets du titre II du texte.

Au total, le projet de loi pénitentiaire peut s'analyser d'un triple point de vue : celui des personnes détenues, celui des personnels pénitentiaires, enfin celui de la société tout entière.

S'agissant des droits des personnes détenues, je présenterai à l'article 10 un amendement tendant à améliorer la protection de la dignité de ces personnes par une obligation positive à la charge de l'administration pénitentiaire de garantir le droit à la dignité. Cette disposition, très exigeante vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, aura des répercussions sur les conditions d'hébergement, qui devront désormais respecter la dignité des personnes détenues en vertu d'une disposition législative. Je propose d'aller plus loin que le texte retenu par le Sénat.

En matière de correspondance avec des autorités en charge de la protection des droits de l'homme, je proposerai un amendement à l'article 17 tendant à élever au niveau législatif l'interdiction absolue, pour l'administration pénitentiaire, de contrôler les correspondances échangées entre les détenus et – notamment – le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le médiateur de la République, la Cour européenne des droits de l'homme, les autorités judiciaires, les parlementaires, etc.

Pour ce qui est du contrôle et de la connaissance des établissements pénitentiaires par les magistrats, je présenterai un amendement complétant l'article 3 bis et tendant à affirmer solennellement l'obligation, pour tous les magistrats exerçant des fonctions les amenant à prononcer ou requérir des peines d'emprisonnement ou des placements en détention provisoire, de visiter une fois par an les établissements pénitentiaires de leur ressort. Les obligations en la matière sont aujourd'hui disparates. Je souhaite qu'on les uniformise.

Je vous proposerai également de mieux affirmer la cohérence de notre politique pénale en excluant les récidivistes de l'extension à deux ans des peines aménageables. Je rappelle que la loi du 10 août 2007 sur la récidive des majeurs et des mineurs a fait de la peine d'emprisonnement un principe en matière de récidive, alors que les autres textes, notamment celui-ci, posent l'emprisonnement comme une exception. Une mise en cohérence était nécessaire.

Concernant les procédures simplifiées d'aménagement de peine, je proposerai une procédure assouplie permettant de garantir la prééminence du juge d'application des peines (JAP) mais aussi de donner la possibilité au service pénitentiaire d´insertion et de probation (SPIP) de rencontrer le condamné en premier si le JAP estime que cela est plus opérationnel. Le Sénat avait prévu une saisine conjointe, ce qui peut se comprendre mais peut se révéler déresponsabilisant et coûteux.

S'agissant du placement sous surveillance électronique (PSE) pour les quatre derniers mois de la peine, j'ai souhaité qu'il soit bien précisé qu'il ne s'agit en aucun cas d'un aménagement de peine mais d'une modalité spécifique d'exécution de la fin de peine, tout en reprécisant clairement que le champ d'application de la mesure est réservé aux personnes qui ont été condamnées à cinq ans de prison maximum. Le placement sera de droit, sauf en cas d'opposition du parquet. Le condamné pourra alors saisir le JAP pour obtenir un aménagement de peine. Certains juges d'application des peines avaient fait part de leurs réticences à l'égard de ce qu'ils considéraient comme une « grâce électronique ». Dans le dispositif que je propose, le JAP a le dernier mot s'il est saisi.

Je vous proposerai aussi de revenir sur la présomption d'urgence que le Sénat a instituée s'agissant de placement en quartier disciplinaire et en quartier d'isolement. Il ne faut pas s'y tromper : c'est au juge des référés, que le détenu peut d'ores et déjà saisir, d'apprécier de l'urgence de la situation qui lui est soumise ; ce n'est pas à la loi de le présumer.

Toujours en matière d'isolement, je vous proposerai de combler une lacune de notre droit concernant l'isolement du prévenu décidé par l'autorité judiciaire (juge d'instruction ou juge des libertés et de la détention). Un arrêt du Conseil d'État d'octobre 2008 a en effet annulé l'article réglementaire qui en fixait le régime au motif qu'il revient à la loi d'en définir les grands principes. Je vous soumettrai donc un amendement prévoyant expressément cette faculté donnée au juge d'instruction et au juge des libertés et de la détention, avec un recours devant le président de la chambre de l'instruction.

Je vous présenterai, à l'article 39, un amendement tirant toutes les conséquences d'une jurisprudence de la Cour de cassation de septembre 2008 qui tirait les leçons d'une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme s'agissant du délai d'appel du procureur général ; celui-ci dispose d'un droit d'appel de deux mois, bien plus long donc que celui des parties, qui est de dix jours. Je vous propose de fixer ce délai d'appel à vingt jours, ce qui est moins excessif et de nature à mieux répondre aux exigences d'un procès équitable, d'autant que sera aussi reconnu un droit d'appel incident au condamné et qu'il sera expressément prévu que, même en l'absence d'un tel appel, la cour d'appel pourra rendre une condamnation moins sévère.

Je vous proposerai enfin une extension technique du champ d'application des dispositions permettant le recours à la visioconférence, pour répondre notamment aux demandes figurant dans le rapport annuel de la Cour de cassation pour l'année 2008.

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