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Intervention de Marc Blondel

Réunion du 16 septembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Marc Blondel, Fédération nationale de la libre pensée :

Permettez-moi de vous dire que si cette table ronde devait se poursuivre par un échange de vues entre les différentes associations et les parlementaires, la Fédération nationale de la libre pensée se retirerait. Nous souhaitons nous limiter à l'exposé de notre contribution.

Vous avez sollicité l'avis de notre association sur la question du port de la burqa dans la rue. Ne cachons pas notre étonnement : peut-on discuter de ce vêtement sans débattre de l'ensemble des vêtements prescrits par les autres religions ? S'il est indéniable que le port imposé de la burqa ou du niqab est un symbole de l'oppression, en quoi le port de la soutane, de la robe de bure, de la cornette, du schtreimel, du spodik ou du caftan ne l'est-il pas ?

Les dictatures ont toujours voulu imposer des modes vestimentaires : le tsar Alexandre II interdit en 1872 le port des papillotes et des longs manteaux par les juifs polonais ; le code civil de Napoléon 1er proscrivit le port du pantalon pour les femmes et la Grèce des colonels réprima le port des cheveux longs et de la minijupe.

Interdire le port de la burqa, dans ce que nous considérons comme la sphère privée, est attentatoire aux libertés individuelles et démocratiques. Cela s'inscrirait dans la logique actuelle tendant à restreindre toujours plus la liberté de comportement, la population se trouvant toujours davantage surveillée, contrôlée, fichée. L'histoire ne montre-t-elle pas qu'en renforçant les pouvoirs du pouvoir, on diminue les libertés démocratiques des citoyens ? Les élus républicains que vous êtes ne peuvent y être insensibles.

Ainsi, la puissance publique décréterait comment les gens doivent s'habiller dans la rue ! Notre pratique de l'engagement politique et militant nous conduit à nous interroger : comment contraindrez-vous les personnes à se soumettre à cette interdiction ? Une telle décision serait inapplicable et créerait des affrontements considérables. Le rôle du législateur n'est pas d'allumer des brûlots, mais de permettre à chacun de vivre en paix, selon ses choix et ses éventuelles convictions.

Pour les libres penseurs, partisans du libre examen, le concept ne doit jamais précéder la preuve : nous récusons les acrobaties juridiques de ceux qui, voulant interdire la seule burqa, en viennent à inventer des catégories juridiques aussi fumeuses qu'inexistantes.

Ainsi, certains tentent de remplacer les notions de « sphère publique » et de « sphère privée » – définies par les lois de 1901 et de 1905 – par la notion d'« espace public » et d' « espace privé ». Cette tentative de substitution lexicale n'est pas neutre : le terme de « sphère » désigne une surface fermée, une étendue restreinte, alors que l'espace est par nature indéfini.

En inventant la notion d'espace public, lieu où devrait s'appliquer la laïcité – uniquement pour les musulmanes –, on élargit tellement le principe de laïcité qu'on le rend inopérant. En étant partout, la laïcité ne serait plus nulle part. La laïcité est une frontière, garante de la liberté de conscience pour tous, qu'il ne faut pas abolir. Cela serait appliquer la définition théologique du Saint-Esprit à la nécessaire séparation des Églises et de l'État : « la circonférence est nulle part, le noyau partout et l'Esprit souffle où il veut ».

La laïcité n'est ni une philosophie ni un art de vivre – elle s'apparenterait alors à une religion – mais un mode d'organisation politique des institutions. Elle vise, par la séparation des Églises et de l'État, à distinguer institutionnellement le domaine de l'administration et des services publics de celui de la vie privée des citoyens.

La laïcité, en tant que principe politique d'organisation, s'applique aux institutions, non aux individus. Cette distinction, mise en oeuvre par les lois de 1901 et de 1905, garantit la non-ingérence des conceptions métaphysiques dans le domaine public pour mieux garantir la liberté d'opinion et de comportement dans le domaine privé.

Dans cette acception, il est républicain et laïque d'interdire tout signe d'appartenance religieux à l'école publique et pour les agents du service public – loi Goblet de 1886, loi de 1905, circulaires signées par Jean Zay en 1936 et 1937. En revanche, la loi n'a pas à dicter les modes vestimentaires dans le domaine privé, ou tout autre comportement, tant que ceux-ci ne représentent pas une menace pour la vie d'autrui.

Une dernière précision : les libres penseurs, concernés par l'évolution sociale, prônent et revendiquent l'égalité des droits, y compris entre sexes. Nous estimons donc qu'il appartient aux femmes et à elles seules de déterminer leur comportement.

Enfin, nous voudrions faire part de notre étonnement lorsque nous avons appris que la Ligue de l'enseignement et la Ligue des droits de l'homme ne seraient pas invitées par votre mission. Elles nous ont demandé de vous faire part de leur complète adhésion aux idées exprimées sur cette question par la Fédération nationale de la libre pensée.

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