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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 16 septembre 2009 à 16h15
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche :

Monsieur Herth, il me semble que, dans le cadre du budget, nous avons pris toute la mesure des difficultés. Il ne faut pas que l'État se désengage de l'agriculture française. Le plafond pour 2010 du ministère a été majoré de 218 millions d'euros pour tenir compte du bilan de santé de la PAC ; de 113 millions d'euros en AE et de 53 millions d'euros en CP pour faire face aux dégâts de la tempête Klaus ; de 15 millions d'euros en AE et en CP de crédits de personnels pour financer le recensement général agricole. Un effort financier a donc été fait.

Concernant le secteur des fruits et légumes, nous réduirons le montant du remboursement des aides européennes, qui n'atteindra donc pas les 500 millions d'euros. La négociation avec la Commission européenne est certes ardue. Mais je souhaite que l'on retienne une période de référence plus étroite, à savoir celle où l'on dispose des documents. Sans documents, on ne saurait engager quelque remboursement que ce soit.

Monsieur Dionis du Séjour, vous m'avez posé trois questions précises. J'estime que la part des producteurs ayant servi dans les aides à la commercialisation du produit n'a pas à être comptée comme aide d'État, pas plus que la part qui a pu aider à relever les défauts de concurrence. En revanche, il sera difficile de convaincre la Commission que la part qui a servi à aider les producteurs de fruits et légumes au retrait ne constituait pas une aide d'État directe.

Nous travaillons à réduire la note et à alléger au maximum la charge des producteurs. J'y mettrai autant de détermination que j'en ai mis à aller jusqu'au bout de la logique européenne.

Lorsque l'on est dans son tort, il faut savoir le reconnaître. Sinon, l'on s'expose à une situation encore bien pire, sur le plan financier comme sur le plan politique.

La copie du recours en manquement était sur mon bureau. Si j'avais répondu par la négative à la Commission, nous aurions irrémédiablement perdu, pour une raison simple : nous n'avions pas fait de recours contre la part publique des aides apportées aux producteurs de fruits et légumes. Les ministres de l'agriculture précédents avaient d'ailleurs eux-mêmes reconnu qu'elle était illégale. Un recours en manquement aboutit en général au bout de quatre ou cinq mois. Nous aurions perdu et la sanction aurait été une amende de l'ordre de 50 à 60 millions d'euros et des astreintes de l'ordre de 10 millions d'euros par mois jusqu'à ce que nous nous conformions à la décision de la Commission.

Au moment de l'affaire des poissons sous-taille, nous avons cru bon de résister à la Commission. Cette dernière nous avait demandé de nous mettre en conformité avec les règles européennes et d'élargir les mailles de nos filets, pour ne plus capturer de poissons sous taille. Nous lui avons répondu qu'il n'était pas possible de contrôler les pêcheurs, en raison d'une situation sociale trop tendue. Il y a donc eu un recours en manquement, que nous avons perdu – il faut préciser que les mailles de nos filets mesuraient 1,2 centimètre au lieu des 5 prévus par les normes européennes. Nous avons été condamnés à 40 millions d'euros et à 20 millions d'astreintes par mois. Au bout de trois mois, le ministère du budget nous a exhortés à accepter la décision de la Commission, ce que nous avons fait. Des dizaines de millions d'euros du budget de l'État ont ainsi été inutilement dépensés.

Je n'étais pas prêt à renouveler l'expérience pour les fruits et légumes, quelle que soit la difficulté de la décision, et tout en étant conscient du sentiment d'injustice éprouvé par les producteurs. C'est pourquoi je me bats aujourd'hui pour qu'aucun producteur ne puisse être menacé par cette décision.

Monsieur Gaubert, vous avez raison de souligner qu'il ne faut pas se payer de mots, ce que je n'ai pas l'habitude de faire. Lorsque je suis arrivé aux affaires européennes, j'ai dit qu'il fallait retrouver un lien fort avec l'Allemagne ; je crois que c'est ce qui s'est passé. Je ferai le maximum pour que l'agriculture française retrouve son élan, même si cela m'impose des choix difficiles.

Je n'ai pas grand-chose à ajouter à vos remarques, avec lesquelles je suis globalement d'accord.

S'agissant de la poudre de lait, il faut se battre davantage pour assurer l'équité entre les producteurs des différents États européens. Mais cela vaut pour d'autres secteurs que celui du lait.

Prenons le secteur des huîtres : je ne vois pas au nom de quoi on imposerait le test de la souris sur le bassin d'Arcachon, test légitime tant qu'on n'en a pas de meilleur, si l'on fait en même temps venir des huîtres d'autres pays européens, qui ont été soumises à des tests moins stricts. Ce serait incompréhensible ! J'ai demandé qu'on interdise l'importation de ces coquillages. Je ne peux défendre ma position auprès des producteurs d'Arcachon que si je peux leur affirmer que tous les producteurs d'huîtres sont soumis aux mêmes règles. Malheureusement, et je vous rejoins, il existe des distorsions de concurrence qui résultent de l'application inéquitable de règles européennes, voire de lacunes réglementaires au niveau européen. C'est tout à fait inacceptable, surtout dans la situation socialement très tendue où nous nous trouvons.

Il faut réduire la dépendance vis-à-vis de la poudre de lait, qui est, sur le marché, ce qu'il y a de plus volatil. Plus nous irons vers des produits davantage valorisés (produits frais et ultra-frais), moins nous serons dépendants de la poudre de lait et le marché pourra, à terme, se stabiliser.

La libéralisation totale du marché du lait serait une folie ! Elle conduirait irrémédiablement à une concurrence qui ne se ferait que sur le prix, et donc à l'apparition de fermes de 400 à 500 bêtes, uniquement des vaches Holstein produisant 14 000 litres par an. Cela ne me semble ni souhaitable ni raisonnable en termes d'aménagement du territoire, d'environnement et de préservation des prairies.

Il faut donc organiser le marché et la production. On ne pourra pas le faire à l'échelle européenne sur la base de quotas : d'une part, nos partenaires n'y sont pas prêts ; d'autre part, le système provoquerait des injustices dans les petits pays qui ont désormais un poids décisif dans la construction de majorités.

Le système industriel et les producteurs doivent être mieux organisés. Cette organisation menée à bien, il faudra qu'industriels et producteurs signent des contrats permettant de garantir les volumes et les prix.

Si l'on veut que les producteurs aient du poids face aux industriels, il faut faire comme au Danemark ou au Pays-Bas, où une seule voix s'exprime, au nom de 5 000 ou 6 000 producteurs, face aux industriels. Ce n'est pas le cas en France, où les producteurs se trouvent en position de faiblesse vis-à-vis des industriels.

Il faut un minimum de diversité industrielle. Je vais dire un mot du dossier Entremont. J'assume le choix du repreneur Sodiaal. Ce ne fut pas un choix facile. Je ne sais pas si l'affaire ira à son terme, mais il me semble préférable d'avoir un équilibre entre plusieurs grands groupes industriels plutôt, comme c'est le cas dans d'autres filières, qu'un seul industriel privé dominant le marché.

Nous devrons parvenir le plus vite possible à la conclusion de contrats équitables sur des volumes et des prix entre les producteurs et les industriels. Mais nous nous heurtons à des réticences : cela représente un vrai changement des mentalités et d'organisation pour la filière, et c'est rigoureusement interdit par la législation européenne, qu'il s'agisse de l'organisation entre producteurs, de la négociation avec les industriels ou de la conclusion entre producteurs et industriels – de telles ententes sont considérées comme illicites et condamnées. Nous avons donc besoin du feu vert de la Commission européenne pour modifier les règles. Sinon, nous rencontrerons de réelles difficultés et nous irons vers la concentration de la production de lait dans un seul grand bassin : le Grand-Ouest, plus quelques exploitations de valorisation forte du lait en Savoie, en raison de quelques débouchés particuliers.

S'agissant de la défiscalisation, je vous rejoins. Pour ce qui concerne la préservation des terres agricoles, je souhaiterais d'ailleurs que l'on trouve des dispositifs autres que fiscaux – j'en ai discuté avec le Président Ollier. Nous avons constaté que la défiscalisation favorisait le surinvestissement, notamment dans le secteur laitier. Aujourd'hui, les producteurs de lait sont pénalisés pour avoir investi dans des machines très coûteuses, qu'ils n'ont pas les moyens d'amortir. Ainsi, un robot de traite coûte entre 110 000 et 160 000 euros et permet de traire 60 vaches. Des producteurs qui possèdent 70 vaches ont acheté deux robots de traite ! C'est d'une irresponsabilité totale.

À l'OMC, nous sommes allés au bout des concessions envisageables en matière agricole. On ne pourrait aller au-delà sans prendre de risque majeur.

Quant à l'extension du contrat vendanges, évoquée par M. Dionis du Séjour, il faut veiller à distinguer la compétitivité de la filière du bon traitement des salariés : les dispositions du contrat vendanges s'appliquent aux cotisations salariales et non aux cotisations patronales. Il est de tradition dans notre pays que, lorsque l'on gagne de l'argent sur les cotisations salariales, on les redonne aux salariés sous forme de pouvoir d'achat. Je ne suis pas défavorable à l'extension du contrat vendanges qui permettrait d'améliorer le traitement de certains salariés de la filière des fruits et légumes, mais j'observe qu'elle n'améliorera pas sa compétitivité.

S'agissant des pommes de terre azotées, ou pommes de terre « en frigo », la proposition de M. Dionis du Séjour se heurte au principe de la liberté du commerce et de la production. Il est par ailleurs très difficile de demander l'interdiction d'un produit à date fixe. Enfin, je précise que nous avons aussi de grands industriels de la pomme de terre azotée. Il faut prendre en considération les conséquences que cette proposition aurait sur l'emploi.

La question du coût du travail a été abordée à plusieurs reprises. Je serais plus favorable à l'extension du dispositif TODE sur les parts patronales qu'à celle du contrat vendanges. Mais un tel dispositif est illégal au regard du droit européen. En effet, il ne touche que la filière des fruits et légumes ; pour être légal, il devrait concerner tous les salariés agricoles temporaires. Nous avons de toute façon l'obligation de le modifier. Je souhaite que l'on essaie d'aller plus loin dans la prise en charge de la part patronale pour améliorer la compétitivité de la filière. Aujourd'hui, celle-ci est de 90 %, sur 119 jours, pour 40 % des cotisations patronales. Nous devons pouvoir jouer sur chacun de ces leviers.

Enfin, il est impératif que les contrats passés entre producteurs et industriels soient justes et équitables. Encore une fois, nous devons tirer les leçons du passé. Je comprends l'inquiétude de certains producteurs. On a vu ce qui s'est passé dans la filière du porc, de la viande ou du poulet : lorsqu'il n'y a pas de surveillance des pouvoirs publics pour faire en sorte que ces contrats soient équitables, ce sont toujours les producteurs qui sont lésés.

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