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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 16 septembre 2009 à 16h15
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche :

J'espère être à la hauteur de vos attentes.

J'ai dit haut et fort que la crise que traverse aujourd'hui l'agriculture française est probablement la plus grave qu'elle ait connue depuis trente ans, et je le maintiens.

Pour la première fois depuis des décennies, toutes les filières sont touchées en même temps, et avec la même gravité. Ainsi, en Haute-Saône, qui produit du lait, de la viande et des céréales, les exploitants en polyculture ne peuvent compter sur aucune production pour compenser leurs pertes. Dans l'Eure, les céréaliers sont confrontés à la hausse des matières premières et à l'effondrement des cours. Les situations qui étaient tout juste tenables ne sont plus tenables du tout et les situations plus favorables deviennent difficiles. Lorsque ces variations s'ajoutent à des investissements importants, l'amortissement de ces investissements devient impossible. Certains exploitants, notamment du secteur laitier, jeunes et dynamiques, qui ont dépensé de l'argent pour moderniser leurs installations, ne peuvent plus aujourd'hui honorer leurs traites, ce qui est très inquiétant.

Outre ces difficultés conjoncturelles, la crise fait apparaître d'autres difficultés, d'ordre structurel, devant lesquelles on reculait depuis des années.

Il s'agit d'abord de la question de l'organisation des filières. Lorsque vous négociez avec une filière, quelle qu'elle soit, vous vous retrouvez face à des interlocuteurs trop nombreux, dispersés, et qui ne sont même pas capables de se mettre d'accord sur la réalité des problèmes. Or, comme le dit avec raison François Chérèque, avant d'apporter des solutions à un problème, il faut avoir un diagnostic partagé.

Il s'agit ensuite, dans certaines productions, notamment celle des fruits et légumes, du coût du travail. On ne peut pas se contenter de faire porter à la distribution la responsabilité du problème. Si vous produisez des tomates à 12 euros de l'heure et que, de l'autre côté de la frontière, à quelques kilomètres, votre voisin produit les mêmes à 7 euros de l'heure, vous ne pouvez pas vous en sortir.

Nous sommes maintenant au pied du mur. Il nous faut trouver des solutions fortes permettant à l'agriculture française de rebondir, car elle a tous les atouts pour rebondir. Si nous nous contentons d'un emplâtre sur une jambe de bois, nous retrouverons les mêmes problèmes dans six mois ou un an. Nos amis européens, de leur côté, ont fait des efforts considérables pour moderniser certaines de leurs filières.

Deux sortes de réponses peuvent être apportées à l'échelle nationale : des mesures immédiates, urgentes, et des mesures d'ordre structurel, qui passent par le projet de loi évoqué par le président Ollier.

Les réactions immédiates sont fortes et massives. On ne peut pas dire que rien n'a été fait ; je l'ai fait remarquer, dans des conditions un peu orageuses, aux producteurs que j'ai rencontrés hier au SPACE (Salon des productions animales) de Rennes. Nous avons dépensé 30 millions d'euros il y a quelques mois pour soutenir la trésorerie des seuls producteurs de lait. J'ai annoncé hier le déblocage de 30 millions d'euros supplémentaires pour aider la filière des éleveurs ; et ce ne fut pas si facile, dans les conditions budgétaires actuelles. Nous avons organisé le déblocage de 70 % des aides de la PAC au 16 octobre au lieu du 1er décembre ; une telle avance coûte cher et est très compliquée techniquement.

Nous avons également décidé d'organiser une réunion avec les banques, les assurances, l'ensemble des créanciers des producteurs laitiers. Aujourd'hui, l'effort financier est supporté exclusivement par l'État ; aux banques, aux assureurs et aux organismes de crédit d'en prendre leur part. Certains établissements créanciers des producteurs de lait ont pu être aidés pendants la crise financière. Je ne vois pas pourquoi, maintenant, ils nous claqueraient la porte au nez en nous expliquant qu'ils ne peuvent rien faire pour aider les producteurs. Nous allons donc organiser cette réunion, fin octobre-début novembre, et en tirer toutes les conséquences.

Dans la filière des fruits et légumes, nous avons apporté 15 millions d'euros d'aides immédiates. La semaine prochaine, je tiendrai une réunion sur le problème crucial de la compétitivité et du coût du travail.

Avec Mme Christine Lagarde, nous avons en outre mis en place un dispositif spécifique d'assurance crédit à l'exportation, particulièrement approprié pour les filières exportatrices que sont les pommes et la viande porcine.

Sur tous ces sujets, il s'agit de prendre de vitesse la crise et d'apporter des solutions concrètes. Dans nos campagnes, la situation est particulièrement tendue et les esprits échauffés.

Je pense que notre effort se traduira également dans le budget du ministère de l'agriculture, par une augmentation significative par rapport au triennal.

Au-delà de cet effort immédiat, nous avons besoin qu'un certain nombre de décisions structurelles soient prises. Je vous propose que nous les prenions ensemble, dans le cadre du projet de loi que j'ai annoncé lundi en organisant un grand débat sur l'avenir de l'agriculture française. Ce texte s'articulera sur cinq grandes orientations.

L'alimentation constitue le premier chantier de travail. L'alimentation est en effet le débouché naturel des produits agricoles. C'est aussi le moyen de réconcilier la population française avec ses agriculteurs et de renforcer le lien trop distendu entre les agriculteurs, les exploitants et l'ensemble de la société française. Les Français doivent comprendre que c'est une chance d'avoir une agriculture garantissant une alimentation saine et équilibrée.

Deuxième chantier : la compétitivité et les revenus. J'aurai l'occasion de revenir sur la compétitivité. S'agissant des revenus, le débat est simple : laisserons-nous les producteurs laitiers, les exploitants forestiers, les exploitants céréaliers soumis aux aléas économiques, lesquels ne cessent de s'accroître au fur et à mesure que la climatologie devient incertaine et que les marchés agricoles s'internationalisent ? Allons-nous apporter une réponse structurelle en prévoyant des dispositifs assuranciels leur permettant de se couvrir en cas de risques ? En ce domaine, nous pouvons faire mieux que ce qui existe aujourd'hui.

Troisième chantier : les territoires. Nous perdons tous les dix ans l'équivalent d'un département en surface agricole utile parce que nous n'avons pas prévu de dispositif permettant d'encadrer à l'échelle régionale ou nationale la perte des terres agricoles. Il est temps de s'en préoccuper. Je n'ai pas de position arrêtée ni de dispositif fiscal dans la poche. Il faut que nous ayons des échanges approfondis sur cette question complexe pour trouver une solution satisfaisante.

La pêche constitue le quatrième chantier. Elle sera traitée à part, à la demande la Fédération nationale des pêcheurs. L'organisation de la filière représente un enjeu particulier. Je suis assez confiant, car la situation progresse.

Dernier chantier, qui ne sera pas l'objet spécifique de la future loi, mais qu'il est important d'ouvrir dès maintenant : la politique agricole commune. Le groupe de travail qui s'y consacrera aura vocation à perdurer sous une forme différente au-delà de l'adoption de la loi. Je souhaite que nous ayons un échange le plus large possible sur l'avenir de la PAC et sur les ambitions qu'il convient de lui fixer.

La France, à force de ne pas respecter les règles européennes et de se considérer en terrain conquis, s'est isolée de ses partenaires européens. Il faut retrouver notre leadership en matière de négociations européennes. Alors que nous sommes la première puissance agricole européenne, nous sommes systématiquement mis dans la position d'accusés parce que nous n'avons pas su mettre au point des propositions, construire des coalitions ni défendre nos intérêts de manière constructive. Il est décisif de sortir de cette situation et de « renverser la vapeur » avant la négociation de la PAC 2013.

Comme à l'échelle nationale, il s'agit de prendre un certain nombre de décisions immédiates – ce qui est toujours un peu compliqué en Europe. J'ai obtenu, il y a une dizaine de jours, la possibilité de doubler l'aide de minimis, pour la faire passer, sur trois ans, de 7 500 à 15 000 euros ; cela m'a permis d'apporter, hier, une aide supplémentaire aux éleveurs laitiers.

Encore une fois, je ne ferai rien contre les règles européennes. Si l'on n'est pas d'accord avec elles, qu'on les change ; sinon, qu'on les respecte. Je n'étais pas d'accord avec la règle de minimis. Je m'en suis expliqué avec la Commission, avec M. Barroso, en expliquant que je ne disposais pas d'une marge de manoeuvre suffisante pour apporter des soutiens de trésorerie aux producteurs laitiers. J'ai mis le point à l'ordre du jour du dernier Conseil de l'agriculture et la règle de minimis a été modifiée.

Il y a là un changement de comportement majeur, auquel je crois profondément : un ministre de l'agriculture français qui ne respecte pas les règles européennes mettra l'agriculture française en danger le jour où il faudra renégocier la PAC.

Au-delà de ces mesures immédiates – je vous parlerai aussi du stockage privé dont on a étendu la durée sur l'ensemble de l'année, afin de faire remonter les cours du lait, ceux du beurre et de la poudre de lait – il faut impérativement s'engager dans la voie d'une régulation européenne du marché du lait et des marchés agricoles d'une manière générale.

Nous devons avoir conscience que cette approche est minoritaire. Mais à force de rester calés sur nos positions, nous risquons de nous isoler. Trois solutions s'offrent à nous.

La première consiste à s'abandonner à la dérégulation voulue par certains États et, avouons-le, par la Commission. Selon eux, il faut que l'agriculture européenne soit plus compétitive et que ce soit les prix et les marchés qui décident. Mais c'est une voie hasardeuse et déraisonnable, quand on connaît la réalité des marchés agricoles.

La deuxième, qui m'aurait sans doute rendu très populaire, consiste à prôner le retour des quotas et des anciennes recettes. Je n'en ai pas voulu car je ne l'aurais jamais obtenu, personne en Europe ne défendant les quotas. Le système est fondamentalement injuste, dans la mesure où il aboutit à figer des situations dans lesquelles les petits États restent petits et les grands États restent grands. Dans une Europe élargie à de nombreux petits États, vous avez de moins en moins de chances de faire aboutir ce genre de projet.

J'ai donc retenu une troisième solution, qui consiste à proposer une nouvelle régulation européenne des marchés. Celle-ci passe par des mesures nationales qui ne sont pas possibles aujourd'hui – comme les accords entre producteurs et industriels ou la valorisation des produits locaux –, ce qui suppose de changer l'OCM (Organisation commune des marchés) et un certain nombre de dispositifs européens. Elle passe aussi, à l'échelle européenne, par des dispositifs plus souples et plus réactifs de stockage, d'intervention, voire de mise en place de marchés à terme sur des produits où ils n'existent pas encore, afin de stabiliser les cours.

Nous avons été le premier pays, pour ne pas dire le seul, à porter cette idée. Nous avons convaincu l'Allemagne de nous rejoindre et de faire alliance avec nous. Quatorze autres États nous ont alors rejoints. Hier, j'ai réussi à convaincre l'Espagne et la République tchèque, ce qui fait que nous sommes désormais dix-huit. J'ai bon espoir que la Pologne nous rejoigne d'ici à quelques jours.

La Commission, qui ne voulait pas de ces propositions – déposées au Conseil européen il y a dix jours –, m'a fait savoir hier que, finalement, elle les examinerait. Enfin, la Commission « Agriculture » du Parlement européen a indiqué qu'elle les accueillait favorablement. La dynamique est donc de notre côté, malgré les difficultés et de fortes résistances. Je pense que nous « tenons le bon bout ».

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